Source: Mooc EDX “Platform Strategy for Business” M. Van Alstyne Professor Boston University
co-auteur de “Platform Revolution: How Networked Markets Are Transforming the Economy—and How to Make Them Work for You.”
Viser à créer son entreprise, c’est le plus souvent aujourd’hui, viser à créer sa plate-forme d’intermédiation. On sait aussi (https://outilspourdiriger.fr/la-revolution-des-gafa-2/) que les entreprises traditionnelles vont devoir aller vers la plate-forme d’intermédiation et recherchent des compétences dans ce domaine.
C’est dire que tout dirigeant actuel ou potentiel doit développer ou construire sa boîte à outils dans ce domaine.
C’est l’objectif de cette série d’articles inspirés d’une source d’informations particulièrement remarquable.
Après « La révolution des GAFA », un deuxième article (https://outilspourdiriger.fr/creer-sa-plate-forme-dintermediation-1/) a porté sur l’identification des choix de base à faire et sur les méthodes visant à attirer les utilisateurs, à faciliter leurs rencontres et leurs échanges et à développer la plate-forme en diversifiant ses services.
L’article présent est consacrée à la monétisation et au degré « d’ouverture » de la plate-forme ; reportant les questions de stratégie au prochain article.
- La monétisation
C’est l’un des problèmes les plus difficiles pour toute plate-forme : monétiser, facturer, est une condition de survie mais qui rentre en contradiction avec une autre condition de survie : le développement de l’effet de réseau. Cet effet exige l’attraction des utilisateurs, le développement de leur nombre et de leurs interactions alors que, en principe, facturer tend à réduire l’attraction, voire à provoquer l’abandon. Un dilemme difficile à surmonter et qui exige de se poser les bonnes questions : quels services rendus peuvent être facturés, quels participants peuvent être facturés, sans réduire les effets de réseau positifs ou en réduisant les effets de réseau négatifs (voir https://outilspourdiriger.fr/creer-sa-plate-forme-dintermediation-1/).
Notons tout d’abord deux principes clés dans ce domaine :
-la priorité doit être donné au développement de l’effet de réseau et donc à la croissance de l’utilisation de la plate-forme avant tout souci de monétisation ; ce qui conduit souvent, au début, à pratiquer, plus ou moins, la gratuité ou la quasi-gratuité ;
-la monétisation sera d’autant plus difficile, sinon impossible, si l’échange des unités de valeur et de la rétribution ne se produit pas via la plate-forme.
Explorons les trois questions principales de ce domaine : Quels services sont facturables ? Quoi facturer ? Qui et comment facturer ?
1.1. Les services facturables
On peut considérer qu’une plate-forme peut fournir quatre grands types de services facturables : l’accès aux « unités de valeur », l’accès à la communauté des participants, le bénéfice de la facilitation des interactions, le bénéfice de la qualité de l’interaction.
– l’accès aux « unités de valeurs » offertes (l’objet proposé à l’échange) concerne les consommateurs ;
– l’accès à la communauté des participants concerne les producteurs ou les fournisseurs tiers ;
– le bénéfice des outils et des services qui facilitent l’interaction concerne producteurs et consommateurs ;
– le bénéfice de la qualité des interactions (confiance dans les unités de valeur et les partenaires) concernent également producteurs et consommateurs.
1.2. Quoi facturer
Repérons les conditions de la facturation des quatre services facturables.
1.2.1. Facturer la transaction.
Cette voie est simple et elle est attrayante en cas de transaction standard à forte fréquence. Mais elle ne peut réussir qu’à trois conditions ;
– que la facturation soit faite à l’issue de l’interaction, ce qui ne décourage pas la participation à la plate-forme et lie la facturation au service rendu ;
– que la plate-forme s’assure que la transaction ne se réalise pas en dehors d’elle, par accord direct entre les partenaires ; la plate-forme doit alors trouver le moyen d’empêcher temporairement les participants de se connecter ou créer les outils qui facilitent l’opération par son intermédiaire.
– que la somme facturée soit un pourcentage faible de la valeur échangée.
1.2.2. Facturer l’audience.
L’accès à la communauté d’utilisateurs de la plate-forme peut être facturé à des producteurs tiers qui veulent seulement faire connaître leur offre ou leur demande de produit ou service et conquérir une audience. Ce système n’est viable que si le contenu ajouté est vu par la communauté concernée comme ajoutant de la valeur pour elle et non comme une « publicité non désirée ». Ce type de facturation n’est, par ailleurs, possible qu’une fois une large audience construite.
1.2.3. Facturer l’accès à des outils et services spéciaux.
Ce n’est pas l’accès normal à la plate-forme qui est facturé mais un accès amélioré par des outils ou services qui facilitent la production des unités de valeur, les recherches de ces unités ou de partenaires et les interactions.
Ce système n’est viable que si tous les participants :
-peuvent faire facilement la distinction entre un contenu mis en évidence parce que payé et un contenu mis en évidence par sa notoriété spontanée (transparence=confiance) ;
-n’ont pas l’impression que l’accès normal est restreint pour faire place à l’accès payé.
1.2.4. Facturer le bénéfice de la qualité de la curation
L’effet de réseau n’est pas lié au seul nombre de participants mais aussi à la qualité des interactions possibles. Sur les plates-formes importantes on peut constater que la qualité du contenu tend à baisser nettement et on peut alors être prêt à payer pour accéder à des partenaires et des offres moins nombreux mais de qualité.
1.3. Qui et comment facturer
1.3.1. Facturer tous les utilisateurs.
On commence généralement par attirer l’utilisateur par la gratuité :
-en offrant l’essai temporaire gratuit ; essai généralement limitée dans le temps et ne donnant accès qu’aux fonctionnalités de base ; puis en proposant l’accès payant à toutes les fonctionnalités et tous les outils ;
-en offrant l’accès « freemium » (mélange de free et de premium) ; offre gratuite pour attirer des clients dans l’espoir de les voir accepter l’offre « premium » plus complète mais payante.
La transition de la gratuité à la tarification doit respecter les conditions suivantes :
-éviter de facturer les unités de valeur précédemment gratuites ;
-ajouter des services qui justifient la facturation.
Dans certains cas, plutôt rares, on ne fait d’emblée qu’une offre premium ou de luxe lorsqu’on vise à attirer des participants qui aiment ou ont besoin de se retrouver « entre soi », à l’instar de certains clubs.
1.3.2. Facturer les producteurs et subventionner les consommateurs ou l’inverse.
Ce système implique que c’est la présence d’une des catégories qui attire l’autre ; ce peut être le cas des consommateurs subventionnés pour attirer les producteurs à facturer ; celui des femmes subventionnées pour attirer les hommes ou l’inverse, etc.
1.3.3. Facturer tous les utilisateurs mais subventionner les utilisateurs « stars » ou les « sensibles » au prix.
Certains utilisateurs, en particulier des producteurs d’unités de valeur, leaders d’opinion ou développeurs par exemple, ont une compétence et une notoriété très attrayantes pour les utilisateurs actuels ou potentiels de la plate-forme. C’est pourquoi, ils sont choyés ou sollicités par la plate-forme.
Il en ira de même de certains utilisateurs dont la participation est recherchée sinon nécessaire mais dont les ressources financières sont faibles.
Ainsi, décider qui et quoi facturer revient à rechercher un optimum entre engendrer les recettes indispensables et réduire quasi inéluctablement l’attraction de la plate-forme.
Dans cette recherche, on peut prendre en compte les principes suivants :
-favoriser l’utilisateur le plus attractif (les femmes par exemple pour attirer les hommes ou l’inverse) ou l’utilisateur le plus créateur de valeur (les leaders d’opinion, les développeurs d’application pour attirer les utilisateurs d’applications, etc.)
-retenir le principe du fondateur d’Alibaba : « Si nos clients ne gagnent pas d’argent (ou équivalent), nous ne gagnerons jamais d’argent. »
-facturer aux utilisateurs la valeur qu’ils tirent de la plate-forme et le faire à la fin de la transaction.
- Fermer ou ouvrir la plate-forme ?
C’est aussi pour la plate-forme une question de prise en compte de contraintes contradictoires et donc d’optimisation difficile entre degré de contrôle du fonctionnement et rythme de développement.
Définissons les enjeux avant de présenter les types d’ouverture possibles
2.1. Les enjeux
On sait qu’une plate-forme est une infrastructure conçue pour faciliter les interactions de qualité entre producteurs et consommateurs d’« unités de valeurs»; qu’en principe, elle commence par offrir une interaction de base puis tend à développer d’autres types d’interactions.
Elle peut être « fermée » ou « ouverte » et évoluer d’un état vers l’autre.
On dit qu’une plate-forme est «ouverte» dans la mesure où :
-aucune restriction n’est imposée à son utilisation, à son développement ou à sa commercialisation ;
-les restrictions qu’elle impose (normes techniques, paiement, autorisation, etc.) ne sont pas discriminatoires ni dissuasives.
C’est, en effet, que la valeur d’une plate-forme ne dépend pas seulement de la pertinence de ses choix et de la qualité de son personnel ; elle dépend aussi de la participation de ses utilisateurs et de celle de partenaires extérieurs, tels que les développeurs d’extensions ou les intégrateurs de l’unité de valeur dans leur produit.
Aussi le choix du degré d’ouverture de la plate-forme est-il un choix difficile mais crucial.
Fermer la plate-forme en instituant des contrôles stricts sur la participation des utilisateurs et des partenaires extérieurs permet un fort contrôle de la qualité, de la propriété de la plate-forme, de l’orientation de la plate-forme, de l’avantage concurrentiel et de la monétisation. Par contre, cela constitue, généralement, un obstacle important à l’adaptation aux besoins des utilisateurs, au développement, voire à la survie de la plate-forme.
Ouvrir très largement encourage la participation et l’innovation de partenaires, facilite l’utilisation, la promotion et la distribution. Par contre elle rend la plate-forme plus tributaire des autres et moins apte à contrôler la qualité des utilisateurs et des applications, la monétisation, voire la propriété de la plate-forme.
Il y a là un compromis difficile à maîtriser. Les expériences passées tendent à montrer que si la fermeture est nécessaire au début, c’est l’ouverture, au moins partielle, qui facilite le succès.
Ce sont les développeurs de la plate-forme qui conçoivent, mettent en œuvre et affinent les fonctionnalités de base de la plate-forme et les outils qui facilitent les interactions mutuellement satisfaisantes. Mais d’autres types d’acteurs peuvent contribuer puissamment aux améliorations et innovations s’ils peuvent bénéficier d’un accès plus ou moins ouvert à la plate-forme et à son infrastructure : les utilisateurs, les développeurs d’extensions, les agrégateurs de données.
2.2. L’ouverture aux utilisateurs.
L’ouverture de cet accès peut concerner la production d’unités de valeur dans la plate-forme (réseau social, par exemple) ou le droit d’intégrer l’unité de valeur dans une production extérieure à la plate-forme (logiciel pour PC ou smartphone, par exemple).
C’est une condition importante du développement de l’effet de réseau mais la recherche du contrôle de la qualité des interactions et de la sauvegarde de la propriété conduit souvent à rejeter l’ouverture complète et à mettre en œuvre des processus de curation.
Cette curation s’appuie sur le dépistage des contenus ou utilisations indésirables et sur des curateurs ou sur la rétroaction des utilisateurs. Sachant qu’aucun système de curation n’est infaillible, la plate-forme doit y consacrer beaucoup de temps et de ressources techniques et humaines
2.3. L’ouverture aux développeurs d’extensions ou applications.
C’est l’une des décisions difficiles que le manager de plate-forme doit prendre et réexaminer à la lumière de l’évolution de ses résultats.
Les développeurs d’extensions cherchent à améliorer le fonctionnement de la plate-forme en vendant ou louant leurs extensions à la plate-forme ou aux utilisateurs.
Cette facilitation du fonctionnement est recherchée par la plate-forme mais l’optimum est difficile à trouver :
– Si la plate-forme est trop fermée et rend difficile pour les développeurs d’extension de vendre leurs produits ; la plate-forme perdra l’opportunité de fournir des services supplémentaires à ses utilisateurs ;
– Si la plate-forme est trop ouverte, cela peut provoquer les offres de développeurs de mauvaise qualité ou en trop grand nombre et créer de l’incertitude chez les utilisateurs, voire réduire les revenus de la plate-forme.
Les plates-formes totalement fermées ou totalement ouvertes sont rares, la plupart protègent leurs systèmes de base et contrôlent leur ouverture aux extensions.
2.4. L’ouverture aux agrégateurs de données.
Les agrégateurs de données améliorent la fonction d’appariement entre producteurs et consommateurs de la plate-forme en cumulant des données provenant de plusieurs sources. Avec l’accord de la plate-forme, ils collectent les données relatives à l’activité des utilisateurs de la plate-forme, les agrègent à d’autres données disponibles et les revendent comme outils de marketing à d’autres entreprises, les partageant avec la plate-forme ainsi que les profits générés.
Les résultats de promotion bien ciblée peuvent être considérés comme utiles par certains utilisateurs mais, le plus souvent, ils sont jugés comme traduisant une surveillance intolérable des comportements. Eu égard au développement de l’activité de ces agrégateurs, la plate-forme doit trouver le bon équilibre entre les aspects utiles et les aspects éthiques.
2.5. Les limites de l’ouverture.
Pour une plate-forme, un acteur extérieur peut être une ressource ou une menace selon la valeur de son apport.
Aucune plate-forme ne peut laisser une entreprise externe contrôler une fonctionnalité qui est source principale de valeur pour ses utilisateurs ; ni laisser une entreprise devenir une plate-forme concurrente. Elle doit alors racheter l’application concernée ou créer une application équivalente.
Dans les autre cas, la plate-forme devrait encourager les apports des utilisateurs ou développeurs extérieurs en développant des outils à leurs intentions.
Ainsi, manager une plate-forme conduit à optimiser les effets de contraintes contradictoires dont la principale est l’effet de réseau ; accepter une réduction de cet effet pour monétiser, accepter une certaine perte de contrôle pour accroître cet effet.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur. A.Uzan. 3/05/2018
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