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Emotions et intelligence émotionnelle au travail. 1

(Source: Mooc edX.  “Empathy and Emotional Intelligence at Work” Greater Good Science Center. Berkeley)

 

Les émotions et l’intelligence émotionnelle jouent un rôle si déterminant dans la vie professionnelle qu’une bonne maîtrise de ce domaine est indispensable à tout acteur au travail et en particulier aux dirigeants et managers.

On sait qu’au travail trois types de compétences sont nécessaires : des compétences purement techniques, des compétences cognitives (capacité d’analyse, d’embrasser un large champ, d’avoir une vision de long terme etc.) et des compétences relationnelles (capacité de travailler avec les autres, de faire accepter le changement etc.).

C’est ce troisième type de compétence que l’on appelle intelligence émotionnelle et qui est reconnue comme la plus déterminante du bien-être et du succès au travail (au point de dire qu’on est embauché pour ses compétences techniques et son quotient intellectuel ou QI et renvoyé pour son incompétence relationnelle et son quotient émotionnel ou QE).

  1. Goleman, inventeur du concept d’intelligence émotionnelle, définit ainsi ses composantes : la conscience de soi (Self-Awareness) ; la maîtrise de soi (Self-Regulation) ; la motivation d’accomplissement (Motivation) ; l’empathie (Empathy) et le savoir-être avec les autres (Social Skill).

(Voir : https://outilspourdiriger.fr/lintelligence-emotionnelle-condition-du-leadership-1/ et 2)

Les auteurs du Mooc source se situent dans la prolongation des travaux de D. Goleman mais centrent leur analyse sur les émotions. Ainsi ils définissent l’intelligence émotionnelle par les quatre composantes suivantes :

-la conscience de ses propres émotions ;

-la régulation de ses propres émotions de manière constructive ;

-la compréhension des expressions émotionnelles des autres ;

-l’utilisation judicieuse de l’intelligence émotionnelle lors des interactions sociales.

Le type de comportement d’une personne est déterminé par sa culture (manières habituelles de penser, de sentir et d’agir) et par ses valeurs (références qui servent de critères de sélection ou d’évaluation des manières de penser, de sentir et d’agir) mais la source du comportement est l’émotion, état affectif ressenti face à un événement de l’environnement, en particulier un événement relationnel.

 

Voyons d’abord ce que sont les émotions et quelle en est la liste. Puis nous verrons comment comprendre et comment autoréguler correctement ses émotions au travail. Enfin nous présenterons un aspect essentiel de l’intelligence émotionnelle au travail : la compréhension des expressions émotionnelles des autres.

Dans un prochain article, nous verrons comment l’intelligence émotionnelle aide à prévenir et régler les conflits interpersonnels au travail ; puis comment l’intelligence émotionnelle contribue au climat social au travail.

 

  1. Les émotions.

Nous ne voyons les personnes et les choses qu’au travers des évaluations que nous faisons via notre culture, nos valeurs, nos attentes et les émotions quelles provoquent en nous (on dira un « beau » coucher de soleil ou un collègue « sympathique », etc.).

Repérons les caractéristiques et les composantes de l’émotion avant d’en voir la liste.

1.1. Les caractéristiques de l’émotion.

Les émotions sont inévitables, vraies (sauf simulation), parfois difficiles à verbaliser, souvent brèves mais parfois durables et rémanentes, indépendantes de la cognition et pour la plupart universelles.

Et elles remplissent deux fonctions : elles déclenchent la réflexion et oriente l’action.

Les composantes de l’émotion

On distingue trois types de composantes : la composante physiologique (ce qui se passe dans notre corps), la composante mentale (ce qui se passe dans notre tête) et la composante expressive (ce que nous laissons « entendre »).

-La composante physiologique.

Les émotions se traduisent par toutes sortes de réactions corporelles allant des mouvements musculaires du visage aux changements du profil cardio-vasculaire. On peut ainsi avoir des effets sur le rythme cardiaque, la tension artérielle, la digestion, les mouvements musculaires, la sécheresse de la bouche, la chaleur ou la froideur des mains et des pieds, le rougissement, la chair de poule, etc. ces effets étant déclenchés involontairement par le système nerveux, le système neuroendocrinien ou le système immunitaire.

-La composante mentale.

Elle est consciente. Ce sont les observations, réflexions, interprétations que nous faisons sur la situation ; le sens que nous donnons à la situation et les décisions que nous prenons.

Les émotions influencent fortement la réflexion et le choix des actions.

Par exemple, pressentir un risque tend à conduire à faire des choix plus sûrs mais aussi incite à adhérer au statu quo alors qu’un changement est nécessaire, ou à éviter le conflit alors que l’injustice est flagrante.

Par contre ressentir une émotion positive tend à inciter à faire de meilleurs diagnostics, à produire plus de travail et de productivité, à réaliser ou accepter plus innovation.

Les émotions passées peuvent aussi influencer la perception et l’interprétation de la situation en cours ainsi que le choix de l’action (« Effet de report »). Des biais de perception peuvent également intervenir.

Par exemple, les émotions positives conduisent à une analyse moins profonde et à une acceptation plus rapide de la situation alors que les émotions négatives incitent à une évaluation plus profonde et plus critique.

Enfin, le style de prise de décision de chacun est plus ou moins rationnel ou intuitif.

-La composante expressive.

Ce sont les signes corporels ou verbaux qui traduisent notre émotion : voix, expression du visage, posture du corps (mimiques diverses, attitudes corporelles de défense ou d’attention, touchers divers, etc.). 

1.2. La liste des émotions.

La seule liste qui fasse consensus est ancienne et comporte les six grandes émotions généralement citées : le bonheur, la tristesse, la colère, la surprise, la peur et le dégoût. Mais des développements sont en cours.

Dans https://outilspourdiriger.fr/les-emotions-du-consommateur/, on trouvera, par exemple, la « roue des émotions » proposée par le psychologue américain R. Plutchik, qui oppose les émotions ci-dessus en quatre paires : joie / tristesse, peur / colère, dégoût / confiance, surprise / anticipation, puis en déduit les autres émotions par combinaison.

Les auteurs du Mooc ont établie clairement une trentaine d’émotions et en particuliers les suivantes :

-les émotions négatives : culpabilité, honte, peur, colère, envie, embarras ;

-les émotions positives : joie, contentement, gratitude, amour, sympathie, respect, beauté.

Mais l’apport principal de leurs recherches est de montrer que l’émotion n’est pas « une île », que chacune est interconnectée à d’autres et plus généralement que les « expériences émotionnelles sont nettement plus riches et plus nuancées qu’on ne le pensait auparavant. »

 

Reconnaître les caractéristiques et les effets des émotions qu’on ressent et distinguer entre les expériences émotionnelles qu’on vit est la première étape de la conscience et de l’intelligence émotionnelles de soi.

 

  1. La conscience et l’intelligence émotionnelles de soi au travail.

La conscience de ses propres émotions au travail et la gestion de ses émotions de manière constructive sont les premières composantes de l’intelligence émotionnelle, comme indiqué plus haut.

Toute expérience de travail produit des émotions résultant des interactions courantes ou de situations exceptionnelles d’accord ou de conflit. Ce sont autant de signaux qu’il faut comprendre pour agir, si possible, de manière constructive.

On sait, maintenant, ce que comprendre doit nous conduire à faire :

-Repérer ce qui se passe dans notre corps (explorer la composante physiologique et les expressions corporelles).

-Repérer ce que se passe dans notre esprit ; ce que la ou les émotions nous disent sur le contexte et l’enjeu de la situation ; ce que nous sommes conduit à faire comme analyse, à porter comme jugement, à décider comme action.

Notons tout d’abord que rejeter ses émotions, les considérer comme étant « hors travail » ne mène nulle part ; outre l’effet dangereux de « rumination », cela conduit à rejeter tout signal permettant une meilleure adaptation à la situation ou une contribution à son amélioration.

La bonne attitude est donc bien de comprendre et si possible de nommer et d’expliquer ses émotions mais aussi de prendre du recul, de la distance avec ses émotions, de pratiquer « l’auto-distanciation ».

Lors de l’émotion, en effet, la tendance est de considérer comme des « vérités définitives » la situation et sa propre réaction, alors que la situation est conjoncturelle et sa réaction influencée par plusieurs facteurs.

L’auto-distanciation, la prise de recul, aide beaucoup à clarifier la compréhension. On sait qu’il vaut toujours mieux tester sa compréhension sur d’autres personnes. Mais les psychologues ajoutent qu’il faut aussi regarder son émotion « à la troisième personne », comme s’il s’agissait d’une autre personne ;

Ne pas utiliser le « je » constitue un changement linguistique qui aide à créer un changement cognitif et émotionnel, nous permettant de prendre une vue plus large et une perspective plus optimiste et constructive sur ce qui s’est passé. Cela réduit l’intensité et la durée de la colère, de la tristesse et d’autres émotions difficiles et encourage à penser en termes plus abstraits permettant une compréhension plus profonde.

 

  1. La régulation de ses émotions au travail

On sait que les émotions influencent la pensée. Mais la réciproque est aussi vraie. La réflexion peut avoir un impact sur l’émotion et, par exemple, la dramatiser ou l’atténuer ou la transformer.

C’est ce que signifie ici le terme de régulation des émotions ; c’est l’autorégulation des sentiments, des pensées et des actions.

Elle s’applique principalement aux émotions négatives qui compromettent le travail personnel et le travail d’équipe. Elle vise à obtenir les effets suivants :

-canaliser le stress ; ce qui soulage et se trouve apprécié par les autres ;

-faciliter le calme et la concentration au travail ;

-améliorer les interactions interpersonnelles et le travail d’équipe ;

-maintenir la motivation pour la poursuite des objectifs.

Les stratégies de régulations utilisables peuvent être diverses.

La principale et la meilleure méthode est de chercher à comprendre et si possible nommer et expliquer ses émotions en prenant du recul (« l’auto-distanciation ») et des avis, comme indiqué ci-dessus.

On peut aussi recourir aux méthodes suivantes :

réévaluer notre première réaction en considérant non pas l’acteur mais le contexte comme facteur de l’émotion et la première réaction comme temporaire ;

résorber l’émotion (négative) en créant les conditions d’une émotion positive (reconnaissance, excuses, etc.) ;

-réprimer l’émotion ou laisser le temps passer et l’émotion s’atténuer puis disparaître ;

Il est clair qu’il s’agit alors d’« échappatoires » qui peuvent provoquer des effets corporels négatifs, des effets de report, et empêcher une meilleure adaptation à la situation ou une contribution à son amélioration.

 

  1. La compréhension des émotions des autres au travail

L’intelligence émotionnelle implique surtout de comprendre les émotions des personnes avec qui nous entrons en relation.

Comme nous, ces personnes expriment leur émotions avec leur corps : via leur visage, leur voix, leurs gestes ; leur toucher, etc. Il faut savoir « lire » ces signaux, mais la compréhension authentique exige davantage : de l’empathie et une écoute active.

4.1. Les expressions émotionnelles des autres.

Chacun a fait l’expérience de la « lecture » des émotions (et des intentions, etc.) sur le visage d’un interlocuteur, sur ses yeux en particuliers et sur ses attitudes corporelles.

On sait aussi, en particulier depuis l’invention du téléphone, que la voix (le ton, le rythme, les éclats) est aussi un vecteur très fin des émotions, peut-être plus précis que le visage.

Enfin, à l’heure des emails, des sms et des réseaux sociaux, on commence à reconnaître les émotions contenues dans les textes.

Au-delà du visage et de la voix, voire des textes, d’autres modalités sont régulièrement utilisées pour exprimer les sentiments. Le corps « parle » de plusieurs manières. On peut distinguer des gestes « illustrateurs » (mains, tête, sourcils, posture, etc.) pour donner de l’énergie visuelle à son discours ou en atténuer la rigueur ; des gestes « auto-adaptateurs », souvent inconscients et qui manifestent la nervosité (toucher du visage, mouvements de jambes ou de bras, morsure de la lèvre, grattage de la tête, etc.) ; des gestes « emblématiques» (lever ou baisser de pouce, gestes divers de la main, etc.) pour souligner l’accord, la paix, la victoire ou les inverses.

Reste enfin le toucher via la main ou l’embrassade comme signal d’émotion, toucher qui dépend de la culture du milieu où il se pratique (travail, amis, sport, etc.).

4.2. Empathie et écoute active.

4.2.1. L’empathie

L’empathie est la capacité « d’entrer en résonnance » avec une autre personne et peut se faire de deux manières qu’on appelle empathie affective et empathie cognitive.

-L’empathie affective concerne les sensations corporelles involontaires ou les réactions physiques internes que nous avons face aux émotions des autres. Cette empathie est quasi-innée. Voir bailler, pleurer, rire, etc. peut nous conduire involontairement à faire de même. Assister à la tristesse d’un collègue retentit dans notre corps parce qu’elle rappelle notre propre expérience de la tristesse et rend ainsi le collègue « source » de notre propre tristesse. Notons, cependant, qu’on peut aussi l’ignorer (apathie) ou réagir en proposant de l’aide (préoccupation empathique).

-L’empathie cognitive est généralement définie comme la façon dont nous percevons les sentiments des autres et comprenons leurs points de vue et raisons ; elle s’acquière par expérience et apprentissage.

C’est ce qu’on appelle aussi « l’attitude de compréhension » qui se résume dans la phrase « si je vous entends bien, vous pensez que… est-ce bien cela ? » ; on cherche vraiment à comprendre l’interlocuteur (pas à juger, ni à interpréter, ni à décider, ni à consoler, ni à vérifier) et à l’aider à voir clair en lui-même ; en se mettant à sa place , en facilitant son expression, et en soumettant ce qu’on comprend à son approbation par la reformulation. Chacun a pu éprouver personnellement les effets positifs de cette attitude sur sa confiance et son désir de coopérer. C’est dire l’importance de cette attitude pour chacun et en particulier pour le dirigeant ou le manager.

 (Voir https://outilspourdiriger.fr/lattitude-du-dirigeant-avec-le-dirige/ )

Pratiquer l’empathie conduit à :

-prendre le temps de s’intéresser aux autres en écartant ses préjugés et biais ;

-se centrer sur les émotions des autres sans les comparer aux siennes ;

-vouloir partager des expériences émotionnelle avec d’autres, par profession ou par goût ;

-pratiquer une écoute active authentique.

4.2.2. L’écoute active au travail.

L’écoute active ou empathique consiste à dédier délibérément son attention à ce que l’autre a à dire, pour se connecter aux émotions qu’il éprouve.

Cela conduit à suivre les recommandations suivantes :

-Adopter le langage corporel qui montre l’intérêt et l’attention portés à l’autre ;

Repérer l’émotion qui se cache derrière les mots et vérifiez l’exactitude de la compréhension par des questions ouvertes et par la reformulation ;

-Exprimer l’empathie si l’autre exprime des sentiments négatifs ; s’efforcer de valider ces sentiments négatifs plutôt que de questionner ou de se défendre ;

Éviter le jugement. L’objectif est de comprendre le point de vue de l’autre personne et de l’accepter tel qu’il est, même si on n’est pas d’accord ;

– Évitez de donner des conseils. La résolution de problèmes sera probablement plus facile lorsque l’interlocuteur ne se sentira plus seul devant le problème. Passer trop rapidement au conseil peut être contre-productif.

Encourager, exprimer le soutien et offrir l’aide.

Ce n’est qu’à l’issue de ce processus qu’on peut jouer son rôle de leader :

-rôle de « prophète » (l’avenir sera beau, etc.)

-rôle d’ « instituteur » (c’est possible, facile de faire…. etc.)

– rôles de « gendarme » (le risque est fort etc.)

 

Chacun reconnaît, ici, une série d’idées qui lui sont familières parce que vécues plus ou moins intuitivement ou implicitement. En avoir une présentation explicite et précise aide à mieux comprendre et à agir plus intelligemment, ce qui est attendu de tous et du dirigeant et manager en particulier.

 

NB : Dans un prochain article nous verrons comment l’intelligence émotionnelle aide à prévenir et régler les conflits interpersonnels au travail et comment l’intelligence émotionnelle contribue au climat social au travail.

 

Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 17/11/2019