Le modèle d’entreprise (Business model)
Un outil de pilotage stratégique
Tout chef d’entreprise a pour fonction de conduire son entreprise vers la réalisation de la vocation choisie et la réussite de la stratégie retenue.
La
vocation est l’affirmation des intentions et ambitions de l’entreprise concernant la nature de son activité, son métier, les fins qu’elle veut poursuivre (croissance, indépendance, puissance, etc.) et les moyens qu’elle privilégie (coûts, innovation, service, flexibilité, climat social, partenariat, etc.)
La
stratégie est la définition des axes d’actions pour réaliser ces volontés ; c’est un choix entre les trois stratégies génériques (domination par la taille, par la différentiation, par concentration sur une niche) et aussi entre diversification et spécialisation, intégration et externalisation, croissance interne et croissance externe ou alliances.
Il est sûr qu’il n’y a pas de pilotage délibéré sans définition de vocation et de stratégie mais définir ces deux éléments ne garantit pas la réussite. Deux types d’obstacles se dressent sur la route du pilote :
– les
menaces extérieures sur sa « position concurrentielle » ;
– les
menaces intérieures : rigidité de ses capacités ; perte de cohésion ou d’hommes-clés.
Anticiper ces obstacles pour les surmonter ou en amortir les effets nécessite de disposer :
-d’un système de veille sur les indicateurs d’obstacles probables ;
-d’un outil permettant de préparer les adaptations stratégiques.
Voyons en quoi peuvent être utiles le concept de Modèle d’entreprise et ses développements.
Voici le canevas présenté par A.Osterwalder & Y.Pigneur dans « Business Model Generation »
Source « (
http://fr.slideshare.net/coachdavender/le-canevas-de-modele-daffaires
Le schéma décrit bien l’entreprise comme processus physique et processus financier :
-l’entreprise est, en effet, un «
transformateur » d’entrées provenant de partenaires extérieurs en sorties destinées à des clients, après transformation par des activités utilisant des ressources ;
-c’est, aussi, un flux de revenus généré par les sorties « face » à des coûts générés par les entrées, les ressources et les activités.
Le schéma distingue bien les
deux ensembles principaux de pièces qui constituent le « puzzle-entreprise» et les
relations qui lient chaque ensemble :
-l’ensemble de droite indique que le flux de revenu résulte d’une offre (proposition de valeur), à un segment de clients, en recourant à des canaux de distribution et en établissant des relations avec les clients ;
-l’ensemble de gauche indique que les coûts résultent de toutes les activités de l’entreprise ; des fournitures livrées par des partenaires extérieurs et de l’utilisation des ressources humaines et techniques.
Il ne s’agit donc pas d’une simple description mais d’un
« modèle » de l’entreprise, d’une représentation simplifiée composée de variables déterminantes et de variables déterminées, d’actions à entreprendre et de résultats à espérer ; et son intérêt majeur est de servir de
guide à tout constructeur de projet en « l’obligeant » à s’interroger sur les choix possibles de chaque variable et sur la
cohérence de ses choix.
Présentons chacune des pièces du « puzzle » comme le fait l’auteur, c’est-à-dire de façon très synthétique et voyons comment utiliser ce canevas pour générer les adaptations nécessaires.
- Le Modèle
1.1. Le segment de marché.
Il s’agit, ici, de définir le ou les segments du marché que l’entreprise veut servir ou conquérir.
Un segment est un ensemble de clients potentiels homogènes selon un ou plusieurs critères importants pour l’entreprise : par exemple : selon le degré de « besoin » du client; le degré de rentabilité de l’offre en raison de l’importance de la demande ou du prix ; la plus ou moins grande facilité de vendre par tel ou tel canal de distribution; etc.
1.2. L’offre et ses avantages (« Value Propositions » ou proposition de valeur)
Ici, l’objectif est de définir l’offre proposée à un segment de marché ; c’est-à-dire, de définir la manière dont l’entreprise se propose de satisfaire tel ou tel besoin de ce segment.
L’entreprise doit offrir un produit ou un service ou une combinaison de deux que le segment de marché puisse considérer comme une bonne, sinon la meilleure, réponse à ses attentes ; pour l’une ou une combinaison des raisons suivantes : l’offre est une innovation radicale et attendue par lui; elle plus ajustée à ses besoins ; elle permet de réaliser plus de gains de productivité, de réductions de coûts ou de risques ; elle donne plus de garantis ou plus de « distinction sociale », etc.
1.3. Les canaux de distribution
L’entreprise doit choisir une manière de mettre son offre à la disposition des prospects de son segment de marché. Ce peut être par création de canaux propres ou par recours à des canaux indépendants ou par une combinaison des deux modalités.
1.4. La gestion de la relation avec le client.
Il s’agit, ici, pour l’entreprise ; de définir comment elle choisit de gagner, fidéliser et stimuler (« booster ») les clients et prospects de son segment de marché.
Ce peut être en rendant des services plus ou moins personnalisés (le client peut recourir à un correspondant dans l’entreprise, sur le point de vente ou dans un centre d’appel) ; en permettant le self-service et/ou en automatisant la livraison ou le rendu du service ; en constituant des communautés de clients; en sollicitant les clients pour co-créer des produits et services ; etc.
1.5.
Le flux de revenus (chiffre d’affaires)
L’entreprise peut générer son flux de revenus de plusieurs manières ; par la vente d’un bien ou du droit d’utiliser un bien ou une source de service ; par la location, la licence d’utilisation, le courtage, l’offre de supports de publicité.
Par ailleurs l’entreprise peut choisir entre deux politiques de prix
-les prix affichés fixes ou dépendant de variables données, tels que le volume, les suppléments, etc.
-les prix négociés selon la situation du marché, la période (soldes) ou des enchères, etc.
1.6. Les ressources clés.
Il s’agit des ressources clés requises par la production, la distribution, la relation avec le client la promotion et la génération des flux de revenus.
Ces ressources peuvent être appropriées ou loués par l’entreprise et constituer des avantages concurrentiels d’autant plus importants qu’elles sont rares, difficiles à imiter ou sans substitut. Mais c’est la combinaison de ces ressources par des capacités organisationnelles qui en font la valeur.
1.7. Les activités clés
Ce sont les activités les plus importantes exigées par la production, la distribution, la relation avec le client, la promotion et la génération des flux de revenus.
1.8. Les partenaires clés
L’entreprise tend à nouer des alliances avec des partenaires pour réaliser des économies d’échelle réductrices de coûts, pour réduire les risques et incertitudes ou pour partager les coûts d’acquisition de ressources onéreuses ou les coûts de fonctionnement de certaines activités.
Les partenariats peuvent être des alliances avec des non-concurrents, des coopétitions avec des concurrents, des « Joint ventures », des partenariats avec des fournisseurs.
1.9. Les coûts de l’existence et du fonctionnement.
Chacune des pièces du puzzle vues ci-dessus génère des coûts ; des coûts variables avec l’activité et des coûts fixes dépendant de l’existence de l’entreprise et des capacités installées.
Toute entreprise cherchera à obtenir les réductions de coûts fixes permises par l’accroissement de la taille de l’offre (économies d’échelle) mais chacune peut avoir à choisir entre les deux stratégies suivantes :
-réduire ses coûts fixes au maximum pour pouvoir réduire les prix, etc. (« cost-driven ») ;
-accroître ses coûts fixes par accroissement de la qualité et des prestations pour attirer les clientèles plus déterminées par la qualité que par le prix (« value-driven »).
1.10. Un modèle qui souligne l’essentiel.
La schématisation faite par le « modèle » ci-dessus permet de prendre une vision claire des facteurs de succès de l’entreprise et, si nécessaire, on peut chercher à préciser les facteurs en décomposant chaque variable en ses composantes par exemple, décomposer la variable « relation avec le client ».
Le modèle indique bien les deux ensembles de variables à ajuster, l’ensemble «
commercialisation- offre » et l’ensemble «
fournisseurs-production-offre ». Il indique que les variables internes à chaque ensemble ne doivent pas être contradictoires et il rappelle que la survie et la croissance dépendent de la différence entre revenus et coûts.
- Menaces et voies d’adaptation.
2.1. Les menaces à détecter
2.1.1. Les menaces
extérieures
Les types de menaces extérieures, bien connus grâce à M. Porter, sont les suivantes :
-L’intensification de la
concurrence directe, lancée, par exemple, par le leader du marché ou résultant de l’arrivée d’un nouveau concurrent.
-L’accroissement du pouvoir de négociation des
clients, provoqué par une concentration ou une intégration amont, ou par l’apparition d’un approvisionnement de substitution ou d’un règlement.
-L’accroissement du pouvoir de négociation des
fournisseurs, provoqué par une concentration ou une intégration aval ou par l’apparition d’un client de substitution.
-L’apparition d’un produit de
substitution nouveau et compétitif aux yeux des prospects.
-L’apparition d’
innovations concernant les modes de produire, de vendre, d’organiser et de manager pratiqués dans l’entreprise
-La naissance d’un
changement plus ou moins brutal de règlementation, de valeur culturelle, de structure socio-économique, d’équipements collectifs, etc.
2.1.2. Les menaces
intérieures.
Elles concernent les trois aspects suivants :
-La détérioration de la
cohésion interne ou du climat social provoquée par certains comportements de la direction ou des cadres (négligence du management), par l’apparition de conflits (décision nouvelle mal acceptée) ou de craintes quant à l’avenir de l’entreprise.
-L’
obsolescence des capacités installées (techniques ou humaines) provoquée par leur « rigidité » face à un environnement changeant et, en particulier, aux innovations.
-La
perte d’une ressource clé technique ou humaine.
2.2. Les voies d’adaptation à explorer.
Les changements extérieurs recèlent des menaces mais aussi des opportunités.
2.2.1 Adopter une nouvelle attitude stratégique.
Elle consiste à préparer systématiquement le changement en explorant les opportunités tendant à s’ouvrir.
– Chaque stratégie adoptée par les concurrents a ses faiblesses : par exemple, les tenants de la domination par les coûts ne s’intéressent qu’aux ventes en grosses quantités, ce qui affaiblit leur adaptabilité au client.
– Chaque évolution des besoins et motivations des clients ou de l’environnement fragilise les situations acquises et ouvrent des opportunités aux opportunistes !
Dès lors, renforcer sa compétitivité sur son marché en cours reste nécessaire mais ne peut être suffisant.
L’adaptation à la nouvelle situation doit être préparée et avoir les visées suivantes :
– Conquérir un
nouveau segment de marché en étudiant les « non-clients » de son marché ou les clients des autres industries.
– Modifier son offre en
ajustant son mix « produit-services » ou en adaptant son produit à la nouvelle hiérarchie des motivations du client.
– Préparer une stratégie de
différenciation mais avec prix modéré.
2.2.2. Préparer un nouveau Modèle d’entreprise.
C’est là que le « modèle » est le plus utile en servant de guide aux étapes suivantes de l’élaboration du
projet :
-Imaginer un nouvel ensemble « commercialisation-offre ».
Quels besoins et clients nouveaux satisfaire ? Avec quelle offre ? En utilisant quels canaux de distribution et quels types de relations avec les prospects et clients ? Quels chiffres d’affaires espérer ? Etc.
– Explorer les effets des hypothèses précédentes sur l’ensemble « fournisseurs-production-offre ».
Quelles conséquences sur les capacités installées (ressources techniques et humaines), les activités, les relations avec les partenaires et les coûts ? Quelles nouvelles ressources et activités nécessaires ?
– Vérifier la faisabilité, la validité, la rentabilité du nouveau modèle.
– Explorer si le nouveau modèle peut coexister ou pas avec le modèle en cours, etc.
2.2.3. Désigner un chef de projet et son équipe.
Le point le plus délicat est la
composition de l’équipe permanente initiale.
Sachant que cette équipe peut consulter, réunir, faire décider, si nécessaire, les dirigeants, les cadres et les spécialistes de l’entreprise ou des experts extérieurs, il vaut sans doute mieux que les décideurs actuels ne fassent pas partie de l’équipe permanente.
Une des pistes possibles serait de réunir les responsables des études dans chaque fonction de l’entreprise (par exemple : R et D, méthodes, qualité, marketing, contrôle de gestion) et d’adjoindre au chef de projet un expert extérieur chargé de stimuler et de catalyser la créativité.
» Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A.Uzan.18/02/2013
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