menace réside dans la capacité croissante de ce nouveau type d’innovateur de s’ouvrir de larges possibilités de se passer des fabricants. La ressource réside dans la capacité des entreprises innovatrices à mettre en œuvre de nouvelles formes de collaboration avec les utilisateurs-innovateurs et en particulier les formes suivantes : –repérer les leads-users pour produire et vendre leurs innovations ou innover avec eux ; -aider ces « leads users » et les communautés d’utilisateurs-innovateurs à réaliser leurs projets en leur proposant des « boites à outils » ou des « plates-formes de produit ». Nous verrons comment E.Von Hippel présente ces deux axes d’action après avoir souligné la contrainte principale à surmonter pour innover.
- Les contraintes de l’innovation.
-première conception de solution fondée sur les connaissances et informations disponibles ;
-prototype physique ou virtuel de la solution conçue ;
-test du prototype en situation d’utilisation prévue et enregistrement des résultats ;
-analyse des résultats pour repérer les réussites et les erreurs (ce qui n’a pas été prévu) ;
-utilisation du nouvel apprentissage pour améliorer la solution, etc.
Les sources d’échecs sont multiples mais surtout, comme on dit aux USA « garbage in, garbage out » ; tout dépend de la qualité des deux types principaux d’informations nécessaires ; celles relatives au besoin à satisfaire y compris le contexte d’utilisation de la solution (pour qui et pour faire quoi et à quel moment ?) et celles relatives au type de solution technique adéquate (quelle technologie retenir ?).
Les utilisateurs ont, généralement, une connaissance plus précise et plus détaillée de leurs besoins que les fabricants alors que les fabricants ont une connaissance bien meilleure de l’approche de la solution.
Mais il n’est pas facile de réunir ces deux types d’informations qui sont « visqueuses », « collées» aux personnes ou aux collectivités qui les détiennent parce que secrètes ou tacites ou trop complexes et, dans tous les cas, difficiles à exprimer clairement et coûteuses, voire impossibles, à transférer d’une personne ou collectivité à une autre.
C’est pourquoi, lorsqu’un fabricant innove, il cherche à développer rapidement un premier prototype partiel du produit pour le soumettre le plus vite possible au test de l’utilisateur qui connait bien le besoin; ce dernier qui connait mal la technologie retenue va faire des observations dans son langage, ce que le fabricant tentera de prendre en compte, etc. Cette itération peut réussir mais les échanges sont difficiles, coûteux et non assurés du succès même lorsque les deux parties coopèrent.
Cette viscosité de l’information explique aussi la tendance de chaque type d’acteur à s’appuyer largement sur son point fort ; les utilisateurs, sur leur connaissance du besoin et du contexte d’utilisation, pour satisfaire des besoins nouveaux ; les fabricants, sur leur connaissance des solutions, pour améliorer la satisfaction des besoins connus.
C’est ce que montrent plusieurs études et en particulier le tableau 5.1 ci-dessous, comparant les types d’innovations apportées respectivement par les utilisateurs et les fabricants sur le fonctionnement de deux grands types d’instruments scientifiques ; les utilisateurs ont eu tendance à développer de nouvelles fonctionnalités des instruments alors que les fabricants ont eu tendance à rendre les fonctionnalités en cours plus faciles à utiliser ou plus fiables
On comprend mieux pourquoi les entreprises ont besoin de l’aide des utilisateurs pour innover et des utilisateurs-innovateurs en particulier.
- Repérer les leads-users et coopérer avec eux.
Les concepts de produits générés par et avec les lead users (« LU product concepts ») se sont révélés beaucoup plus nouveaux que les Non-LU ; plus originaux et conformes aux besoins du client et estimés porteurs de meilleurs résultats commerciaux prévisionnels : part de marché double des autres et chiffres d’affaires 10 fois supérieurs. Par contre, 41 de 42 concepts de produits générés par des méthodes non-LU étaient des améliorations ou des extensions de gammes de produits existants.
D’autres études ont depuis confirmé ces résultats et souligné l’intérêt pour les entreprises d’intégrer à leur processus d’innovations la recherche systématique des innovations générées par les leads-users.
Il faut, ici, distinguer selon que le lead-user travaille en amont de l’innovation ou sur le marché de l’innovation commercialisée. Les premiers sont les plus féconds mais les plus difficiles à repérer.
Par exemple, pour un industriel de l’automobile cherchant à innover en matière de freinage, les leads- users les plus féconds se trouveront parmi les ingénieurs qui ont travaillé sur le freinage des avions ou des automobiles de course, etc. c’est-à-dire dans des « domaines analogues avancés » (« in Advanced Analog Fields ») ; et on peut les repérer en recourant aux experts ou aux évènements pertinents.
Les leads-users du deuxième type, ceux travaillant à l’amélioration des produits commercialisés, sont plus faciles à trouver car ils se rassemblent souvent en communautés dans des sites ou lors d’événements. Il est alors plus facile d’observer ce qui se dit, se propose ou s’annonce et de s’en inspirer ; on peut même organiser ce type de collaboration par des séminaires ou équivalents.
On notera ici que le recours aux leads-users est particulièrement fécond lorsque l’entreprise cherche à concevoir des produits nouveaux qui exigent une très grande connaissance du besoin de l’utilisateur et du contexte d’utilisation ; la méthode traditionnelle, avec ou sans collaboration de prospects, reste valable pour les projets d’amélioration des produits existants ou des technologies en cours.
Admettre l’idée qu’en matière de connaissance des besoins, les utilisateurs sont de meilleurs experts que les fabricants et que la communication entre utilisateurs et fabricants ne sera jamais parfaite conduit à tenter une stratégie complémentaire à celle de trouver des leads-users.
- Aider à créer et canaliser la création.
Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A.Uzan. 31/08/2015
>