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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

E.manager : expression pertinente ? E.manager : expression pertinente ?

 

Le développement d’Internet, des medias et des outils numériques affecte toutes les fonctions professionnelles, en particulier en entreprise.

Nous avons vu (article « Les outils du webmarketing ») pourquoi et comment ce développement contraint tout chargé d’études de marketing à connaître, comprendre et utiliser les outils du webmarketing.

Tentons de percevoir comment ce développement du numérique impacte la fonction de manager et pourquoi tend à apparaître l’expression de « e.manager ».

Ici aussi, on s’adresse au manager débutant ou au candidat à la fonction, le manager ou le dirigeant chevronné pouvant cependant y trouver un utile « retour aux sources ».

Après quelques rappels sur la fonction de manager et sur les compétences qu’elle requiert, on tentera de discerner en quoi cette fonction est impactée par le développement du numérique et si l’expression de « e.manager » est pertinente, a un sens.

 

  1. La fonction de manager et les compétences requises.

On se centre, ici, sur le manager débutant, généralement « middle manager » ou cadre moyen.

 

1.1. La fonction de manager chef de service

Une entreprise est un processus de transformation « d’entrées » en « sorties », réalisée par des  personnes  utilisant des moyens techniques ; c’est un processus organisé et contrôlé par un système d’autorité, coordonné par un système d’information, orienté et régulé par un système d’objectifs.

Le management est l’ensemble de ces systèmes, l’ensemble des méthodes retenues pour l’organisation, la coordination, le pilotage et le contrôle du fonctionnement de l’entreprise, afin que cette dernière remplisse la mission et atteigne les objectifs qu’elle s’est fixés.

Il est défini, éventuellement révisé, par la direction générale.

Un service est un des postes du « réseau de transformateurs » qui composent l’entreprise ; tout service  reçoit de l’extérieur ou des autres services des « entrées » attendues ; il livre des « sorties » attendues par les autres services ou l’extérieur et doit réaliser cette « transformation-valeur ajoutée » au moins aux conditions définies par la direction et si possible de façon plus efficiente.

Le pilotage de ce « transformateur » est assuré par un manager chef du service qui reçoit de sa direction (ou négocie avec sa direction) des objectifs et des moyens et doit faire en sorte que les objectifs soient réalisés à la satisfaction de tous, direction, autres services et  membres du service.

Tout manager, directeur général ou manager de service, d’unité ou de projet, etc. a donc un rôle de chef d’orchestre chargé de faire jouer une partition par tous ses musiciens, jouant ensemble et en harmonie, sans fausse note et à la satisfaction générale, des clients en particulier. On pourrait aussi dire valablement que tout manager quelle que soit son niveau est chef « d’entreprise ».

L’exercice de cette fonction n’exige pas de dons particuliers mais la mobilisation de certaines compétences.

1.2. Les compétences requises

On sait que la compétence est la « capacité d’agir et de réussir avec pertinence dans une situation de travail » (G. Le Boterf) et que les compétences requises pour manager peuvent être regroupées en quatre grands types principaux :

-les compétences entrepreneuriales. Elles concernent la capacité de repérer les menaces et les opportunités relatives au service et à l’ensemble de l’entreprise et de proposer les changements à mettre en œuvre ; menaces et opportunités provenant des partenaires internes ou de l’environnement extérieur.

-les compétences managériales. Elles concernent la capacité de mettre en œuvre les systèmes et méthodes retenus par l’entreprise pour l’organisation, la coordination, le pilotage et le contrôle du fonctionnement du service. Elles comportent les capacités de faire connaître et accepter les objectifs, de créer le climat propice à leur réalisation, de mettre en place le suivi des réalisations et d’évaluer les collaborateurs. Elles impliquent également, en cas de risque prévu de dysfonctionnement, la capacité d’alerter de façon précoce son supérieur, ses fournisseurs et ses clients et faire toute suggestion d’amélioration.

-les compétences technico-fonctionnelles. Elles comportent la maîtrise des opérations techniques réalisées dans le service mais aussi des degrés suffisant de compétences en matière de planification, d’optimisation des coûts, de formation, de recrutement et gestion des ressources humaines.

-Les compétences comportementales. On distinguera les compétences d’intelligence cognitive (capacité de penser “système de causes”,  «modèles explicatif » et non pas « cause unique » d’une situation) ; les compétences d’intelligence émotionnelle (conscience de soi, capacité de s’adapter, goût de réussir et de progresser) ; et les compétences d’intelligence sociale (capacités d’empathie, de compréhension des climats de travail, de leadership).

La liste paraît longue et exigeante mais la plupart des compétences requises sont assez faciles à acquérir… si l’on prend de la fonction de manager la vision ci-dessus décrite et si l’on est décidé à apprendre pour réussir.

 

En quoi et comment le développement d’Internet, des medias et des outils numériques impacte-il cette  fonction ? Ce développement modifie-t-il l’exercice de la fonction fondamentalement ? Ou ne fait-il qu’ajouter des contraintes ou des facilités nouvelles ? L’expression « e.manager » est-elle pertinente ou est-elle seulement une facilité de langage ?

Tentons de voir ce que ce développement introduit dans l’univers du manager avant de répondre à ces questions.

 

  1. E.Manager : expression pertinente ou factice ?

Il est sûr que le développement du numérique modifie l’univers du manager, ses conditions et outils de travail ; mais, à l’instar de « l’e.marketing » pour le marketeur ou de « l’e.procurement » pour l’acheteur, il ne change pas fondamentalement la fonction.

2.1. Les modifications de l’univers du manager.

On peut distinguer trois grands types de modifications, leur introduction étant plus ou moins complète selon l’entreprise : le développement du système d’informations ; l’accessibilité de l’information et des outils de décision ;  le développement de la collaboration interne et externe.

2.1.1. Le développement du système d’informations

Les NTIC tendent à être présentes à des degrés divers mais dans quasi toutes les entreprises.

-L’utilisation d’Internet s’est généralisée permettant la création de sites web et l’utilisation des messageries électroniques internes et externes, des moteurs de recherche et de la multitude des applications de nature diverses, en particulier des outils de travail collaboratif (agenda partagé, édition collaborative, gestion de projet, etc.)

-La création de bases de données numériques tend à se généraliser à des degrés divers selon les entreprises allant jusqu’à l’intégration illustrée par le schéma ci-dessous :

 

e.manager.2

Un Entrepôt de données (« Datawarehouse ») collecte et stocke les informations essentielles issues des bases de données opérationnelles existantes et en fait l’ensemble de données servant de référence unique pour tous et de support pour l’analyse et la prise de décision de chacun.

Les sources de données sont diverses : système de management de la relation client (« CRM = customer relationship management ») ; système de facturation (« Billing ») ; progiciel de gestion intégrée (« ERP = Enterprise Resource Planning ») permettant d’intégrer la gestion des différents services de l’entreprise ;  sources d’informations diverses, internes (études, rapports, etc. (« Flat files ») ou externes.

Les processus ETL (« Extract-Transform-Load ») prétraitent ces informations de sources et de formats disparates pour les rendre utilisables pour l’analyse et la décision.

2.1.2. L’accessibilité de l’information et des outils de décision.

Toute information n’est pas accessible à tous dans l’entreprise mais l’accessibilité a tendu à nettement se développer pour le manager comme pour tous les collaborateurs.

Accès aux bases de données, à l’entrepôt de données, aux applications d’aide à la décision et à l’internet est possible depuis un poste de travail interne ou externe connecté au réseau ou d’un outil numériques mobile.

Ainsi sont nettement réduites les contraintes de temps, d’espace et de procédures ainsi que le besoin de relations informelles pour s’informer ; mais deviennent plus exigeantes la définition et la recherche de l’information nécessaire.

2.1.3. Le développement de la collaboration interne et externe.

Le développement du système d’informations et des outils de communication de l’entreprise a renforcé  la collaboration intra-entreprise, incité à la mise en œuvre de la collaboration avec les partenaires amont (clients) et aval (fournisseurs) et facilité la création de réseaux d’entreprises.

La collaboration intra-service ainsi que la collaboration inter-fonctions ou inter-régions ont été facilitées par la création de nombreux outils numériques (messagerie instantanée, partage de documents, espaces de travail collaboratifs, coordination des groupes de travail, la vidéo interactive, téléconférence, etc.)

Les relations avec les clients, les distributeurs et les fournisseurs se sont fortement développées, visant à obtenir la collaboration des clients et fournisseurs lors de la création des produits ou celle des fournisseurs et distributeurs pour mettre au point la logistique minimisant les stocks, etc.

Une nouvelle et plus ample forme de coopération tend à se développer, se traduisant par la mise en réseau d’entreprises interconnectant leurs systèmes de conception de produit, de production ou de distribution pour agir comme une « entreprise unique élargie », proposant une offre plus complète et optimisant les ressources du réseau. Ces dispositifs reposent sur des outils de travail collaboratif à distance (« groupware ») et l’interconnexion des systèmes d’information par le biais d’extranets ou de places de marchés spécialisées.

 

2.2. Quels changements pour la fonction ?

2.2.1. Des instruments nouveaux pour jouer la même partition.

Il est clair que le manager doit aujourd’hui connaître, comprendre et utiliser les outils numériques pour exercer sa mission :

-dans son service ; pour faire connaître les objectifs, les procédures, les planifications, les échéances, etc. ; pour suivre les réalisations, repérer les dysfonctionnements, etc. ; pour faciliter les échanges internes ;

-dans ses relations avec les autres services de l’entreprise et les partenaires extérieurs qui le concernent ; pour partager les informations nécessaires relatives à la tâche et à son suivi.

Mais il ne s’agit là que d’utilisation d’outils nouveaux, obligatoires, utiles, mais qui ne peuvent remplacer l’expression écrite et surtout orale, en face à face ou en groupe.

Ainsi donc, les instruments se sont diversifiés mais la partition à jouer reste la même ainsi que les fonctions des musiciens et du chef d’orchestre, même s’ils sont géographiquement éloignés.

2.2.2. Des instruments qui peuvent distraire de l’essentiel.

C’est l’opinion exposée par H.Mintzberg (McGill University), lors des conférences données au “Global Drucker Forum 2015” et portant sur le thème “Managing in the Digital Age” http://www.druckerforum.org/blog/?p=928

Manager est une pratique artisanale centrée sur l’analyse ; ses objets peuvent changer mais pas son essence.

Les NTIC ont considérablement accrue le rythme de travail du manager et la pression qui pèse sur lui mais elles peuvent réduire son orientation vers l’action, augmenter sa réticence à s’engager dans la réflexion, appauvrir sa relation avec ses collaborateurs et partenaires en la limitant à l’échange de  seuls textes ou de tableaux de chiffres.

Le risque est que le manager, trop absorbé par les nouveaux outils et trop confiants en eux, devienne trop éloigné de ses collaborateurs : le recours aux réseaux internes et externes est une composante importante du travail du manager mais communiquer n’est pas collaborer et encore moins créer le sentiment d’appartenance à l’organisation.

Il importe de ne pas oublier que le cœur de l’entreprise demeure enraciné dans des relations de collaboration entre personnes.

2.2.3. Un changement dans la hiérarchie des actions.

Si le développement du numérique ne change pas les fonctions à remplir, c’est-à-dire les objectifs généraux à atteindre par chaque fonction, il tend à changer la hiérarchie des préoccupations et les priorités d’action du manager.

Le développement et l’accessibilité de l’information ainsi que le management par objectifs tendent à accroître à la fois l’autonomie et la responsabilité de chaque collaborateur par rapport à son supérieur.

Dès lors, former ses collaborateurs devient plus important qu’informer ; les soutenir, les encourager, les récompenser devient plus important que les surveiller ou exiger des rapports, etc.

C’est ce type de changement qu’illustre le graphique suivant (voir « Leader =  un profil d’activités ! ») comparant les activités pratiquées (en noir) et les activités nécessaires (en blanc) des managers d’aujourd’hui.

Act.manager.2

Intitulés des activités : de gauche à droite

Désigne plusieurs responsables pour une même initiative – Demande des rapports fréquents et détaillés.

Exige plus de conformité aux procédures – Exige justifications des décisions prises et les revoie.

Passe beaucoup de temps avec la haute direction – Créé un environnement favorable à l’apprentissage.

Explique clairement la stratégie  suivie – Encourage les collaborateurs à déployer leur savoir-faire.

Coach ses subordonnés – Etablit les objectifs en accord avec ses collaborateurs.

Fait partager les meilleures méthodes de travail – Ajuste les récompenses aux résultats.

Sens du graphique.

Alors que la courbe des activités pratiquées peut  être résumée par « Controller et jouer la sécurité », la courbe des activités nécessaires doit être résumée par « Libérer, coacher et déléguer ». Le leader doit consacrer l’essentiel de son temps à créer un environnement favorable à l’apprentissage ; expliquer clairement la stratégie  suivie ; encourager à déployer le savoir-faire ; coacher ses subordonnés ; faire partager les objectifs et les méthodes de travail ; ajuster les récompenses aux résultats.

Toutes les activités décrites restent incluses dans la fonction mais les priorités d’action sont changées.

 

Conclusion

Le changement introduit par les NTIC est-il de nature à justifier l’expression « e-manager » ?

Si cette expression suggère une sorte de « pilotage automatique, commandé par les NTIC », la réponse est clairement non ; et si elle veut dire que le manager utilise les NTIC, on devrait alors parler de « e.client », « e.médecin », « e.plombier », et ajouter un « e » à chacun de nous.

En fait, le développement du numérique a été le facilitateur d’une évolution de la fonction du manager qui est principalement due aux changements en cours dans l’environnement de l’entreprise :   développement de la formation des salariés, évolution de la culture, transformations des formes de la concurrence, etc.

 

Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A.Uzan. 31/10/2015