Vendre ou louer ? Le déclin de la propriété.
Vendre ou louer un bien ? Vendre la propriété d’un bien ou son usage ? La question ne se pose aujourd’hui ! En fait elle se pose surtout aux entreprises qui vendent la propriété de produits. Celles qui vendent l’usage des produits, qui louent leurs produits de quelque manière, n’envisagent aucunement, aujourd’hui, de retourner à la vente de la propriété. Le déclin de la propriété devient une tendance lourde.
Observons la liste suivante de faits et d’évolutions :
-La location professionnelle pour particulier a toujours coexisté avec la vente : pour les biens immobiliers, les moyens de locomotion et de nombreux appareils domestiques ou de bricolage (« Kiloutou », etc.). On constate aujourd’hui que la location tend à s’étendre dans les domaines où elle existait (logement, voiture, appareils divers pour particulier et entreprise, etc.) et à se substituer à la vente en propriété dans des domaines nouveaux (biens d’usage courant : équipement de la personne, jouets, matériel informatique ou électronique, accessoires et vêtements, œuvres d’art, etc.).
-Les particuliers propriétaires sont de plus en plus nombreux à chercher à « partager » leur propriété en la louant, comme en témoignent les succès de Airbnb, Blablacar, Uber et de multiples plates-formes moins connues.
-Dans certains domaines, comme la musique, le cinéma, l’impression de photographies, etc., le support physique de la vente (CD, cassette, imprimante, etc.) tend à disparaître et les producteurs ne vendent plus qu’un accès à leur système de production, le plus souvent par abonnement.
-Ce type d’approche est répandu dans les entreprises depuis un certain temps avec les imprimantes et les copieurs.
-Dans le domaine du logiciel, la tendance a été encore plus nette ; c’est la location, l‘abonnement, qui domine, voire qui prédomine ; c’est ce que l’on a appelé le « Software as a service » (Saas), le logiciel en tant que service. L’utilisateur acquière un accès par internet à un logiciel installé sur les serveurs du fournisseur ou obtient une copie sur sa machine.
-Ce modèle de distribution s’est étendu au hardware pour donner naissance au « Desktop-as-a-Service » (DaaS) ou au « PC as a Service (PCaaS) », l’ordinateur en tant que service, qui propose un poste de travail virtualisé hautement sécurisé et basé dans un centre de données, accessible par un large éventail d’appareils (ordinateurs de bureau, ordinateurs portables, tablettes et les téléphones). C’est ce que pratiquent Oracle, IBM ou encore Microsoft
-Depuis peu, les fournisseurs de matériel informatique, HP en tête, ont lancé le « Device as a Service » (DaaS), proposant une solution informatique complète par abonnement.
-Aujourd’hui, de nombreuses entreprises convertissent leur offre de produit en offre d’abonnement à un service, vendant des mètres cubes d’air plutôt que des compresseurs, des cycles de lavage plutôt que des machines de nettoyage à sec ; etc.
-Enfin, une enquête réalisée par IDC, premier groupe mondial de conseils et d’études sur les marchés des technologies de l’information, enquête réalisée auprès des acheteurs américains de ces technologies et portant sur les PCaaS, a constaté qu’environ 40% de ces acheteurs s’intéressaient déjà activement à ce type de services et que beaucoup prévoyaient de le faire à court terme.
Le rapport à la consommation est en train de changer fortement, pour les particuliers comme pour les acheteurs professionnels. Et aucune entreprise ne peut négliger de prendre en compte cette tendance de quelque manière.
Voyons ce qui motive les utilisateurs de biens à tendre vers l’usage plutôt que vers la propriété.
Nous examinerons ensuite attentivement deux des expériences conduites dans ce domaine et susceptibles d’aider un dirigeant à aborder ce problème.
- Les motivations des utilisateurs.
Tout utilisateur a toujours considéré que la valeur d’un bien tenait aux services que ce bien rendait, à sa valeur d’usage, aux bénéfices fonctionnels, économiques et psychologiques qu’il pouvait procurer. L’appropriation est un élément de cette valeur car elle donne le contrôle du bien acheté dans la durée mais elle présente aussi de multiples inconvénients : le financement de l’achat, des coûts divers : de la personnalisation, de la maintenance, de l’obsolescence, de la mise au rebut, etc.
Certaines situations imposent l’appropriation, mais souvent la seule détention, le droit d’usage, peut suffire et ce droit d’usage s’imposera d’autant plus facilement que jouera en sa faveur le rapport «services espérés / coûts probables à subir » (voir https://outilspourdiriger.fr/besoindesirachat/).
De multiples facteurs tendent aujourd’hui à faire pencher la balance en faveur du droit d’usage.
-La vitesse de l’obsolescence des produits est de plus en plus grande, réduisant sensiblement l’intérêt de l’appropriation en accroissant son coût
-Le coût de la maintenance du produit acheté et de sa mise au rebut est de plus en plus élevé.
-Le besoin du produit personnalisé, du produit adapté à son besoin du moment, est de plus en plus fort, incitant à choisir le « sur mesure » et les solutions « flexibles ».
-Les valeurs dominantes dans la société tendent à faire prévaloir les idées écologistes (refus du gaspillage, recherche du partage, etc.) ainsi que le désir et le pouvoir de l’utilisateur de participer à la définition du produit qu’il recherche.
-La technologie disponible, outils numériques, plates-formes d’intermédiation, etc. facilitent tous les échanges mais les innovations portent particulièrement sur les échanges nouveaux, sur la détention et le partage.
Il est clair que le changement de rapport à la consommation, de la préférence pour la détention, est solide et durable car il repose sur des tendances profondes, des évolutions sociétales, économiques et technologiques, comme le souligne le schéma suivant du Cabinet Deloite :
On peut ainsi repérer les trois types de motivations qui incitent à recourir à la location plutôt qu’à l’appropriation
-La location subie ; location de biens « usés » imposée par les contraintes budgétaires.
-La « frugalité »; choisie comme style de vie ou en application de valeurs écologiques.
-Le choix résultant d’un calcul économique basée sur le rapport «services espérés / coûts probables à subir » et prenant en compte toutes les contraintes et risques.
Ainsi vendre ou louer n’est pas une question théorique oiseuse ; il serait plus juste de dire qu’il est presque trop tard pour se la poser car comme le dit R. Murdoch : “Le monde change très vite. Ce n’est plus le fort qui battra le faible mais le rapide qui battra le lent » («The world is changing very fast. Big will not beat small anymore. It will be the fast beating the slow)
Se poser cette question conduit d’abord à examiner les expériences réalisées. Nous en avons choisi deux ; l’une destinée surtout aux particuliers et l’autre surtout aux entreprises, pour faciliter les transpositions désirées.
- Les expériences réalisées.
Pour une entreprise existante, changer son modèle de vente, passer à la location, proposer son produit comme un « Device as a service » (DaaS) est une décision lourde de conséquence et qui ne peut être prise à la légère.
Mais l’exploration de la question, au moins, ne peut être évitée car les experts prédisent que le choix va devenir rapidement inéluctable (pour les raisons qu’on a présentées ci-dessus).
Cette exploration est nécessairement propre à chaque entreprise mais quelques enseignements utiles peuvent être tirés des expériences déjà réalisées, en particulier de deux d’entre-elles : celle de la location-partage des moyens de mobilité et celle des « DaaS » lancés par les fournisseurs de systèmes informatiques.
2.1. L’expérience de location-partage de moyens de mobilité.
On sait que cette expérience a attiré beaucoup d’utilisateurs mais qu’elle va sans doute disparaître faute d’avoir trouvé son équilibre économique.
Les facteurs qui favorisent la location sont les suivants :
-La variété des durées de la location.
-L’opportunité de louer des véhicules récents et innovants (électriques par exemple) en application de ses valeurs ou pour préparer un achat en propriété.
-La faiblesse du coût de location (tarif+ caution), la proximité et la facilité d’accès à l’offre (outils numériques)
-La faiblesse du risque de pénurie au moment choisi ; la sécurité de l’information sur les disponibilités et des moyens de réservation, la multiplicité des zone de disponibilité et de retour, la multiplicité des bornes de rechargement électriques, l’état des moyens de mobilité disponibles.
-Les motivations mobilisées par la promotion. Il peut être fait recours aux valeurs éco-citoyennes et écologistes mais, en réalité, ce sont surtout les avantages fonctionnels de la location qui ont été mis en avant : la praticité de l’utilisation, l’accessibilité de l’offre, la complémentarité avec d’autres modes de déplacement, etc.
Ces facteurs de succès sont parfaitement transposables à de nombreuses situations, en particulier de location aux particuliers.
On sait, aujourd’hui, que le point faible de l’expérience a été l’absence de contrôle de l’état des moyens de locomotion au moment de leur rendu et sans doute la non-prise en compte de ce contrôle dans le prix de location.
2.2. L’expérience de « DaaS » en informatique.
En matière d’équipement informatique, les coûts de la propriété sont très importants, représentant souvent une part croissante des budgets d’investissement et de fonctionnement d’une entreprise.
On peut repérer les facteurs suivants de ces coûts:
-Coûts élevés des équipements qui font l’objet de perfectionnement et d’obsolescence rapides (remplacement tous les 3 ou 4 ans).
-Coûts élevés de la gestion de l’équipement : de l’approvisionnement, du déploiement, de la formation, du support, de la récupération et de la gestion des actifs matériels, logiciels et numériques.
–Rigidité de la capacité installée au regard des variations d’activité mais aussi des changements de style de travail et d’environnement organisationnel (par exemple, passage de l’horaire fixe au « travailler n’importe où, n’importe quand, avec n’importe quel appareil »).
-Réduction de la productivité et démobilisation du personnel à mesure que l’équipement vieillit ou devient obsolète. (Selon une étude menée par Intel Corporation, les travailleurs des petites entreprises perdent plus d’une semaine de travail par an en raison de PC obsolètes).
-Coûts élevé de la réparation des équipements les plus anciens, dépassant, parfois, le prix d’achat du neuf.
-Coûts et difficultés de la gestion des pannes et des disfonctionnements divers ainsi que des mises au rebut et des récupération des logiciels et fichiers à faire migrer vers le matériel nouveau.
C’est cet ensemble de difficultés et de coûts qui a suscité le changement de modèle d’affaire des fournisseurs de matériels informatiques, les conduisant à créer le « DaaS ».
C’est l’offre faite à l’entreprise « d’externaliser » son équipement informatique (hard et soft) et le cycle de vie de cet équipement (de l’installation au remplacement) en le louant au lieu de l’acheter.
Les avantages de cette location sont les suivants :
-Transformation de l’investissement en dépenses de fonctionnement contrôlées, libérant des capacités de financement pour l’activité principale et réduisant les incertitudes de coûts d’achats et de valeurs de liquidation.
-Obtention de matériel doté du dernier état de la technologie.
–Personnalisation de l’équipement (hard et soft) par choix du client dans toute la gamme du possible.
–Flexibilité de l’équipement : options de l’abonnement permettant d’adapter rapidement, en quantité et qualité, la capacité installée aux besoins de l’entreprise, l’entreprise ne payant que ce dont elle a besoin et quand elle en a besoin.
–Unicité du partenaire responsable : partenaire support du choix de l’équipement, des difficultés de fonctionnement, de la fin de vie et du remplacement de l’équipement et pouvant faite bénéficier l’entreprise de son expertise.
C’est ce qui est très bien et agréablement présenté par HP France http://www8.hp.com/fr/fr/services/daas.html.
C’est aussi ce qu’illustre le tableau suivant, dressé par le directeur de la stratégie de DaaS d’un autre fournisseur :
(Source: C. Annison Director of WW DaaS Operations and Strategy)
L’utilisateur peut choisir tout ou partie des éléments du tableau ci-dessus :
-Équipement : matériel et maintenance.
-Configuration : BIOS, image, outils de gestion, cryptage.
-Déploiement : installer, faire migrer des données, enlever le matériel ancien.
-Premier support : diverses options en ligne ou sur site.
-Flexibilité : options diverses.
-Suivi et gestion à distance du hardware et du software.
-Option supplémentaires : applications, gestion du site web, gestion des emails, antivirus, etc.
-Migrations des sauvegardes et effacement sécurisé des données.
Les fournisseurs affirment que ce type de location est moins coûteux que l’appropriation (inférieur au coût total de possession, « Total Cost of Ownership (TCO) ». Cette affirmation doit être vérifiée par chaque entreprise et pour chaque projet. On peut toutefois admettre que les bases de cet avantage de coût existent, puisque :
-ce type d’offre réalise, en fait, une mutualisation des coûts, une sorte de « coopérative informatique » au service de nombreux « membres ».
-les fournisseurs d’informatiques ont de très grosses clientèles mais la concurrence reste sévère entre eux.
Cette expérience est propre au secteur de l’équipement informatique mais les éléments de la décision sont facilement transposables à toute offre d’équipement pour entreprise ou pour particulier.
Ainsi vendre ou louer tend à devenir une question stratégique importante et urgente pour toute entreprise.
Les indicateurs de la tendance au déclin de la propriété sont nombreux et concordants et des expériences nombreuses sont en cours visant les particuliers comme les entreprises.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 14/08/2018