Devenir entrepreneur social, c’est entreprendre dans le domaine situé entre le secteur public et le secteur marchand.
C’est entreprendre sans but lucratif, pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux importants mais non satisfaits par les secteurs public et privé.
C’est aussi, devenir intrapreneur dans les entreprises privés soucieuses de leur impact social et environnemental.
Dans un article précédent nous avons traité les deux premières étapes de la démarche : les sources d’inspiration et le choix de ce qu’on rêve d’entreprendre.
Cet article ci concernera l’élaboration du modèle d’affaire du projet. On explorera les quatre choix suivants :
– Choisir son modèle économique
– Choisir son statut juridique
– Choisir son modèle de financement.
– Vaincre la peur de l’échec.
Un fois définie la mission sociale souhaitée, c’est-à-dire le domaine d’action et l’impact visé sur ce domaine, il faut donner à la mission une forme plus précise et présentable (prototype) pour pouvoir la tester auprès de personnes compétentes puis, éventuellement, solliciter des financeurs.
La mission sociale peut être choisie librement mais les façons de la réaliser (clients, produits, financement, etc.) doivent tenir compte des contraintes du milieu et être de nature à produire l’impact recherché.
Préciser le domaine d’action et l’impact recherché doit conduire dans un premier temps à ses poser trois questions principales : Quoi ? Pour qui ? Comment ?
Quoi ? C’est le choix du domaine (réduction des inégalités, inclusion sociale etc.) et du terrain d’action.
Pour qui ? Quels sont les bénéficiaires prévus de l’action et quels sont les financeurs.
Comment ? Quelle est l’offre prévue (produit, service, etc.) et quels sont ses avantages par rapport aux offres existantes.
On peut répondre tout seul à ces questions mais il vaut mieux tester les réponses avant de les mettre en œuvre.
On peut tester ses réponses auprès des proches ou des experts mais rien ne vaut l’avis des bénéficiaires et des financeurs et il vaut mieux changer d’idée que d’aller vers l’échec.
- Choisir son modèle économique
3.1. Les éléments d’un modèle économique
Une définition plus opérationnelle du projet exige de définir le modèle économique qu’on va mettre en œuvre.
Ce modèle est une adaptation aux entreprises sociales du modèle d’affaire de A. Osterwalder et Y. Pigneur.
Il se résume dans le schéma ci-dessous. :
-En haut du schéma, on définit la mission sociale choisie, la définition des besoins à satisfaire.
-La partie centrale droite définit la « commercialisation » : les impacts visés, les clients, les bénéficiaires, les modes de distribution et les partenaires relationnels.
-La partie centrale gauche définit l’offre : les produits et services proposés, les activité clés de production, les ressources clés nécessaires et les partenaires stratégiques
-En bas, on prévoie les revenus et les coûts.
La définition de chacune des cases du canevas ne peut être opérée qu’en progressant dans les recherches et les tests ; et la prévision retenue pour chaque case a un impact sur les autres cases.
On a compris que c’est un processus itératif qui se construit pas à pas et exige de la cohérence.
Voyons les questions à se poser pour remplir chaque case. On distinguera d’une part la partie droite du modèle, qui concerne la « commercialisation » et les revenus, de la partie gauche qui concerne la « production » et les coûts.
3.2. La « commercialisation ».
Pour cette partie du modèle, les questions à se poser sont les suivantes :
-Quels impacts sur les bénéficiaires sont-ils attendus et en quoi ils différent des autres offres existantes ?
-Qui sont les bénéficiaires de l’offre ; quels sont leurs besoins ; combien peuvent-ils être ; peuvent-ils payer ou faut-il trouver d’autres financeurs ?
–Comment entrer en relation avec les bénéficiaires ; quels moyens de leur faire connaître l’offre et quels canaux de distribution retenir ? Faut-il recourir à un distributeur intermédiaire ?
-Quels revenus espérer de l’offre ; revenus de vente, de location, d’abonnement, de licence, de courtage, de mécénat, de subventions publiques, etc., l’idéal étant d’être le moins possible dépendant du mécénat et des subventions.
Il est clair qu’il ne s’agit pas d’imaginer les réponses mais de les établir par enquête, par rencontre avec les bénéficiaires, par consultation d’experts, etc.
3.3. La « production »
Pour cette partie du modèle, les questions à se poser sont les suivantes :
-Quelles activités clés mettre en œuvre ? Ce peut être produire des biens, fournir des services, mettre en relation etc.
-Quelles ressources, humaines, physiques et financières, sont nécessaires ? Concernant les ressources humaines, y aura-t-il des rémunérations ou des dédommagements à prévoir. Faudra-t-il un local pour produire ou recevoir. Faudra-il financer des activités ?
-Quels partenaires clés sont nécessaires ? Y-aura-il besoin de fournisseurs, de prescripteurs, de financeurs ?
On peut, en effet, avoir besoin de réduire les coûts en externalisant tout ou partie de l’activité. On peut chercher à compléter son offre, à établir un partenariat pour réduire les risques du démarrage, à établir des relations avec des fournisseurs de ressources rares, etc.
-Quelle va être la structure de coût, c’est-à-dire quels vont être les types de dépenses nécessaires au bon fonctionnement du projet ?
En général, on distingue deux types de coûts : les coûts fixes et les coûts variables. Les coûts fixes sont les coûts indépendants du niveau d’activité. Ce sont les coûts de l’existence de l’entreprise sociale (loyer, salaires et autres frais de l’existence). Ils sont fixes pour leur totalité.
Les coûts variables varient avec le volume de l’activité mais ils plutôt fixes à l’unité.
Voilà deux « fixités » bien utiles pour la prévision de la « rentabilité » de l’offre.
-Quel est le plan prévisionnel de financement initial de l’entreprise sociale et comment va évoluer la trésorerie ?
Il s’agit là des sources principales d’échec par « asphyxie » de trésorerie
Le modèle économique est un très bon moyen de s’obliger à ne rien oublier et à vérifier la cohérence du projet.
Mais l’établissement de ce modèle exige la démarche plus prévisionnelle suivante :
– partir des besoins minimums à satisfaire ;
– définir les moyens de faire connaitre et de livrer l’offre minimale ;
– chiffrer les coûts fixes et variables de ce premier projet ;
– définir le revenu nécessaire pour couvrir ces coûts et la rémunération des financeurs.
Selon les résultats de cette première prévision, on peut considérer que le projet sera trop difficile à développer et à pérenniser ou, au contraire, qu’une plus grande ambition est permise.
- Choisir son statut juridique
Les statuts offerts au choix sont divers et les principaux sont : l’association, la coopérative, la société commerciale.
Le choix conditionne les modalités de décisions, le statut du fondateur, les financements, la fiscalité, le partage des bénéfices, etc. Il faut choisir au début mais retenir qu’on pourra en changer si nécessaire.
Questions à se poser pour décider du choix :
-le projet est-il fondé sur une activité marchande ou sur des subventions publiques ? Dans le premier cas on pense à la société commerciale ou la coopérative.
-le financement externe, privé ou public, est-il nécessaire ? Dans tous les cas une place doit-elle être réservée aux financeurs dans la prise de décision et le partage des recettes.
-le projet prévoit-il de compter sur des bénévoles ou des salariés ? L’association est plus adaptée au bénévolat.
-les fondateurs veulent-ils assurer leur statut de dirigeants ? L’association est alors le forme la moins adaptée.
Pour conclure, le choix de l’association est sans doute le meilleur pour le démarrage du projet mais le changement s’imposera avec le développement du projet.
- Choisir son modèle de financement.
Le choix se situe d’abord entre formes de financements classiques et formes de financements dédiés à l’économie sociale et solidaire.
Si le projet ne pourra pas rémunérer ou rembourser ses financeurs, il faut recourir aux prêts bancaires et surtout aux aides publiques, au crowdfunding ou au mécénat.
En phase de lancement, il faut explorer les dispositifs publics d’aide à la création (France Active, BPI France, Fonds social européen, Pôle Emploi, investisseurs providentiels) ainsi que les possibilités de mobiliser des fonds auprès des proches (Love Money).
Puis, ou en même temps, on peut recourir au financement participatif (« crowdfunding ») d’une part et, d’autre part, au mécénat d’entreprise, de fondations, d’association ou de personne qui peuvent trouver le projet utile socialement ou utile à leur image.
Les capitaux-risqueurs commencent aussi à s’intéresser aux entreprises sociales et à offrir, en plus du crédit, une aide à la création ainsi que l’aide d’un réseau d’entrepreneurs et d’actionnaires expérimentés.
- Convaincre ses investisseurs
Tout financeur tendra à attribuer un financement sur la base des critères principaux suivants :
-la pertinence du projet ; c’est-à dire, le degré de connaissance du domaine d’action et l’évaluation de l’impact social ;
-la viabilité du modèle économique, en particulier des hypothèses admises ;
-la personnalité de l’entrepreneur, sa vision, sa capacité de leadership, ses compétences, l’équipe qui l‘entoure.
Les critères principaux d’un fonds de capital-risque social concernant les entreprises sociales, sont les suivants ;
-la qualité de l’entrepreneur et de son équipe ; c’est-à dire la qualité de leur vision et leur capacité d’exécution ;
-le potentiel de création d’un marché nouveau et d’un impact social ;
-la motivation de l’entrepreneur social à privilégier l’impact social de son action ;
-la qualité de la présentation du projet : qualité de la définition et de la mesure de l’impact, pertinence des moyens retenus, fondements des prévisions de résultats.
Attirer l’attention et entrainer l’adhésion à son projet d’un investisseur ou, plus souvent d’un groupe d’investisseurs réunis pour choisir parmi divers projets, et ce en une dizaine de minutes, est une épreuve redoutable.
On sait quelle sont les conditions du succès mais il est difficile de les réunir.
Le début de la présentation du « pitch » doit accrocher l’attention en recourant au storytelling (narration d’une histoire) qui cite en premier le défi principal relevé, l’utilité de la future offre, la détermination à monter le projet.
(Voici un exemple : nous trouvons intolérable que… ; nous nous sommes acharnés à chercher… ; nous avons une solution viable et pérenne… )
La présentation des études fondant le projet, le « comment faire » et les impacts attendus sont à faire à l’aide de quelques documents visuels
L’ensemble de l’exposé doit montrer la passion pour le projet, le désir de réussir.
La phrase terminale doit montrer l’intérêt d’associer l’image de l’investisseur au succès.
- Vaincre la peur de l’échec.
S’il y a passion pour un projet et ambition de réussir, il n’y a pas de raison d’hésiter.
L’avenir est une terre vierge et on peut expérimenter, commencer avec de petits moyens, définir ce qu’on accepte de perdre éventuellement mais provisoirement.
On réduit la peur de l’échec en découpant en étapes le chemin à parcourir ; on peut ainsi rapidement percevoir qu’on doit changer de chemin ou célébrer le succès de l’étape et l’envie de poursuivre.
On réduit aussi la peur de l’échec en travaillant en équipe.
Source : https://www.coursera.org/learn/entrepreneur-changement/home.
Pour aller plus loin : la rubrique « Création » du blog comporte 76 articles ; en voici une sélection.
https://outilspourdiriger.fr/de-lidee-au-prototype-selon-la-wharton-school/
https://outilspourdiriger.fr/devenir-entrepreneur-les-conseils-du-mit/
https://outilspourdiriger.fr/mit-24-etapes-pour-creer-une-entreprise/
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Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur. A. Uzan. 25/09/2023