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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

Deux approches de la stratégie . 1: M. Porter Deux approches de la stratégie . 1: M. Porter

Toute entreprise met en œuvre une stratégie plus ou moins explicite pour assurer sa survie et sa croissance en retenant des choix coordonnées d’objectifs et de moyens :
– des choix de raisons d’exister: sa mission, son projet, ses buts, son type d’offre et son champ d’action ou terrain d’échanges avec son environnement.
– des choix de moyens de réussir : ses capacités spécifiques, ses avantages concurrentiels, ses moyens de faire face aux menaces et opportunités créées par son environnement.

Par exemple, en matière commerciale une entreprise peut avoir le choix entre les 3 stratégies suivantes :
La stratégie du “meilleur produit” ; proposer des produits ayant le dernier état de l’art, à condition d’avoir des fortes capacités de veille et de créativité et une grande vitesse de réalisation et de commercialisation de ses produits nouveaux.
La stratégie du “sur-mesure” ; proposer des produits strictement adaptés aux besoins d’un segment de clients, à condition d’avoir les capacités clés d’anticiper les besoins, de gérer une large palette de produits rapidement « composables » et livrables, de financer le stockage nécessaire.
La stratégie de « l’excellence opératoire » ; satisfaire les clients qui recherchent d’abord la minimisation des coûts d’achat et post-achat, à condition d’avoir les capacités clés de minimiser ses frais généraux et d’avoir une forte capacité de qualité et de logistique, etc.

Plus généralement, une entreprise peut avoir le choix entre les trois stratégies génériques suivantes :
– La stratégie de domination par les coûts; conquérir de larges marchés en offrant des produits standardisés à faible prix, achetables par le plus grand nombre.
– La stratégie de domination par la différentiation; conquérir des marchés en tablant sur une offre à caractère relativement « unique », en raison de son aspect innovateur, de sa qualité, des services annexés, du prestige qui y est associé, etc.
– La stratégie de niche; conquérir un segment de marché par une offre innovatrice ou ayant une « unicité » spécifique aux yeux des prospects.
En plus de ces stratégies génériques, une entreprise peut également avoir à choisir entre se diversifier ou se spécialiser ; intégrer son amont, son aval, etc. ou externaliser des activités ; se développer par croissance interne ou externe, etc.

Il est clair que ces choix ne se font pas au hasard ; des analyses préalables sont nécessaires et des « modèles » d’analyse sont disponibles.
-Le plus ancien mais toujours pertinent est le modèle « Forces-Faiblesses-Opportunités-Menaces » (FFOM ; en anglais SWOT) (Voir Outils de l’analyse stratégique.1.2.3.)
-Le plus connu est celui proposé par M. Porter (Harvard) « Les forces qui déterminent la concurrence et la stratégie ». (Five Forces Analysis) http://hbr.org/2008/01/the-five-competitive-forces-that-shape-strategy/ar/1
-Le plus nouveau est proposé par W.C.Kim et R.Mauborgne (Insead) « La stratégie océan bleu » (Blue Ocean Strategy). http://hbr.org/2004/10/blue-ocean-strategy/ar/1

Ces modèles sont différents mais doit-on les considérer comme opposés ?
Avant de décider, explorons chacun d’eux, dans deux articles successifs.

1. « Les forces qui déterminent la concurrence et la stratégie ».

Ce modèle d’analyse indique que des forces particulières déterminent à la fois le potentiel de profitabilité d’une industrie et le partage de cette profitabilité entre les acteurs concernés que sont les entreprises en place, les clients, les fournisseurs, les fabricants de produits de substitution et les nouveaux concurrents entrants.
Pour une entreprise en place ou un candidat à l’entrée dans le marché, ce n’est pas le taux de croissance de l’industrie ou l’innovation qui détermineront, seules, son succès ou son échec mais sa compréhension des forces qui façonnent la concurrence et la pertinence de son positionnement et de sa stratégie.
C’est cette compréhension qui permet de faire face aux forces compétitives, d’anticiper et d’exploiter les changements dans les forces, de façonner l’équilibre des forces pour créer une situation plus favorable.

1.1. Les forces déterminantes.

Le modèle retient les cinq forces suivantes :

Approch.strat.1

L’intensité de la concurrence entre acteurs en place
La première étape est de repérer et caractériser les vrais et plus importants concurrents.
L’appartenance au même secteur d’activité peut ne pas suffire et il faut tenir compte de la concurrence indirecte ; aussi est-ce le critère de substitution tel qu’il est perçu par le client qui désigne les concurrents.
L’étape suivante est de caractériser chaque concurrent au regard des questions suivantes
-Quels sont ses performances et les avantages concurrentiels par lesquels il les obtient ?
-Quels sont ses valeurs, ses objectifs et sa stratégie ?
Mais il faut aussi identifier les situations réelles de concurrence. L’intensité de la concurrence dépend moins du nombre que du degré de concentration des concurrents et, souvent, la concurrence s’opère moins par les prix que par d’autres moyens relevant de la différentiation ou de l’innovation.
L’intensité de la concurrence sera d’autant plus forte que :
-les concurrents sont nombreux et égaux en puissance ;
-la croissance est faible et incite à la bataille pour la part de marché ;
-la sortie du marché est coûteuse en raison de la spécialisation des équipements utilisés ou de l’attachement particulier de l’entreprise à ce marché.
L’intensité de la concurrence sera d’autant plus faible que :
– la croissance et la saturation des capacités affaibliront l’incitation à « se battre » ;
– les possibilités de « coordination tacite » seront fortes en raison du faible nombre de concurrents ou de la présence d’un leader dominant.
La profitabilité de l’ensemble des acteurs en place sera d’autant plus faible que la concurrence porte sur les prix. Elle sera meilleure si la concurrence porte sur la qualité et le service car, alors, s’élèvent la barrière à l’entrée dans le marché et l’avantage sur les produits de substitution. Elle sera la plus forte si chaque concurrent vise à servir les besoins de différents segments avec différents mix de prix-produit-services-marque, etc.

La menace de nouveaux concurrents
Lançant une diversification ou une innovation, ces nouveaux acteurs arrivent avec de l’ambition et des moyens tendant à obliger les acteurs en place à baisser leurs prix et hausser leurs coûts, voire leurs investissements.
La seule menace tend à faire baisser la profitabilité du secteur mais la force réelle de la menace dépend des barrières à l’entrée qui protègent les acteurs en place et des réactions que les nouveaux entrants prévoient.
Cette menace sera d’autant plus faible que :
-les entreprises en place sont protégées par des barrières à l’entrée : la faiblesse de leur coûts (économie d’échelle) ; l’importance de leur clientèle (effet de réseau) ; les exigences de capitaux de leur industrie ; le coût important encouru par les clients pour changer de fournisseur ; leur « accaparement » des canaux de distribution ; les brevets et autres barrières juridiques.
-les entreprises en place possèdent des avantages compétitifs « en réserve » tels qu’une capacité de baisser les prix, d’introduire une innovation, d’emprunter, etc.
-les nouveaux entrants doivent encourir des coûts irrécupérables ;
-les nouveaux entrants prévoient que les acteurs en place vont se battre pour leur survie car les coûts de sortie du marché seraient trop élevés.

La menace des produits de substitution.
Il y a un substitut plus ou moins direct à tout produit ou service et la menace peut être plus ou moins forte. Elle sera d’autant plus forte que :
-le rapport qualité-prix du substitut est meilleur que celui du produit ;
-pour le consommateur, le coût du passage au substitut est faible.
Les substituts peuvent provenir d’entreprises innovantes qui ne sont pas nécessairement acteurs dans le marché menacé.

Le pouvoir de négociation des clients
C’est le pouvoir d’obtenir les conditions d’achat de leur choix en termes de prix, qualité, délais, service etc.
Ce pouvoir de négociation est d’autant plus fort que :
-les clients sont puissants, peu nombreux et capables d’intégrer leur amont ;
-les fournisseurs sont nombreux et les produits peu différenciés ;
-pour les clients, les coûts de substitution d’un fournisseur par un autre sont faibles.
La pression portera surtout sur les prix si :
-le produit acheté est peu différencié ou représente un part importante des coûts ou du budget du client ;
-le client fait peu de profit, manque de liquidité ou doit baisser ses coûts d’achat.
Elle portera plutôt sur la qualité si :
-le produit acheté affecte beaucoup la qualité du produit fabriqué par le client ;
-le produit acheté améliore les performances et réduit les coûts du client.

Le pouvoir de négociation des fournisseurs.
C’est le pouvoir d’imposer les conditions de vente. Ce pouvoir est d’autant plus fort que :
-les fournisseurs sont puissants, peu nombreux et capables d’intégrer leur aval ;
-les produits de substitution n’existent pas ou ne sont pas concurrentiels ;
-le nombre des clients potentiels est grand ;
-pour les fournisseurs, les coûts de substitution d’un client à un autre sont faibles alors que pour les clients les coûts de substitution sont forts.

1.2. L’utilisation du modèle.

Définir son positionnement et sa stratégie, c’est repérer et comprendre les forces qui façonnent son environnement, évaluer ses capacités à y faire face et choisir des objectifs et des moyens qui assure la « place » souhaitée et tenable dans son marché.
L’idéal serait d’être dans un marché en croissance, avec une position dominante, une faible concurrence, de faibles pouvoirs de négociation des fournisseurs et des clients, une faible menace d’entrées nouvelles et peu de produits substituts.
Mais la situation la plus fréquente est nettement moins favorable et il faut choisir un positionnement conforme à sa force compétitive ou aller là où les forces compétitives sont moins intenses ; choisir par exemple une stratégie de diversification ou de niche pour faire face à un leader dominant par les coûts.
En dehors de la concurrence entre acteurs en place, la compréhension des forces compétitives donne des indications sur les moyens de se défendre ou de modifier le partage du profit à son bénéfice.
On peut ainsi réduire les pouvoirs des autres types d’acteurs et limiter ainsi les « fuites » de profit vers :
-les fournisseurs ; en standardisant ses achats ou en modifiant sa technologie et en diversifiant ses fournisseurs ;
-les clients et les producteurs de substituts; en accroissant les services rendus et en conquérant les canaux de distribution et autres prescripteurs ;
-les nouveaux entrants ; en élevant les coûts fixes de l’entrée.
On peut aussi imaginer les stratégies d’alliances à conduire pour que le marché croisse et bénéficie à tous les acteurs en place :
-partenariats pour la conquête de nouveaux segments de marché ;
-partenariats entre producteurs et fournisseurs pour améliorer la coordination et limiter les coûts ;
-collaboration sur les standards de qualité peut accroitre la qualité et les services.

L’examen attentif de cette approche laisse apparaitre une grande force et une faiblesse :
-la force d’éclairer très finement la « bataille » pour le partage de la valeur et du profit générés par un marché en signalant l’action de tous les acteurs concernés et pas seulement celle des concurrents en place.
– la faiblesse est d’apporter peu d’éclairage sur les conditions à remplir pour créer un marché et y prendre une position dominante.

Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A.Uzan.26/05/2014