Les défis de l’entrepreneur sont quotidiens, multiples, divers et fonction du stade de développement de son entreprise. On peut, cependant, et pour l’essentiel, les ramener aux quatre grands défis suivants : identifier l’entreprise et choisir sa gouvernance, l’organiser, contrôler sa croissance, contrôler l’incertitude de l’environnement.
On sait que manager une entreprise, c’est manager un processus de transformation « d’entrées » en « sorties » ; transformation réalisée dans des frontières identifiables, par des personnes utilisant des moyens techniques, et visant à assurer la survie et la croissance de l’entreprise.
Un tel processus ne peut être erratique :
-les « sorties » doivent être désirées par des utilisateurs qui doivent pourvoir identifier et choisir leur fournisseur ;
-le processus de transformation mis en place doit être organisé par un système d’autorité et coordonné par un système d’information,
-le pilotage de l’ensemble doit être orienté et régulé par un système d’objectifs et conforté ou corrigé par un système de contrôle des résultats.
On reconnait là les défis de l’entrepreneur , les quatre principaux défis de l’entrepreneur : l’identification et le choix de la gouvernance, l’organisation, le contrôle de la croissance, le contrôle de l’incertitude de l’environnement.
Les deux premiers défis de l’entrepreneur ont été présentés dans https://outilspourdiriger.fr/les-defis-de-lentrepreneur-1/
Voici la présentation des deux derniers défis de l’entrepreneur : celui du contrôle de la croissance, et celui de l’incertitude extérieure.
- Le défi du contrôle de la croissance.
La croissance est comme le feu ; elle peut réchauffer les cœurs et les énergies mais aussi « brûler » les efforts consentis. Elle peut, au début, donner plus d’énergie aux dirigeants et aux salariés, puis donner plus d’efficacité, plus de ressources financières et plus de contrôle sur l’environnement.
Mais elle peut aussi rendre moins attentif aux clients, rendre plus difficile le maintien de la culture et de l’engagement initiaux, rendre les dirigeants plus « myopes » aux changements potentiels de l’environnement et, en tout cas, moins réactifs à ces changements.
Ces effets peuvent se produire en cas de croissance organique mais les difficultés peuvent être plus grandes en cas de croissance par acquisition car il est toujours difficile d’intégrer des structures, des technologies et des cultures différentes.
En fait le défi de l’entrepreneur concernant la croissance c’est le défi de la perte de contrôle sur la motivation des salariés, sur le climat social et la culture, sur l’organisation et la coordination des actions et, surtout, sur l’adaptabilité propre à la petite entreprise.
On sait que trois types de contrôle sont possibles, chacun lié à l’une des visons de l’entreprise : le contrôle bureaucratique, le contrôle de clan et le contrôle du marché
-Le contrôle bureaucratique est généralement pratiqué par les dirigeants qui conçoivent leur entreprise comme un système rationnel visant prioritairement la fiabilité et l’efficacité.
On a montré que ce type de contrôle prend appui sur la spécialisation et la division du travail, sur des procédures standards, sur une hiérarchie d’autorité claire, etc. ; qu’il peut produire d’indéniables résultats d’efficacité mais qu’il peine à soutenir la motivation, qu’il limite l’initiative individuelle, qu’il rend très lent à percevoir les changements et à s’y adapter. On sait qu’il réussit mieux aux entreprises dont les produits sont peu nombreux et l’environnement plutôt stable.
-Le contrôle de clan est généralement pratiqué par les dirigeants qui conçoivent leur entreprise comme un système naturel visant prioritairement à mobiliser pleinement la motivation et la capacité d’adaptation des salariés.
Il prend appui sur le partage des valeurs et des normes culturelles communes et sur le sentiment d’avoir un but commun, une mission commune. Aussi les salariés s’encouragent-ils et se contrôlent-ils mutuellement.
Il s’observe le plus souvent dans les petites entreprises mais se pratique aussi dans des parties de grandes entreprises.
– Le contrôle du marché est généralement pratiqué par les dirigeants qui conçoivent leur entreprise comme un système complexe adaptatif.
Il prend appui sur les forces de la concurrence et sur les menaces de l’environnement pour imposer la discipline et les contrôles du travail.
Il s’observe généralement dans les grandes entreprises soumises au marché national ou mondial mais il peut aussi s’appliquer à des divisions d’entreprise qu’on veut mettre en concurrence entre elles.
La notion de perte de contrôle ou de crise a servi de base à la construction d’une vision de l’évolution de l’entreprise à mesure qu’elle se développe.
3.1 La « courbe de vie » de l’entreprise.
Les entreprises naissent, mûrissent et meurent, comme les produits et les humains. Elles tendent à passer par des étapes qui ont été repérées et constituent ce qu’on appelle la « Courbe de vie de l’entreprise » (ou « Cycle de vie de l’entreprise »). Chaque étape présente ses défis et s’achève sur un type de crise que l’entreprise doit surmonter pour passer à l’étape suivante.
On peut ainsi repérer cinq étapes principales, selon la source principale de la croissance et la crise de fin d’étape : la créativité du créateur, la direction centralisée, la délégation du pouvoir, la coordination des activités et la collaboration généralisée
3.1.1. La croissance par la créativité du créateur et la crise de leadership
Le ou les créateurs consacrent tout leur temps et leur énergie à créer « de leur mains » leur offre et leur marché et le système de décision est exclusivement tributaire des réactions des clients.
Le système de communication est informel car le personnel est peu nombreux et les interactions directes fréquentes. Le système de rémunération table surtout sur les promesses (futurs salaires, dividendes, actions).
Facteurs déterminants de la viabilité initiale, ces caractéristiques tendent à devenir les sources principales de la crise de fin de cette étape ou crise du leadership.
L’accroissement d’activité, de personnel et de capitaux engagés exige plus de personnel, de prévision, de contrôle, de communication, de rémunération ; ce qui surchargent les créateurs de tâches souvent non désirées, suscitent des conflits entre eux et fait émerger le besoin d’un solide manager extérieur à fortes compétences techniques et managériales.
3.1.2. La croissance par la direction centralisée et la crise de l’autonomie.
La nouvelle direction met en place une organisation fonctionnelle et spécialise son personnel. Elle instaure un système de comptabilité plus détaillé, des budgets, des standards de travail, des incitations financières, un système plus formel de communication. Elle s’adjoint des cadres fonctionnels et dirige « par le haut ».
Très efficient au début, ce système de management devient de plus en plus décrié par les exécutants et les chefs de service qui se sentent mieux placés que les dirigeants pour gérer les problèmes de leur domaine et « écartelés » entre appliquer les procédures et prendre des initiatives.
Cette situation tend à produire la « crise de l’autonomie » ; les dirigeants ont alors le choix entre introduire plus de délégation ou voir partir découragés leurs collaborateurs les plus compétents.
3.1.3. La croissance par la délégation et la crise du contrôle.
Le nouveau système de management donne plus d’autonomie aux directeurs de produit, de marché ou d’établissement qui deviennent des « centres de profits » ayant des objectifs et des incitations financières à les réaliser.
Les hauts dirigeants se concentrent sur la concurrence, la stratégie, les absorptions éventuelles et n’interviennent dans les domaines opérationnels que « par exception ».
La source nouvelle de la croissance est la motivation des directeurs délégués. Leur action est très efficace car ils sont devenus des « chefs d’entreprise » mais ils développent une tendance naturelle à ne se sentir concernés que par leur domaine et à négliger l’intérêt de l’ensemble de l’entreprise et la coordination collective, ce qui tend à produire la « crise du contrôle »
Pour les hauts dirigeants, le choix est soit de retourner à un système de management centralisé, ce qui généralement conduit à l’échec, soit trouver un système favorisant la coordination entre unités décentralisées.
3.1.4. La croissance par la coordination et la crise de la bureaucratie.
Les dirigeants conservent la décentralisation mais se donnent les moyens d’agir plus directement pour assurer la coordination.
Les unités décentralisées sont rassemblées en groupes plus larges et deviennent responsables de la rentabilité financière des allocations reçues.
Les hauts dirigeants s’entourent de plus de fonctionnels et de moyens techniques (système d’information et de comptabilisation) pour instaurer une planification détaillée et installent des contrôleurs de gestion dans les unités décentralisées. Ils créent un système de rémunération qui incite les collaborateurs à s’identifier davantage à l’ensemble de l’entreprise.
Les nouvelles sources de croissance tiennent à la meilleure allocation des ressources et à la meilleure coordination des activités. Persistent cependant les « divergentes » de vision entre hauts dirigeants et dirigeants d’unités décentralisées, les premiers trouvant les autres peu coopératifs et les autres trouvant les premiers trop éloignés du « terrain ». De plus, tous se sentent enserrés dans une bureaucratie croissante qui absorbe trop d’énergie et dissuade l’initiative.
3.1.5. La croissance par la collaboration et la crise « extérieure ».
Les unités décentralisées sont maintenues mais des groupes ad-hoc sont créés pour renforcer la collaboration, monter des projets, réaliser des opérations particulières.
L’équipe de direction réduit sa taille en affectant ses experts aux unités décentralisées et aux groupes de travail ; elle réduit le contrôle formel de gestion, récompense les performances de groupe plus que les réalisations individuelles, favorise la formation et les expérimentations mais tient de fréquentes réunions avec les chefs de services et de groupes.
Les nouvelles sources de croissance sont le travail de groupe, la formation, l’expérimentation.
La crise peut venir de la trop grande taille de l’entreprise et devrait conduire à recourir à l’extérieur pour construire des partenariats, un conglomérat etc.
- Le défi de l’incertitude extérieure
Pour toute entreprise, l’environnement est la principale source d’incertitude, en raison des impacts que ses changements peuvent provoquer, en particulier en matière d’innovation, mais aussi parce c’est la source de ses ressources externes critiques.
4.1. L’incertitude de l’environnement
Concevoir ou manager une entreprise ne peut négliger de considérer l’environnement extérieur (clients, fournisseurs, gouvernements, économiques générales, l’évolution des conditions sociales et culturelles ; bref tout ce qui a le potentiel d’impacter l’entreprise).
Que le dirigeant le veuille ou non, l’entreprise est aussi, et sans doute surtout, un système ouvert qui doit s’adapter pour survivre. Elle doit être en mesure de puiser dans l’environnement les ressources précieuses dont elle a besoin, en particulier financières, et d’y repérer les menaces et opportunités qu’il recèle.
« PEST » est un des outils d’analyse les plus connus de l’environnement. C’est un acronyme, qui signifie Politique, Economique, Sociologique, Technologique, environnemental et légal.
Les aspects critiques de l’environnement que toute entreprise doit surveiller sont les suivants :
-les concurrents directs, les clients, les fournisseurs, le marché du travail, et autres acteurs avec qui sont établies des relations régulières ;
-les changements technologiques qui se préparent ;
-les changements socioculturels qui se profilent (démographie, goûts, valeurs, etc.) ;
-les évolutions politiques, légales, sociologiques.
L’incertitude environnementale augmente à mesure que l’environnement devient plus complexe et plus instable :
-plus complexe, en raison de la diversité des produits vendus, des segments de clientèle, des marchés géographiques, etc. ;
-plus instable, en raison de la vitesse de changement des technologies, des valeurs, etc.
Faire face à la complexité conduit les entreprises à créer des départements spécialisés, renforcer les acteurs agissant aux frontières de l’entreprise et mettre en place une structure plus décentralisée et des mécanismes de coordination horizontale.
Faire face à l’instabilité conduit à mettre en place des outils de surveillance et d’études.
4.2. La dépendance à l’égard des ressources externes.
L’accès aux ressources extérieures critiques (personnels, fournisseurs, financeurs, informations, etc.) dépend de la puissance de l’entreprise. Chaque entreprise cherche à réduire sa dépendance à l’égard des autres et à accroître la dépendance des autres à son égard.
Les stratégies pratiquées, ici, visent à créer liens avec d’autres organisations et à influencer ou contrôler l’environnement.
-La création de liens peut se faire par acquisition d’entreprise, partenariats divers, contrats à long terme, participation à des associations professionnelles, etc.
-Le contrôle direct est visé par la croissance et les acquisitions. Et l’influence est opéré par les syndicats professionnels et autres groupes de pression.
4.3. Le défi de l’innovation.
Une entreprise ne réussit ni ne se développe par hasard. On a vu ci-dessus qu’elle a connu des étapes d’évolution et surmonté chaque fois une crise majeure.
Tout au long de cette évolution, elle a visé à perfectionner ses capacités et compétences ; ses produits, ses technologies, ses structures, ses systèmes de production, de pilotage et de contrôle, etc.
Un des risques qu’elle courre alors est ce qu’on a appelé le « piège de la compétence ».
La concentration de ses compétences et de ses ressources sur le perfectionnement de ses produits, de sa technologie, de ses systèmes en cours, etc., concentration sur ce qui fait son succès et sa rentabilité tend à la rendre moins attentive aux innovations de rupture que se préparent et même si elle les perçoit, cela tend à l’inciter à les négliger.
On sait que ces innovations de rupture commencent par apparaître comme moins « attractives » à la plupart des utilisateurs visés (sauf les « adopteurs précoces ») en raison de leurs imperfections, ce qui ne les fait pas voir comme une menace par les entreprises en place. Mais au fil du temps, les innovateurs améliorent leur produit au point de conquérir les clients des entreprises en place. Pour les managers de ces entreprises un choix difficile est, alors, à faire entre les deux options suivantes :
-continuer à améliorer et vendre ses meilleurs produits à leurs clients les plus rentables, au risque de prendre conscience tardivement des progrès de l’innovation nouvelle ;
-concurrencer directement l’innovateur en prenant le risque de proposer des produits de moindre qualité et de « cannibaliser » ses meilleurs produits.
De façon plus générale, face à l’innovation disruptive, la réaction est la suivante, si elle est possible :
-acquérir, à un moment ou à un autre, la jeune entreprise perturbatrice, pour n’avoir pas à créer une nouvelle capacité en interne ;
-créer une structure nouvelle, distincte de l’existante et gérer de façon autonome pour développer la nouvelle capacité sans être en concurrence avec les autres unités pour les ressources.
Source: Coursera. Designing the Organization. University of Illinois at Urbana-Champaign
https://www.coursera.org/learn/designing-organization
Pour aller plus loin : On trouvera dans ce blog de multiples autres articles traitant des mêmes sujets sous des angles différents ; par exemple :
https://outilspourdiriger.fr/les-trois-managements-1/, 2 et 3.
https://outilspourdiriger.fr/les-quatre-defis-du-manager-leader-du-quotidien/
https://outilspourdiriger.fr/manager-le-cycle-de-vie-dun-produit/
https://outilspourdiriger.fr/la-courbe-de-vie-de-lentrepreneur/
https://outilspourdiriger.fr/linnovation-de-rupture/
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 2 / 05/2021