La raison d’être d’une entreprise.
La raison d’être d’une entreprise est une notion qui a toujours été présente à l’esprit de tout dirigeant, souvent de façon implicite, il est vrai, mais plus ou moins formalisée dans les actions de promotion.
Par la loi PACTE (2019), les pouvoirs publics ont souhaité, mais non imposé, que cette notion devienne explicite, comporte des éléments nouveaux et figure dans les statuts.
Examinons d’abord les effets de la loi Pacte sur la notion de raison d’être. Puis nous présenterons une dizaine de présentations de « raison d’être ». Enfin nous montrerons que la raison d’être d’une entreprise n’est pas ce qu’elle fait aujourd’hui ni ce qu’elle fera demain mais pour qui et pourquoi elle le fait.
- Les effets de la loi Pacte.
Elle stipule que les sociétés peuvent créer ou modifier leurs statuts en y inscrivant une raison d’être « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
Le rapport N.Notat – JD.Senard (« L’entreprise objet d’intérêt collectif ») qui a inspiré cette réforme avait fait les deux recommandations principales suivantes :
– Ajouter à l’article 1833 du Code civil : « La société doit être gérée dans son intérêt social (propre), en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
– Compléter le code de commerce ainsi « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise, et veille à leur mise en œuvre, conformément à l’article 1833 du Code civil ».
Le rapport précise que le rôle premier de l’entreprise n’est ni la poursuite de l’intérêt général qui demeure du ressort de la loi, ni la recherche du seul profit à court terme, mais la satisfaction des attentes qui s’adressent à elle, en particulier en matière de défis environnementaux et sociaux, par les « parties prenantes » que sont les personnes et les groupes qui subissent un risque du fait de son activité.
Le rapport ajoute que l’entreprise doit prendre conscience que sa « raison d’être » n’est pas réductible au profit. En plus de la recherche de l’efficacité économique, elle doit prendre en considération les enjeux et les effets sociaux et environnementaux de son activité et de contribuer ainsi à créer un système économique responsable.
On a compris que le souci d’introduire cette notion dans le droit relève d’abord d’une motivation politique et on peut s’étonner qu’à l’heure où il est demandé aux pouvoirs publics de ne pas rester ou devenir entrepreneur on demande à l’entreprise de contribuer à l’action publique, accroissant ainsi la confusion des rôles.
Mais des effets juridiques peuvent également découler de l’introduction de la notion de « raison d’être » dans les statuts. (Source : https://www.village-justice.com/articles/loi-pacte-vade-mecum-raison-etre-des-societes,32196.html
La raison d’être n’est ni l’objet social d’une société (l’ensemble des activités qu’une société entend exercer), ni son intérêt social (l’intérêt commun des actionnaires), ni la raison de l’engagement des associés fondateurs. Mais en intégrant les statuts, elle devient contractuelle, aura la même force normative et contraignante que les autres dispositions statutaires et s’imposera aux dirigeants comme aux associés.
Ces effets juridiques interviendront dans la relation direction-associés de la société mais également dans les rapports avec l’extérieur.
Par exemple, la raison d’être incluse dans les statuts s’imposera au dirigeant social et toute violation de cette raison d’être par le dirigeant serait de nature à constituer une faute de gestion.
Autre exemple, la raison d’être pourrait être opposable aux tiers en cas d’OPA si l’initiateur d’une offre est jugée contraire à la raison d’être de l’entreprise.
Enfin, des associations de protection de l’environnement, de défense des droits humains etc. pourraient poursuivre des dirigeants sociaux pour méconnaissance de la raison d’être de la société, si aucune clause des statuts n’écarte cette possibilité.
Désormais donc, si une société décide de se doter d’une « raison d’être », elle doit préciser comment elle entend réaliser son l’objet social eu égard aux enjeux sociaux et environnementaux de son activité et quels principes économiques, moraux et éthiques elle retient pour guider sa stratégie et ses actions.
L’analyse des premières réalisations dans ce domaine montre deux tendances majoritaires visant à éviter les effets juridiques :
– La définition de la raison d’être est placée en préambule des statuts de la société, à l’instar de la pratique des contrats d’affaires.
– La rédaction est générale et abstraite, sans indication d’actions ou de responsables particuliers.
- Exemples de formulation de la raison d’être.
Voici comment une dizaine d’entreprises présentent leur raison d’être.
Michelin.
Offrir à chacun une meilleure façon d’avancer.
Etre parmi les entreprises leaders de la mobilité durable, les plus innovantes, responsables et performantes au monde.
La responsabilité sociétale du Groupe est incarnée par sa stratégie de Développement et Mobilité Durables (DMD). Elle vise à faire de Michelin l’une des entreprises les plus innovantes, responsables et performantes dans l’exercice de toutes ses responsabilités : économiques, environnementales, sociales et sociétales.
L’innovation fait partie de l’ADN de Michelin. Elle nous permet de proposer des solutions qui répondent au mieux aux besoins de tous nos clients, durablement.
Vivre ensemble l’aventure d’une meilleure mobilité en pratiquant les valeurs de respect des clients, des employés, des actionnaires, de l’environnement et des faits. C’est la démarche que nous mettons en œuvre partout.
Atos.
Notre mission est de contribuer à façonner l’espace informationnel.
Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique.
Partout dans le monde, nous permettons à nos clients et à nos collaborateurs, et plus généralement au plus grand nombre, de vivre, travailler et progresser durablement et en toute confiance dans l’espace informationnel.
Danone
Nous croyons que chaque fois que nous mangeons et nous buvons, nous votons pour le monde dans lequel nous voulons vivre. Parce que nous rendons notre modèle d’entreprise plus fort et que nous faisons vivre notre double projet économique et social, nous sommes convaincus que nous atteindrons les objectifs opérationnels et financiers que nous nous sommes fixés et que nous réussirons à créer de la valeur durable et à la partager avec tous.
Notre vision ‘One Planet. One Health’, nous guidera à travers la révolution de l’alimentation. Nous voulons confier à nos salariés le pouvoir d’inventer notre avenir commun et d’en être co-responsables. Je suis convaincu que c’est en conférant à chacun le statut de salarié actionnaire de l’entreprise que nous pourrons faire converger les intérêts dans une perspective de long terme.
Maif,
Réaliser des produits et services au bénéfice de l’homme et de la planète, agir en collaboration avec tout notre écosystème pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation.
Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions. C’est notre raison d’être. »
Decathlon.
Rendre accessible au plus grand nombre le plaisir et les bienfaits du sport.
Cette mission s’appuie sur deux valeurs immuables : la vitalité et la responsabilité des collaborateurs.
C’est aussi orienter son développement et ses actions en faveur du développement durable et de projets citoyens tout en garantissant la sécurité des clients et des collaborateurs à travers le monde.
Qui dit vitalité et « plaisir et bienfaits du sport » dit innovation technique.
Qui dit « au plus grand nombre » dit prix attractifs et accessibilité du produit
Qui dit responsabilité dit développement durable
Qui dit responsabilité et vitalité dit management responsabilisant
Carrefour,
Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous, à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous. »
Essilor-Luxottica
Améliorer la vision pour améliorer la vie.
Aider chacun à mieux voir, mieux être pour profiter pleinement de la vie.
Cette mission s’appuie sur le fonctionnement d’un modèle commercial ouvert, sur l’innovation, sur la refonte du parcours du consommateur et sur le développement durable.
SNCF
Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète.
-rendre accessible le transport, en proposant des solutions diverses de mobilité partout sur le territoire ;
-informer en temps réel, sur toutes les solutions de mobilité possibles.
-donner l’opportunité d’avoir toujours accès à la solution de mobilité la plus respectueuse de l’environnement.
Notre entreprise se prépare chaque jour à renforcer son efficacité, à améliorer ses performances, sans faire de compromis sur la responsabilité dans un dialogue transparent avec ses parties prenantes.
Le Medef,
Agir pour une croissance responsable.
Royal Canin
Parce que nous croyons que les animaux de compagnie rendent le monde meilleur, nous concevons un monde meilleur pour eux.
Nous nous consacrons à la nutrition santé et notre innovation se nourrit des remontées de nos partenaires et de nos observations constantes des pensionnaires de notre centre animalier.
Quasi toutes les présentations font une référence plus ou moins « appuyée » aux enjeux sociaux et environnementaux et énoncent les principes économiques, moraux et éthiques qui guident leurs stratégies.
Et toutes, bien sûr, affirment leurs ambitions en matière de développement.
Une seule, par contre, utilise le « je », Danone, mais dans une phrase qui n’exprime pas un engagement.
On remarquera surtout qu’aucune ne centre sa raison d’être sur la réalisation de ses produits ou services en cours.
C’est que la raison d’être d’une entreprise n’est pas ce qu’elle fait aujourd’hui, ni même son secteur d’activité actuel ; c’est « pour qui et pourquoi » elle le fait.
- La raison d’être d’une entreprise.
En principe c’est la cause véritable et profonde de l’existence d’une entreprise.
Chacun a entendu ou lu des formulations du genre suivant :
-ma raison d’être est de concevoir et de produire des machines à café de qualité et de les distribuer avec des consommables d’exception.
-ma raison d’être est d’acheter et de vendre des matières aromatiques pures et naturelles, présentant une qualité olfactive maximale pour satisfaire les besoins de ses clients.
Ces formulations décrivent le « faire » du moment mais pas la cause, la motivation initiale, de la création de l’entreprise ni n’explique les variations d’activités qu’elle a connues ou pourra connaître.
Lors de la préparation de la création, il a bien fallu se poser les questions du « pour qui et pourquoi ».
Le créateur a pris appui sur ce qu’il savait faire mais n’a pu entraîner l’adhésion et réaliser la vente de son produit ou service qu’en persuadant le prospect de la pertinence du produit comme solution à son problème. C’est vérifier que son savoir-faire, son faire, peut produire les effets positifs attendus chez le client qui est le déterminant de la création. C’est bien le « pour qui et pourquoi » qui est la raison d’être.
Pour le fabricant de machines à café, la « vrai » raison d’être est de donner à des prospects un plaisir et une occasion de convivialité autour d’un distributeur de boissons chaudes. Et en plus d’être pertinente, cette définition de la raison d’être est féconde en innovations car elle peut conduire à imaginer de produire d’autres types de boissons, pour d’autres types de prospects et d’offrir d’autres formes de convivialité dans d’autres lieux de consommation, etc.
Ajoutons que ce n’est pas l’appât du gain, le profit, qui est la raison d’être première de la création comme du développement de l’entreprise ; le créateur accepte souvent de faire des pertes pour exister et l’entrepreneur cherche à être rentable pour rémunérer ses « parties prenantes » et se développer.
Toute activité entrepreneuriale se réalise en considération de plusieurs contraintes : la rentabilité, l’enjeu social, l’enjeu environnemental, etc. et selon les moments de la vie de l’entreprise, c’est telle contrainte qui prédomine (par ex. le profit à court terme) ou telle autre ; mais la raison d’être reste stable.
Cette raison d’être, ce n’est pas le profit qui n’est qu’une conséquence du savoir-faire ; ce n’est pas non plus « l’intérêt général » (bien-être des salariés ou respect de l’environnement, etc.) ; c’est le service rendu par l’entreprise à ses clients et la mobilisation de ressources pour cette mission. Et c’est seulement si le service est pertinent et rentable que « l’intérêt général » peut être satisfait et, par exemple, que les « parties prenantes » peuvent être rémunérées correctement ; que sont conçus et diffusés des produits innovants permettant aux clients et à la société d’agie de façon plus écologique, etc.
Les pouvoirs publics doivent exiger de l’entreprise qu’elle respecte des règles dans ses relations avec ses parties prenantes, qu’elle assume ou compense ses externalités négatives, qu’elle respecte telle ou telle obligation d’intérêt général, etc.
Mais chercher à réglementer la « raison d’être » de l’entreprise dans une économie de marché n’a pas grand sens et peut devenir contre-productif pour l’intérêt général.
On comprend mieux pourquoi la loi Pacte a choisi le souhait plutôt que l’obligation et pourquoi la plupart des entreprises ont cherché à éviter les effets juridiques de l’inclusion de la raison d’être dans les statuts.
Disons que son principal apport dans ce domaine a été d’obliger les entreprises à formuler plus explicitement leur raison d’être.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 3/11/2019