(Source = C. Kim, R. Mauborgne . INSEAD. http://hbr.org/2014/05/blue-ocean-leadership/ar/1)
Tout dirigeant d’organisation sait bien que son plus grand défi est de mobiliser ses collaborateurs, de réduire l’écart, parfois le gouffre, qui sépare un potentiel de talents et d’énergie et son utilisation réelle au service de l’organisation.
Mais tout dirigeant sait aussi que cette mobilisation ne peut s’obtenir par la seule « force du statut », qu’une capacité de leadership est nécessaire, une capacité d’entrainer l’adhésion mobilisatrice.
Après avoir longuement exploré les qualités et compétences personnelles nécessaires au leader, au dirigeant ou au créateur d’entreprise on tend plutôt, aujourd’hui, à se centrer sur
ce qu’il doit faire pour réussir.
(Voir les articles : « Leadership », «L’entrepreneur : des qualités innées ou des compétences acquises ? », « Les compétences nécessaires au créateur d’entreprise » « Compétences et performance du dirigeant »),
C’est la démarche adoptée par C. Kim et R. Mauborgne, par ailleurs auteurs de la « Blue Ocean Strategy ». Après des années de recherches sur le leadership, ils présentent une méthode visant à définir les activités qu’un leader doit pratiquer pour réussir et illustre cette méthode par une application particulière, celle du « British Retail Group »
Voyons quelles hypothèses ils adoptent et quelles méthodes ils préconisent pour établir les activités que les leaders doivent pratiquer pour réunir les conditions du succès.
- Les hypothèses admises.
On peut les décrire ainsi :
1.1. Il est plus facile et plus productif de
changer les activités d’un manager que sa personnalité.
En général, aucun manager ne souhaite être inefficient mais ceux qui le sont n’ont pas une claire vision de ce qu’il faut faire ou changer pour gagner en leadership.
Longtemps la formation a visé à changer les valeurs, traits de personnalité et styles de comportement mais les changements recherchés sont très longs à obtenir et les résultats non assurés comme en témoignent les innombrables études sur le faible degré d’engagement des salariés dans l’entreprise.
En fait, ce n’est pas sur « l’être du leader » qu’il faudrait se centrer mais sur le «
faire du leader », sur les activités à réaliser pour obtenir l’adhésion des autres et les résultats recherchés. C’est ce qui compte vraiment et c’est plus facile à changer rapidement que la personnalité.
1.2. La capacité de leadership doit être développée à
tous les niveaux de management.
Généralement les entreprises concentrent leurs efforts sur le développement de la capacité de leadership des hauts dirigeants mais la clé du succès est d’avoir des leaders performants à tous les niveaux de direction ; « en haut », « au milieu » et surtout à la « frontière » de l’entreprise, là où s’établit le contact avec les clients et les fournisseurs.
1.3. Le leadership n’est
pas une qualité indépendante de la situation, voire des hommes concernés.
L’attitude de compréhension et de soutien en est la base mais dans certains cas (danger, urgence, faute, etc.) c’est un leadership plus directif qui doit prévaloir et dans tous les cas il faut obtenir l’adhésion sur les objectifs à poursuivre ; c’est ce qui fait dire qu’un leader est à la fois « un prophète, un instituteur et un gendarme ».
1.4. Il est fructueux de voir le leadership comme un
service « acheté » ou « refusé » par les autres.
Dans toute organisation, chaque leader a des « clients » à servir : son supérieur à qui il doit rendre des comptes et ses subordonnés qu’il doit guider et aider. Sa pratique du leadership est soit acceptée, motivante, « achetée » par ses clients, en particulier par ses collaborateurs, soit elle suscite un plus ou moins grand désengagement.
1.5
– Les
subordonnés doivent contribuer à la définition des actes nécessaires à l’exercice du leadership.
La fonction d’un manager est définie par la haute direction et les résultats de l’action du manager contrôlés par un supérieur hiérarchique. Normale dans une entreprise, cette pratique peut, cependant, conduire le manager à servir surtout son supérieur et à négliger ses subordonnés alors que le succès ou l’échec de ces derniers est largement tributaire du leadership pratiqué. On doit alors admettre que l’adhésion et la mobilisation des subordonnés seront d’autant plus grandes qu’ils auront été invités à contribuer à la définition de la fonction de leur manager.
- La méthode de travail mise en œuvre au « British Retail Group »
Le projet a été conduit par une dizaine de
hauts managers reconnus comme bons leaders, équipe partagée en 3 sous-groupes pour enquêter auprès de 3 niveaux de management : la haute direction, le management du « milieu » et celui de la frontière de l’entreprise.
L’objectif du projet était double :
recenser le type et l’intensité des activités pratiquées par les managers telles que ces activités étaient vues par leurs « clients » (supérieurs et subordonnés) ; puis
définir la liste des activités nécessaires d’après les mêmes clients et les exemples significatifs donnés par d’autres entreprises.
Lors de cette deuxième étape, la méthode a consisté à repérer quelle activité pratiquée il fallait éliminer, réduire, renforcer ou créer (voir la « Blue Ocean Leadership Grid ») et à définir 2 à 4 profils d’activités par type de niveau.
Et lors d’une dernière étape, ces profils souhaités ont été soumis à une
discussion générale pour, finalement, sélectionner un profil par type de niveau et un programme de mise en œuvre progressive.
L’élaboration du projet a donc recouru aux principes suivants, conditions de la crédibilité, de la confiance et de l’adhésion :
-Utiliser des
cadres supérieurs respectés comme fer de lance du processus pour signaler l’importance de l’engagement de la direction
-Faire
participer les intéressés à la définition des profils nécessaires pour créer la confiance et l’adhésion.
-Faire
participer tout le monde à la
décision finale.
–
Vérifier la mise en œuvre des nouveaux profils lors de réunions mensuelles.
- Activités pratiquées et activités nécessaires des managers
Les résultats ont été éclairants ; 20% à 40% des activités pratiquées par les leaders des 3 niveaux posaient question à leurs « clients », supérieurs ou subordonnés ; et 20% à 40% des activités jugées importantes par les clients n’étaient pas pratiquées par les managers.
Les graphiques suivants présentent les
résultats obtenus pour chaque niveau :
-En Noir = le profil des activités pratiquées avec leur intensité (haute-moyenne-basse)
-En blanc = le profil des activités nécessaires
Et dans tous les cas, les profils se « croisent » indiquant l’
inadéquation.
3.1. Activités pratiquées et activités nécessaires des managers de la “frontière ».
Intitulés des activités : de gauche à droite
Transmet les demandes des clients à son manager – Produit des données pour les rapports d’activité
Recherche l’approbation de ses décisions – Remplit les documents et faits les rapports
Traite les problèmes de sous-performance – Connait personnellement chaque collaborateur
Coache chaque collaborateur vers le succès – Donne à chacun les informations pertinentes
Définit et partage clairement des objectifs réalistes – Félicite et récompense pour des résultats positifs Clarifie la stratégie et la manière de la réaliser.
Alors que la courbe des activités pratiquées pouvait être résumée par «
Plaire au supérieur », la courbe des activités nécessaires doit être résumée par « L’essentiel =
servir le client ». Le leader doit consacrer l’essentiel de son temps à coacher ses collaborateurs vers le succès, en les formant, les aidant, leur donnant les informations pertinentes, définissant des objectifs réalistes, récompensant pour des résultats positifs, clarifiant la stratégie et la manière de la réaliser.
3.2. Activités pratiquées et activités nécessaires des managers du « milieu ».
Intitulés des activités : de gauche à droite
Désigne plusieurs responsables d’une même initiative – Demande des rapports fréquents et détaillés.
Exige plus de conformité aux procédures – Exige justifications des décisions prises et les revoie.
Passe beaucoup de temps avec la haute direction – Créé un environnement favorable à l’apprentissage.
Explique clairement la stratégie suivie – Encourage les managers du « front » à déployer leur savoir-faire.
Coach ses subordonnés – Etablit les objectifs en accord avec ses collaborateurs.
Fait partager les meilleures méthodes de travail – Ajuste les récompenses aux résultats.
Alors que la courbe des activités pratiquées pouvait être résumée par «
Controller et jouer la sécurité », la courbe des activités nécessaires doit être résumée par «
Libérer, coacher et déléguer ». Le leader doit consacrer l’essentiel de son temps à créer un environnement favorable à l’apprentissage ; expliquer clairement la stratégie suivie ; encourager les managers du « front » à déployer leur savoir-faire ; coacher ses subordonnés ; faire partager les objectifs et les méthodes de travail ; ajuster les récompenses aux résultats.
3.3. Activités pratiquées et activités nécessaire des hauts managers.
Intitulés des activités : de gauche à droite
Renforce les exigences de procédures – Résout les problèmes opérationnels et éteint les incendies.
Coordonne les managers du « milieu » – Résout les problèmes administratifs et répond aux e-mails.
Conduit le renforcement des capacités opérationnelles – Traite les sous-performances.
Coache et incite à lui faire rapport – Expose la vision de l’entreprise et ce que cela signifie pour chacun.
Crée une stratégie convaincante – Explique clairement la stratégie retenue.
Prévoit le futur probable et ses implications – Prépare le plan des changements à introduire.
Supprimer les blocages bureaucratiques.
Alors que la courbe des activités pratiquées pouvait être résumée par «
Survivre chaque jour », la courbe des activités nécessaires doit être résumée par «
Déléguer et définir le futur ». Le leader doit consacrer l’essentiel de son temps à coacher ses collaborateurs, exposer la vision de l’entreprise, créer et expliquer une stratégie convaincante, prévoit le futur probable, préparer le plan des changements à introduire et supprimer les blocages bureaucratiques.
La méthode peut apparaître « dangereuse pour l’autorité établie » mais il est difficile de ne pas reconnaître son efficace utilité pour la définition de la fonction de manager et le bon fonctionnement de l’entreprise.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A.Uzan. 15/05/2014
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