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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

Manager la diffusion sociale de son produit Manager la diffusion sociale de son produit

 Source : J.Berger Université de Pennsylvanie  « Contagious» (« Créez la tendance ! Du bouche à oreille au marketing viral »)

et mooc Coursera « Viral Marketing and How to craft Contagious Content».

 

Attirer l’attention de prospects, conquérir et fidéliser des clients, a toujours été la préoccupation première de tout dirigeant d’entreprise et un sujet de recherches et de conseils qui ont beaucoup évolués.

Rappelons trois étapes capitales de cette évolution.

-L’évolution du marketing-mix : des « 4P » aux « 4C ».

La recherche du marketing-mix a visé à définir les dimensions de l’action à entreprendre pour réussir. On connaît le premier modèle, celui dit des « 4P » : Produit, prix, place, promotion. Il reste le modèle de base mais il a été enrichi pour tenir compte d’un consommateur plus exigeant et plus sélectif et est devenu le modèle des « 10P », ajoutant des « 6 P » suivants : Personnel en contact avec les clients, Process en relation avec l’utilisateur de service, Preuve du service rendu, Partenariat, « Permission Marketing » promotion non directive, P (« Purple Cow ») pour innovation

L’évolution du comportement du client a conduit à aller plus loin : définir une nouvelle formulation du marketing-mix celle dites des « 4C » et centrée sur le consommateur : Consommateur (on ne peut vendre que ce qu’il désire acheter), Coût (ce que cela lui coûte), Commodité de l’achat, communication (dialogue avec le client), modèle lui aussi développé en « 7C » (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing_mix )

-L’évolution de la promotion : de la publicité au marketing de contenu (voir « De la publicité à l’e-promotion »,  «Le marketing de contenu. 1 et 2, etc.  https://outilspourdiriger.fr/entreprendre/marketing/ )

Reste encore utilisée la publicité traditionnelle, discontinue, sous-traitée à des agences, directive, autocentrée et visant le public le plus large possible mais cette forme a tendu à laisser la place au « web marketing » qui utilise des supports différents, numériques, mais n’a pas changé de nature, restant, pour l’essentiel,   discontinue et surtout directive et autocentrée.

La méfiance à l’égard de la publicité et l’activisme du consommateur tend à imposer le marketing de contenu ; l’objectif, ici, n’est pas de vendre ni de se centrer sur l’offre de l’entreprise mais de conquérir et de fidéliser un auditoire en suscitant son intérêt, en  créant la confiance et si possible l’adhésion aux valeurs de l’entreprise, comme le fait tout bon journal spécialisé dans un domaine ; en présentant des reportages, témoignages, études, en lien avec l’activité de l’entreprise, mais sans caractère publicitaire, intéressants en eux-mêmes et surtout susceptibles de donner envie aux clients et prospects d’échanger entre eux et éventuellement avec l’entreprise.

-Les échanges avec les prospects et clients : le marketing des medias sociaux.

Il ne s’agit plus d’édition et d’envoi de messages et signaux divers mais de se mettre à l’écoute des échanges que les prospects et clients font entre eux ; pour mieux connaître leur avis, comprendre leurs problèmes et, autant que possible, échanger directement avec eux (informations, réponses aux questions, demandes de collaboration, etc.)

Cette évolution du marketing a incontestablement permis aux entreprises de mieux comprendre les attentes des prospects et de mieux satisfaire ces attentes. Et le gigantesque développement des échanges numériques entre personnes et entre personnes et entreprises tend à apparaître, aujourd’hui, comme le « gisement » de tout marketing et le meilleur moyen de promotion.

En fait et pour le moment, ce gisement semble bien n’être que le « sommet de l’iceberg », la partie visible, publique, des échanges entre personnes, partie qui a été estimée à environ 10 % du total des échanges de face à face.  C’est dire que la diffusion, des produits comme des idées ou des valeurs, ne s’opère pas seulement dans le monde numérique mais principalement dans le monde social et principalement par le bouche à oreille.

C’est la thèse de J. Berger, professeur à la Wharton School, Pennsylvanie, auteur de « Contagious» (livre traduit en français sous le titre « Créez la tendance ! Du bouche à oreille au marketing viral »).

L’idée de base du livre est que, certes, le marketing de contenu, celui des réseaux sociaux ainsi que le recours aux « modèles identitaires » (leaders d’opinion ou de comportement) sont nécessaires mais que leurs influences restent très limitées si des personnes ne prennent pas le relais de la diffusion, si le bouche à oreille ne fonctionne pas. Il faut une étincelle mais l’incendie peut se propager un peu, beaucoup ou pas du tout.

Qu’est-ce qui détermine la diffusion dans la population, la diffusion sociale, d’un produit ?

Voyons comment s’exerce l’influence sociale ; quels sont les facteurs du succès du bouche à oreille et comment les réseaux sociaux propagent l’information et l’influence.

 

  1. L’influence sociale et le « bouche à oreille ».

Pour décider et agir, chacun de nous tient toujours compte des autres, comme source d’aide au choix et comme modèle identitaire à imiter ou repousser.

Pour choisir un bien ou un service, chacun de nous pratique souvent et spontanément,  le critère du « choix du grand nombre », raccourci de jugement sommaire mais d’autant plus nécessaire que l’on est incertain ou que l’enjeu est faible ou  que le temps manque. C’est ce qui conduit à choisir tel produit ou service simplement parce que beaucoup d’autres l’ont choisi.

De façon plus générale, notre comportement est régi par des normes sociales, des règles de conduites (manières de se comporter envers les autres, de s’habiller, de raisonner, de choisir, etc.) et des aspirations communément admises dans notre groupe social d’appartenance; parce que chacun de nous a besoin de coopérer, partager, se sentir reconnu comme membre et ne désire pas être désapprouvé par les autres membres pour transgression de la norme commune. La pression à la conformité et à l’imitation des autres sera d’autant plus forte que le groupe sera nombreux et surtout homogène et toute conformité aux normes et valeurs d’un groupe social est rejet plus ou moins prononcé des normes et valeurs d’autres groupes.

On reconnaît l’application de ces principes dans le recours des entreprises à l’utilisation des références et à l’indication des nombres d’utilisateurs de leur produit ou service.

C’est le principe de conformité qui façonne la diffusion sociale des produits et idées. Le principe de divergence est actif mais ne conduit qu’à  des conformités nouvelles ; les générations nouvelles ne veulent généralement pas ressembler aux anciennes et certaines personnes veulent manifester leurs « différences » d’avec tel groupe d’appartenance initial pour manifester symboliquement leur adhésion à un autre groupe.

Le bouche à oreille est, avec l’observation des autres, le principal vecteur de cette conformité et, pour une entreprise, le moyen de promotion le plus efficace. Les quelques évaluations chiffrées disponibles indiquent un rapport de 1 à 10 avec la publicité traditionnelle et de 1 à 2 avec toute autre forme de promotion. Nous passons nettement plus de temps en situation de face à face que devant nos écrans personnels et le bouche à oreille présente les quatre supériorités suivantes :

-la plus grande confiance ; par exemple, dans le conseil d’un ami.

-le quasi-parfait ciblage de l’information ; l’ami sachant bien à qui adresser son conseil.

-la meilleure capacité de persuader : l’ami connaissant bien les motivations de son interlocuteur.

-la meilleure disposition de l’ami conseillé à essayer puis à devenir client fidèle.

 

  1. Les déterminants du bouche à oreille, de la diffusion sociale.

L’auteur retient les six déterminants suivants de la propension des gens à partager des informations avec d’autres : la recherche de la valorisation sociale, la présence d’un déclencheur ou occasion d’échanges, le ressenti d’une émotion mobilisatrice, la visibilité des objets d’échanges ou d’imitation, le désir d’être utile aux autres, le désir de partager des histoires remarquables.

2.1. La valorisation sociale (« Social Currency ») 

Les choses que nous préférons offrir au regard des autres sont généralement celles qui nous valorisent, celles qui nous font paraître, par exemple, plus beaux, plus respectueux des autres, plus informés, plus généreux, ou, au contraire, plus différents, plus originaux ou, simplement, membres de tel ou tel groupe professionnel ou sociologique.

C’est encore plus vrai pour les choses que nous partageons avec les autres, informations, témoignages, avis, conseils et même critiques ou protestations. C’est ainsi que nous construisons notre image aux yeux des autres, notre réputation, notre réseau de relations et notre influence.

Pour une entreprise, souhaiter voir pratiquer par des gens un bouche à oreille en sa faveur nécessite de donner à ces gens les moyens de leur valorisation sociale (ce que l’auteur appelle « social currency ») et autant que possible, d’éviter que cette valorisation sociale ne se traduise par des critiques ou protestations.

Cela veut dire les conduire à faire apparaître aux yeux des autres , par des actes ou des paroles, leur satisfaction, voire leur fierté d’avoir acquis tel produit ou service, d’être au courant de l’existence de tel produit ou service, de s’être conduit comme tel ou tel personnage ou membre de tel ou tel groupe

2.2. L’occasion ou déclencheur. (« “Top of mind, tip of tongue »)

Il est sûr que plus on apprécie un produit ou un service plus on aura tendance à en parler à d’autres, à partager l’information ; mais à une condition : que la situation s’y prête, qu’il y ait un déclencheur, une occasion d’établir le contact ou de se valoriser en répondant à une question posée par un autre, ou en  donner son avis sur tel événement, etc. L’auteur dit «top of mind, tip of tongue » ; plus le sujet est présent à l’esprit, plus il est au bout de la langue.

On échange sur les conditions météorologiques pour créer le contact, mais on le fait aussi sur le dernier libre sorti, le dernier événement marquant, la dernière innovation connue ou le dernier incident, etc.

Pour une entreprise, cela veut dire créer régulièrement l’occasion de l’échange, associer son offre à un moment de rencontre régulière, ou à un autre produit très connu, etc

2.3. L’émotion mobilisatrice (« When we care, we share »)

Plus la chose nous importe plus il est probable que nous voulions partager. Ce peut être un événement personnel heureux ou amusant et l’envie de partager est alors particulièrement forte alors qu’un événement personnel triste peut conduire à se refermer sur soi. Ce peut être aussi un événement ou une information importante à nos yeux et que nous avons envie de discuter avec les autres parce qu’ils suscitent notre anxiété ou notre  colère. Toutes les émotions ne sont pas mobilisatrices ni contagieuses.

Pour une entreprise, cela veut dire qu’il ne suffit pas que ses clients se sentent tranquillisés ; il faut mobiliser leur envie de partager avec les autres ; entretenir leur attention, voire les surprendre, par des innovations ;  leur demander d’exprimer leur mécontentement, voire leur colère, s’il y a lieu.

 2.4. La visibilité des objets (« Easier to see, easier to imitate »)

Le principe de conformité alimente la tendance à imiter les autres et à échanger sur ce que les autres font, portent, achètent, etc., à condition que cela soit visible directement ou via un medium et, généralement, que cela concerne les gens « exemplaires » du moment.

Ces conditions ne sont pas spontanément faciles à réunir ; l’entreprise doit tendre à rendre son produit et ses qualités, ses clients et ses « références » plus visiblement observables et si possible remarquables.

 2.5Le désir d’être utile (« Practical Value »)

Ce désir, désintéressé ou intéressé, prend place dans les relations de face à face avec des amis, des relations ou des collègues mais remplit aussi les boîtes de réception de notre messagerie en plus de ce que font les sites web et les placards publicitaires. Le partage de l’information-conseil peut concerner la vie personnelle ou professionnelle.

Pour l’entreprise, la prise en compte de cette idée a conduit au marketing de contenu (voir ci-dessus) visant à aider les prospects à comprendre le domaine de l’entreprise et à échanger sur le sujet ; on peut aussi envoyer aux clients une telle information ou les inviter à des manifestations ayant cet objectif.

 2.6Le partage d’histoires remarquables («Trojan Horse Story »)

Les expériences, aventures ou histoires,  spéciales ou remarquables, sont très souvent partagées et objets d’un bouche à oreille intense. Elles peuvent concerner la vie personnelle ou professionnelle et trouvent  leur source, généralement, dans les media. Elles valorisent le narrateur, suscitent l’intérêt des interlocuteurs mais aussi et surtout provoquent des discussions sur les valeurs qu’elles impliquent (ce que l’auteur appelle «  histoire cheval de Troie »).

Pour l’entreprise, la mise en œuvre de cette idée conduit à mettre en valeur les histoires remarquables de ses clients auprès des autres clients et des prospects.

 

  1. Réseaux sociaux et propagation de l’information et de l’influence.

Les réseaux sociaux ne sont pas seulement numériques ;  il y a des réseaux familiaux, des réseaux d’amis, de connaissances, d’anciens élèves ou autres, de collègues etc., réseaux qui incluent les amis des amis, etc.

Nous avons, en effet, tendance à être en réseau avec des gens qui nous ont été ou nous sont proches mais dans tout réseau tout le monde ne connaît pas tout le monde et n’est pas également proches de tout le monde ; il se forme des îlots et des liens plus ou moins forts entre îlots.

La propagation de l’information ou de l’influence est plus directe et rapide à l’intérieur d’un îlot alors que, entre les îlots, elle nécessite de repérer les «ponts-levis», les personnes capables de liens entre îlots.

Par ailleurs, dans chaque îlot, chacun a des liens forts avec certaines personnes (qu’on estime à 4 à 6 personnes)  et des liens plus distendus avec les autres.

Cette configuration des réseaux impose à tout manager de choisir :

-entre stratégies de ciblage ou de saupoudrage (« Sprinkler vs. Waterfall Strategies »).

-entre recours à ses liens forts ou ses liens faibles.

La stratégie du ciblage consiste à concentrer 100 % de ses efforts sur un endroit géographique ou un type de personnes, un îlot, dans l’espoir que les cibles touchées soient de bons « ponts » vers d’autres îlots.

La stratégie du saupoudrage consiste à répartir ses efforts entre plusieurs îlots.

Le critère de choix suggéré par l’auteur est le nombre de prescriptions nécessaires ; un prescripteur peut suffire pour conduire à la lecture d’un article de journal et une stratégie de saupoudrage est alors indiquée ; pour choisir une machine de très haute technologie, des avis multiples de pairs, d’experts, etc. sont nécessaires et donc une stratégie de ciblage.

Concernant le recours au réseau pour diffuser l’information etc. et contrairement à la première intuition, ce sont les liens faibles qui sont les plus à même d’être utiles. C’est avec nos liens forts que nous partageons le plus et le plus librement les bonnes et les mauvaises nouvelles mais nous courons, alors, le risque de limiter la diffusion à un cercle restreint. Chercher davantage à nous valoriser aux yeux de nos liens faibles nous permet d’espérer sortir de notre îlot.

 

Il est sûr que le management du bouche à oreille doit devenir (ou rester) la préoccupation majeure de tout promoteur d’un produit et il est tout aussi sûr que c’est le mode de promotion qui est le plus difficile à maîtriser.

Aucune des idées exposées ci-dessus n’est « révolutionnaire » et chacune est déjà souvent mise en pratique. C’est le panorama synthétique des axes d’action et de leurs fondements qui peut être utile à tout dirigeant et, peut-être, à tout marketeur.

Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 24/11/2016


Contagious: How to Build Word of Mouth in the Digital Age