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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

La collaboration informelle dans l’entreprise La collaboration informelle dans l’entreprise

Sources principales d’inspiration:

-«People Analytics », mooc Coursera donné par The Wharton School (Univ.Pennsylvania)

-Travaux de R. Cross professeur à University.Virginia. http://www.robcross.org/research/what-is-ona/

 

Les systèmes de management ou méthodes retenues pour l’organisation, la coordination, le pilotage et le contrôle du fonctionnement de l’entreprise ont tendu à évoluer :

-la répartition, la départementalisation, du travail a tendu à donner moins de place au regroupement de spécialistes au bénéfice de regroupements de plusieurs types de compétences chargé d’un objectif commun, technique, commercial etc. (répartition par produit ou par projet, par exemple);

– la coordination des activités intra et inter-départements reste sous la responsabilité ultime des managers mais tend à être assurée plus « horizontalement» par des chefs de projet ou des comités d’égaux ;

-la formalisation de l’essentiel du système de pilotage et de contrôle reste la règle mais tend à s’alléger pour permettre la réactivité nécessaire et faire place à l’incitation au détriment du commandement.

Toutes ces évolutions ont certainement donné plus d’agilité et plus d’efficacité à l’entreprise d’aujourd’hui mais elles ont aussi rendu plus facile une évolution plus ou moins moins désirable : le développement de la collaboration informelle, celui des échanges relatifs au travail et de la coordination du travail via des réseaux informels de relations plutôt que via les processus formels prescrits.

Cette collaboration informelle peut représenter un facteur de développement de la performance, de l’apprentissage et de l’innovation mais peut aussi être un facteur de sous-emploi, de ralentissement, de blocage, de surcharge de travail, éventuellement de départ. En tout cas, il s’agit de facteurs du résultat invisibles sans un effort spécial d’observation.

Prenons une première connaissance de cette collaboration informelle et de la manière de l’établir avant d’en voir les utilisations.

 

  1. Le réseau de collaboration informelle.

Le graphique suivant établi par Rob Cross, professeur à Université de Virginie constitue une bonne introduction (source : http://www.robcross.org/research/what-is-ona/

Organigramme et réseau informel

Il est le résultat d’une analyse des relations de travail ou réseau organisationnel (Organizational Network Analysis) du groupe constitué par les  cadres supérieurs de la division exploration et production d’une grande entreprise pétrolière, lors de la réalisation d’un projet donné.

Le contraste est saisissant entre la structure formelle (à gauche) et la structure informelle du groupe (à droite) mais plus intéressante est la capacité de l’analyse du réseau informel à mettre en évidence les déterminants suivants du résultat :

-Un homme, Cole, bas-classé dans l’organigramme a joué un rôle central dans les échanges (voir les liens) et entre les trois sous-divisions. Il a sans doute largement contribué à la performance du groupe ; mais on peut aussi penser qu’une meilleure répartition de la charge de travail qu’il a assumée aurait sans doute accélérer largement le processus et rendu le réseau plus efficace et moins dépendant d’un seul membre.

-Les plus hauts dirigeants du groupe sont restés plutôt périphériques, constituant des expertises et des capacités de décision inexploitées. On peut penser qu’ils avaient d’autres choses à faire mais il a été montré que la faiblesse de leurs engagements a souvent ralenti le groupe au moment des décisions.

-Le sous-groupe « Production et stock» a très peu participé au travail collectif et il a été montré que cela résultait du déménagement de ses bureaux loin des autres.

Il est clair que l’analyse du réseau organisationnel réel, généralement informel, révèle d’importants facteurs du résultat du travail d’un groupe.

 

Un autre exemple de réseau organisationnel, cité par le même auteur et donné ci-dessous, va nous permettre de caractériser un réseau organisationnel et la place de chaque membre dans le réseau.

Le graphique visualise les relations de travail observées d’un groupe de 15 membres appartenant à trois fonctions d’une entreprise (marketing, finances, fabrication) et chargée du développement d’un produit.

Réseau de collaboration informelle

Les liens sont représenté par des flèches ; la flèche à une tête indique une demande faite par A à B (par exemple par John à Paul); une flèche à deux tête indique une demande réciproque (par exemple Lisa et Paul).

On peut ainsi caractériser un réseau et la place d’un membre :

-Paul et Helen sont centraux parce que connectés à beaucoup d’autres membres mais Paul est surtout sollicité par les autres (liens entrants) alors que Helen sollicite autant qu’elle est sollicitée ;

-Helen est le centre d’un réseau plus dense que celui de Paul en raisons du nombre des interconnections ;

-Paul a un réseau plus étendu parce qu’il est connecté aux deux autres sous-groupes.

Ici aussi, on ne sait pas si chacun a choisi ou subi la place à laquelle il s’est trouvé, chaque place ayant ses avantages et ses inconvénients ; on ne sait pas, non plus, si la répartition inégale des tâches a été décidée par la direction ou produite spontanément ; on ne sait pas, enfin, si la configuration du réseau est optimale pour le résultat à atteindre ; ce qui est sûr, par contre, c’est que le responsable du projet connaît le rôle réel joué par chacun, les contributions de chacun au résultat, et peut fonder correctement l’évaluation des performances et ses décisions en matière de répartition des tâches, de rémunération ou de formation .

 

  1. L’établissement du réseau de collaboration informelle.

Etablir le réseau de collaboration réel d’un groupe, généralement informel, exige une recherche spéciale.

Les moyens utilisables sont divers : enquête spéciale, traçage des échanges par les intéressés, sollicitation d’observateurs bien placés, utilisations des données diverses accumulées, etc.

2.1. Enquête spéciale.

A titre d’exemple, voici le questionnaire ayant servi à établir le réseau précédent du groupe des 15 personnes ainsi que la matrice destinée à rassemblant toutes les réponses.

Questionnaire pour établit réseau

Question = A quelle fréquence, sollicitez-vous des personnes de la liste suivante des informations relatives à votre travail ?

Réponses : d’une fois par mois à une fois par jour.

Document pour collecte réponses au questionnaire

Les réponses rassemblées et « nettoyées », on peut trouver des logiciels qui traitent et visualisent les données (par exemple Ucinet et NetDraw  http://historicalnetworkresearch.org/wp-content/uploads/2013/01/EMPLOI_v1.01.pdf).

Mais, comme dans toute enquête, les difficultés sont préalables à cette phase : elles consistent en :

-bien définir la population à observer et l’objet (échanges de quoi ? relatif à quel aspect du travail ?)

-bien choisir le nombre de personnes à interroger ; un minimum d’une vingtaine est nécessaire et si le nombre est très grand on peut soit sélectionner un échantillon soit demander à l’enquêté de désigner d’abord ses X partenaires principaux et de ne répondre aux questions que pour ces partenaires.

-bien « vendre » l’enquête ; indiquer l’usage qui en sera fait et surtout assurer la confidentialité des réponses individuelles ; éventuellement offrir une récompense pour toute réponse.

-tester le questionnaire et s’assurer que les réponses prennent de l’ordre de 15 minutes pour avoir le maximum de réponses, si possible au moins 80 %.

2.2. Les autres méthodes.

Faute d’enquête spéciale, on peut recourir aux moyens suivants :

– demander aux observés de garder les traces de leurs échanges pendant une période ou d’établir un rapport sur ces échanges durant une période ;

– solliciter un observateur bien placé pour observer un groupe ;

– utiliser les « traces » nombreuses que chacun laisse comme suites à ses échanges par mails, téléphone, téléconférences, etc. ou suites à ses participations à des groupes de travail.

Bien qu’aucun des moyens d’enquête ne met à l’abri de la dissimulation, il est clair que l’enquête spéciale est le meilleur moyen de collectée l’information désirée ; dans tous les cas, une démarche clairement expliquée vaut mieux qu’un processus qui peut être soupçonné d’espionnage.

 

  1. Les utilisations de l’analyse du réseau de collaboration informelle.

Résumons les types d’utilisation générale avant de reprendre les cinq cas d’application présentés dans la mooc.

3.1. Fonder les décisions de GRH ou de réorganisation

3.1.1. Fonder des décisions de GRH.

Les écarts observables entre les rôles formels et les rôles informels peuvent servir de bases à des analyses complémentaires et des décisions sur beaucoup des aspects de la GRH : évaluation de la performance individuelle,  bases de la rémunération et de la promotion, formation, prévision de turnover.

– l’évaluation de la performance d’un acteur central comme Cole ou Paul doit tenir compte de son rôle d’aide à beaucoup d’autres membres (si ce n’est pas son rôle formel) ; cette aide doit devenir une des bases de son évaluation et de sa rémunération, compenser son éventuelle insuffisance de résultat personnel ou être répartie entre d’autres membres pour éviter surcharge et risque de burn out .

– l’examen des besoins des plus grands demandeurs d’aide peut fonder les décisions de formation et monitorat, etc.

3.1.2. Fonder les décisions de réorganisation.

Ce sont ici les liens entre réseau formel, réseau informel et résultats collectifs concernant tel groupe de collaborateurs (équipe, atelier, service, division, etc.) qui doivent être explorés.

Le résultat collectif étant la « livraison » faite par le groupe aux autres groupes de l’entreprise, on peut se demander si le réseau informel a pu être un facteur explicatif de la « valeur » de cette livraison ; de sa  qualité, de la tenue des délais, du coût, etc. Et s’il est avéré ou probable que ce facteur a été positif ou négatif, on peut ainsi fonder des décisions de réorganisation. Pour ce qui concerne le personnel, ce peut être rééquilibrer les échanges, inciter à plus de coopération et, le plus souvent, soutenir les membres « centraux » et instaurer ou renforcer les « hommes-ponts » entre le groupe observé et ses partenaires internes ou externes principaux.

3.2. Cinq exemples d’analyse et de décisions.

3.2.1. Réduire la surcharge de certains membres en rééquilibrant l’offre de collaboration.

Déséquilibre de la collaboration informelle

Une organisation financière a collecté par enquête spéciale les informations permettant de repérer quels collaborateurs étaient considérés par les autres comme les plus efficaces (axe vertical des Y) et lesquels étaient les plus recherchés pour des informations et conseils (axe des X). Après avoir découvert, comme d’autres entreprises, qu’un petit nombre de collaborateur (5% environ) assuraient une grande part de l’aide (35%) et vérifié que certains étaient surchargés (coin droit en haut du graphique), l’entreprise a sélectionné quelques collaborateurs moins sollicités (coin gauche en bas du graphique) pour mieux répartir la charge.

3.2.2. Renforcer un réseau d’informaticiens internationalement dispersée.

Une compagnie multinationale ayant des informaticiens partout dans le monde a cherché à renforcer les liens qui les reliaient entre eux et avec le siège. Après avoir repéré que le réseau reposait sur un trop petit nombre d’acteurs centraux et que beaucoup d’acteurs étaient isolés, la compagnie a cherché et trouvé comment rendre le réseau à la fois moins dépendant de certains et plus dense, plus inter-relié.

2.2.3. Réduire les inefficacités de collaboration par de la formation.

Réduire les inefficacités de collaboration

L’axe des Y indique le nombre moyen de fois qu’un collaborateur a été cité par les autres comme une source utile d’informations et l’axe des X indique le temps moyen d’interaction (Average interaction time)

On observe qu’il y a une assez forte concentration au milieu du graphique indiquant que la majorité des collaborateurs est également « utile par temps passé », donc également efficaces. Les collaborateurs de la « bulle » de droite en haut sont les plus efficaces et ceux de la « bulle » du centre à droite les moins efficaces car ils prennent trop de temps lors de la collaboration. Un programme de formation a été monté au bénéfice des collaborateurs les moins efficaces.

 

3.2.4. Renforcer la collaboration entre divisions dans une grande entreprise.

Les conglomérats qui grossissent par acquisition éprouvent du mal à intégrer ces acquisitions et, en particulier, à faire collaborer les cadres supérieurs d’origines diverses.

Collaboration entre divisions

Après enquête auprès des 126 cadres supérieurs d’une grosse entreprise, le tableau ci-dessus indique pour chaque division le taux de collaboration interne à la division (par ex. 33% dans la division 1)   et, en dessous, les taux de collaboration, beaucoup plus faibles, qui s’établissent entre cadres de chaque division et cadres des autres divisions (par ex. 5% de collaboration entre la division 1 et la division 2)

Puis la réflexion a porté sur les besoins de collaboration entre divisions ; repérage des insuffisances de peu d’importance et renforcement des connections indispensables.

 

3.2.5. Réviser les bases d’évaluation de la performance.

Un cabinet mondial de Conseil affichait comme seuls critères de l’évaluation de la performance et de la rémunération : conquérir et servir les clients.

Après étude de son réseau organisationnel, il a constaté que beaucoup de ses départements consacraient beaucoup de temps à aider les autres départements à réaliser leurs objectifs mais que cette aide, cette collaboration informelle, n’était pas du tout reconnue.

Deux autres critères ont été ajoutés dans les processus d’évaluation et de rémunération de la performance.= collaborer à conquérir et collaborer à servir le client.

 

Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 8/06/2017