L’entreprise agile est l’objet de nombreux travaux. On sait qu’il n’y a, à ce jour, aucune définition faisant consensus mais que l’adjonction de l’adjectif agile à l’entreprise ne laisse aucun doute sur le sens à lui donner ; Il s’agit de réduire les « rigidités » propres au modèle de management hiérarchique traditionnel devenu inadapté au monde économique d’aujourd’hui.
On sait aussi que le besoin de cette transformation/adaptation est ressenti par les dirigeants mais que la réalisation est difficile à conduire, nécessairement progressive et propre à chaque entreprise.
Aussi, avons-nous cherché des méthodes et conseils de nature à aider tout dirigeant d’entreprise à créer une entreprise agile.
Après avoir présenté les cinq caractéristiques qu’Accenture considère comme nécessaires pour qu’une entreprise devienne agile (humaine, ouverte et plastique, renforcée par l’informatique, flexible, modulaire ) (https://outilspourdiriger.fr/lentreprise-agile-selon-accenture/), voici ce que Deloitte considère comme les leviers à actionner pour aller vers l’agilité et s’adapter à l’environnement d’aujourd’hui devenu plus incertain, changeant et menaçant.
Comme Accenture, Deloitte souligne bien que chaque entreprise doit adapter son changement à son rythme et à ses spécificités mais, différemment d’Accenture, Deloitte se centre sur les leviers de management utilisables par toute entreprise. C’est ainsi qu’il propose les trois ensembles de levier suivants pour créer une entreprise agile :
– revoir l’organisation, la gouvernance et les processus ;
– revoir les compétences nécessaires ;
– revoir les pratiques managériales et la culture d’entreprise.
- Organisation, gouvernance et processus.
1.1. Revoir l’organisation.
L’organisation taylorienne fondée sur la planification par les experts, l’exécution par les opérationnels et le contrôle par les managers a produit d’incontestables résultats de productivité et de rentabilité mais n’est plus adaptée. Elle a conduit à ignorer les attentes et les pouvoirs des parties prenantes à l’entreprise (employés, clients, fournisseurs divers, autres entreprises du secteur et pouvoirs publics) ; et, par exemple, à ne pas bénéficier pleinement des capacités de ses salariés et clients, à négliger sa responsabilité environnementale et sociale, à ne pas construire de réseau, etc.
L’organigramme hiérarchique traditionnel doit laisser une place plus grande à un ensemble d’équipes agiles de petites taille, pluridisciplinaires et interconnectées qui fonctionnent en synergie pour atteindre un objectif.
Ces équipes travaillent en réseau de manière informelle en se libérant plus ou moins des procédures pour réaliser leurs objectifs qui sont le plus souvent transversaux aux services.
La confiance que l’on fait à leur capacité d’autogestion les rend responsables et améliore la souplesse de l’organisation permettant d’augmenter la productivité, la satisfaction du client et la capacité à innover.
L’organisation doit aussi être centrée sur le client et sur l’innovation.
La centrer sur la satisfaction du client implique de la mettre entièrement au service du client et de manière décloisonnée, simplifiant les processus, supprimant les silos qui alourdissent le parcours, limitant les démarches du client, etc. On peut imaginer créer des équipes éphémères spécifiques aux demandes ponctuelles du client et certaines entreprises vont même jusqu’à inviter le client à coconcevoir les produits et services.
Concernant l’innovation, on sait que la mobilisation des collaborateurs est le facteur déterminant de la créativité et de la réalisation de tout projet d’innovation. Des équipes pluridisciplinaires, autonomes et responsables, peuvent plus facilement pratiquer une approche de créativité et de « test and learn » (apprendre en essayant), plus pragmatique et plus rapide que la méthode traditionnelle. On peut ainsi créer des équipes plus ou moins provisoires centrées sur les principaux problèmes du moment.
1.2. Revoir la gouvernance
Ici, c’est la conception classique de la gouvernance bureaucratique « descendante » qui doit être remise en cause au profit plus ou moins grand de l’auto-management, du partage de l’information et de la prise de décision.
La direction et les managers désigne les objectifs, alloue les ressources, assure la cohérence des activités mais leur rôle principal réside moins dans le contrôle de la réalisation que dans l’aide et l’encouragement donnée aux réalisateurs. Et ce sont les processus qui conduisent à la résolution des problèmes, et non le respect des règles hiérarchiques, qui régulent les interactions et la coordination.
1.3. Revoir les processus.
La conception initiale des processus de décision, production, coordination, visait à sécuriser et contrôler le travail pour minimiser les erreurs humaines et les déviations. On sait que pendant longtemps cette conception a produit d’importants résultats de productivité et de rentabilité.
Aussi n’est-il pas question de supprimer ces processus, toujours indispensables, mais plutôt de déplacer le curseur du surcontrôle (trop de processus et sentiment d’étouffement des collaborateurs) vers plus de liberté et de soutien ; il s’agit, donc, de sortir de la logique descendante des ordres et contrôles pour laisser plus de place à la décentralisation de la décision et de la coordination
Ce sont les acteurs opérationnels sur le terrain qui sont les plus aptes à déterminer, ensemble, quel processus facilitera leurs activités et leurs initiatives et leur permettra de produire les meilleurs résultats, à l’instar d’une équipe de sport collectif.
Mais cela n’est possible que s’ils partagent une culture commune, adhérent aux objectifs poursuivis, ont confiance dans leur direction et, par suite, se sentent responsables de leur périmètre d’action.
- Revoir les compétences
2.1. Donner plus de place à la performance/compétence collective.
La conception de la compétence tend aussi à changer. La compétence de chaque membre de l’entreprise compte beaucoup mais on sait maintenant que c’est la synergie des compétences qui compte le plus et c’est ce qu’on nomme la compétence collective.
C’est ce patrimoine de compétences qui devient l’avantage compétitif le plus décisif.
Les techniciens propres à chaque domaine d’activité spécifique sont nécessaires mais l’est aussi, sinon plus, la fréquence parmi eux d’hommes à compétences non techniques de créativité, d’empathie, d’intelligence émotionnelle et sociale, capables de créer des liens, de donner du sens au travail et de prévenir les conflits ou d’en trouver la résolution.
La fiche de poste traditionnelle avec ses attendus techniques figés et précis doit changer pour prendre en compte cette nouvelle dimension de la compétence.
2.2. Donner plus de place à l’acquisition et la transmission des compétences (entreprise apprenante) ;
Sortir plus ou moins du fonctionnement en silos et des instructions et créer des réseaux d’équipes plus ou moins autonomes implique d’accepter que les équipes expérimentent (essais et erreurs vite corrigées), apprennent en faisant et transmettent la connaissance en collaborant.
Cela ne dispense pas d’organiser des formations, mais cela crée une capacité d’apprentissage interne très importante en même temps qu’une expérience de travail très motivantes pour les employés.
- Revoir le rôle des managers et la culture d’entreprise.
3.1. Le rôle des managers.
Le manager « commandant et contrôleur » doit laisser place, ou nettement plus de place, à un leader capable de jouer les trois rôles suivants : celui de prophète, d’instituteur et de gendarme
-souligner et faire accepter la valeur, l’importance du projet à réaliser pour le futur (« l’avenir sera plus beau pour tous » !),
–rassurer sur la capacité de réaliser le projet et sur l’attribution des moyens et de l’aide (instituteur) ;
–laisser entendre que l’échec ferait courir de gros risques à l’entreprise et à chacun (gendarme).
Ce sont des managers de ce genre qui seront sans doute les facteur clés de la rupture avec l’ancien modèle d’organisation.
L’exemple doit être donné par les dirigeants, mais des leaders apparaîtront aussi dans chacune des équipes autonomes et l’autonomie de l’équipe et le goût d’apprendre aura tendance à donner à chaque employé plus d’engagement et de compétence dans son travail.
3.2. La culture de l’entreprise.
La culture de l’entreprise, c’est l’ensemble des manières prédominantes de penser, de ressentir et d’agir dans une entreprise, ensemble qui se traduit par des valeurs et des normes, qui s’alimente par des symboles et des mythes, qui se transmet par formation et qui se modifie pour faire face aux problèmes.
Au fond, la culture d’une entreprise, c’est son actuelle boîte à outils de concepts et de principes de gestion.
Elle contribue à maintenir sa cohésion interne (l’esprit maison) et elle assurer la plus grande part de la coordination de ses activités de façon informelle.
Les types de culture d’entreprise ont fait l’objet de nombreuses recherches (voir https://outilspourdiriger.fr/culture-et-valeur/ – https://outilspourdiriger.fr/la-culture-dentreprise/ – https://outilspourdiriger.fr/outils-de-mesure-de-la-culture-dentreprise/ )
Voici, en particulier, le modèle de culture d’entreprise de K. Cameron et R. Quinn.
Ces chercheurs américains considèrent que les valeurs culturelles principales d’une entreprise s’opposent suivant deux axes :
-l’axe horizontal de la valeur principale qui oppose le bien-être des personnes à la performance de l‘entreprise ;
-l’axe vertical de la structure d’organisation qui oppose la stabilité-contrôle (rigidité ?) à la flexibilité-innovation.
Les quatre quadrants définissent alors les quatre modèles de culture d’entreprise ci-dessous
Source : C.Voynnet – Fourboul
-La culture du clan ou modèle des relations humaines. Elle privilégie la dimension interne (travail d’équipe, participation et consensus) pour le bien-être de ses membres et privilégie la flexibilité pour gérer l’environnement.
-la culture adhocratique (venant de « ad hoc » ajusté à la situation, au projet) ou modèle des systèmes ouverts ;
Elle se centre principalement sur les problèmes externes et sur la flexibilité pour gérer son environnement ; ses valeurs clés sont la créativité et le risque et les organigrammes sont temporaires ou inexistants. Ce pourrait être le modèle de l’entreprise agile.
-la culture du marché ou modèle des objectifs rationnels ;
Elle se centre aussi principalement sur les problèmes externes mais valorise la stabilité et le contrôle.
-la culture bureaucratique ou modèle des procédures internes.
Elle met davantage l’accent sur les problèmes internes et valorise la tradition, la cohérence, la coopération et la conformité. C’est la culture traditionnelle du commandement et du contrôle.
Ici aussi, il s’agit de modèles-type et, en réalité, une entreprise peut combiner plusieurs modèles.
Elle peut aussi changer de modèle et par exemple chercher à aller vers la flexibilité ou agilité.
Au fond, les deux grands Cabinets Conseils disent la même chose quant aux conditions pour obtenir une entreprise agile : il faut tendre à mettre en œuvre le plus possible les principes fondateurs présentés dans (https://outilspourdiriger.fr/lentreprise-agile-selon-accenture/).
Mais les argumentations sont centrées différemment ; sur les qualités à acquérir pour Accenture ; sur les leviers à utiliser pour Deloitte.
En réalité les deux approches sont complémentaires.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 11/10/2020