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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

Les trois stratégies d’entreprise Les trois stratégies d’entreprise

Les trois stratégies d’entreprise examinées ici, sont celles qui ont été proposées par Treacy et Wiersema et non pas celles de M. Porter très connues mais peut-être un peu « datées » (domination par les coûts, domination par la différentiation, stratégie de niche).

Ces trois stratégies ont déjà été présentées dans ce blog (Voir https://outilspourdiriger.fr/criteres-de-choix-dun-produit-et-strategie-commerciale/) et on n’en retiendra ici que l’essentiel. Cependant, on reprendra et développera largement les raisons pour lesquelles ces trois stratégies sont actuellement pertinentes.

 

  1. Les trois stratégies possibles

(M. Treacy and F. Wiersema   http://hbr.org/1993/01/customer-intimacy-and-other-value-disciplines/ar/1)

L’observation centrale des auteurs est la suivante : les entreprises qui sont devenues aujourd’hui leaders dans leur secteur ont tendu à réduire leur spectre d’activités plutôt qu’à l’étendre et ont choisi une des trois stratégies indiquées dans le schéma ci-dessous et mis toutes leurs ressources au service de ce choix, tout en s’efforçant de respecter les standards du marché sur les 2 autres aspects.

Trois stratégies

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Source =  http://www.enterprise-advocate.com/2012/02/the-tracey-wiersema-value-discipline-model-part-1/

Voyons les points clés de chacune de ces stratégies

1.1. La stratégie du “meilleur produit” (Product Leadership).

Elle vise à servir les prospects pour qui les caractéristiques du produit est le critère de choix n° 1, de façon générale ou à un moment donné ; elle consiste à proposer un flux de produits ou de services ayant « le dernier état de l’art », généralement technique.

Les capacités clés à détenir sont alors les suivantes

-la capacité de veille et de créativité ;

-celle de réaliser et de commercialiser très vite ses produits nouveaux ;

-celle d’être en permanence à la recherche de nouvelles solutions aux problèmes que son offre actuelle résout.

On imagine facilement à quels systèmes d’organisation et de management cela conduit :

-une R et D performante ;

-un climat de créativité et de saisie des opportunités ;

-un refus de toute bureaucratie et de tout autre processus de ralentissement de la décision ;

-un personnel de haut niveau ;

-un système d’organisation, de communication et de rémunération adaptés à cette stratégie.

1.2. La stratégie du “sur-mesure” (Customer Intimacy)

Elle vise à servir les prospects pour qui le « sur mesure » est le critère de choix n° 1, de façon générale ou à un moment donné ; elle consiste à proposer des produits et services strictement adaptés aux besoins de ses clients, en fait à un ou des segments de clientèle ou niches.

Les capacités clés à détenir sont alors les suivantes :

– celle de détecter et d’anticiper systématiquement l’évolution des besoins des clients ;

– celle de minimiser le délai entre la demande et la livraison (localisation, distribution etc.) ;

– celle de maîtriser la gestion d’une large palette de produits ou services rapidement livrables à la demande du client (éléments de base et composition d’ensemble variables) ;

– celle de faire face au coût élevé de la fabrication et du stockage de ses produits et aux besoins de financement de ce “sur mesure” pour gagner la confiance et la fidélité à long terme de ses clients.

1.3 La stratégie de « l’excellence opératoire » (Operational Excellence).

Elle vise à servir les clients dont le critère de choix n°1 est la minimisation du coût d’achat et des disfonctionnements post-achat (délais et qualité de la livraison, facturation, maintenance etc.).

Les capacités clés sont alors les suivantes :

-celle de minimiser ses frais généraux en optimisant et automatisant son processus de production, de distribution, de gestion des stocks, de facturation et de réception des règlements des clients

-celle d’avoir un système performant de logistique et de contrôle de qualité et des coûts.

 

On a avancé des fondements pratiques à cette segmentation de la stratégie mais on aussi repérer un important fondement théorique.

 

  1. Le fondement pratique des trois stratégies: les critères de choix d’une offre.

(https://outilspourdiriger.fr/criteres-de-choix-dun-produit-et-strategie-commerciale/) 

2.1. Le critère théorique de choix d’une offre.

Le choix d’une offre ne résulte pas du hasard. Tout acheteur, et en particulier tout acheteur industriel, base sa décision sur un pari, un calcul plus ou moins explicitement conduit, comparant l’ensemble des services ou avantages attendus de l’offre avec l’ensemble des coûts d’achats qu’il va encourir.

C’est ce rapport « services ou avantages espérés /coûts probables à subir » (et non le sommaire rapport « qualité/prix ») qui est le vrai critère de choix et en même temps le pari pris puisqu’il s’agit de prévisions.

Les avantages espérés sont multiples et divers mais peuvent finalement être ramenés à 3 types :

-avantage fonctionnel : ce que le produit ou service permet de faire techniquement et économiquement ;

-avantage expérientiel : les émotions, sentiments, ressentis lors parcours de l’achat et de l’utilisation ;

-avantage symbolique : l’image de soi qui est donnée par la possession du produit.

Dans tout achat ces trois types d’avantages sont considérés, plus ou moins explicitement, mais le poids de chacun des avantages dépend du type de produit à acheter (plus ou moins d’enjeu) et de la personnalité de l’acheteur (plus ou moins de rationalité ou d’impulsion).

Les coûts probables à subir dépassent largement le seul prix d’achat. Il faut également considérer les coûts de la préparation de l’achat, les coûts administratifs de l’achat, les coûts de la réception de l’achat, de l’installation, de la formation du personnel, du respect des nouvelles règles d’utilisation, de la sécurité, de la maintenance, du financement, du renouvellement, etc. éventuellement les coûts induits à l’amont ou à l’aval de l’installation de l’achat

Dans tout achat, ces coûts sont considérés, plus ou moins explicitement. Le poids de chacun d’eux dépend du type de produit à acheter et de la personnalité de l’acheteur mais tous les acheteurs attendent de leurs fournisseurs qu’ils les réduisent le plus possible.

Présent à l‘esprit de tout acheteur, le rapport « avantages espérés / coûts probables à subir » ne peut être, en fait, « qu’approché » car des incertitudes vont inévitablement subsister aussi bien dans l’évaluation des besoins que dans celle des apports de l’offre.

Aussi les critères effectivement pratiqués sont-ils plus sommaires.

2.2. Les critères pratiqués par les prospects.

(http://hbr.org/1998/11/business-marketing-understand-what-customers-value/ar/1)

Des chercheurs établissent que l’acheteur procède, en fait, à des regroupements de critères et finit par retenir les trois critères de décision suivants :

– le degré auquel le produit correspond à ses besoins, le degré auquel il est « fait pour lui « ;

– certaines caractéristiques du produit (caractéristiques techniques, son degré d’innovation, d’esthétique, etc.) ;

– les autres éléments relatifs à l’opération d’achat (le prix et les coûts d’achat, la qualité de la livraison, le service, la fiabilité du produit et de l’entreprise, etc.).

L’acheteur établit une hiérarchie de ces critères et évalue les offres à l’aune de cette hiérarchie.

Il choisit la meilleure offre selon son critère n°1 à condition que l’offre soit convenable sur les deux autres critères.

Se fondant sur ces critères d’achat pratiqués, Treacy et Wiersema affirment que toute entreprise doit être suffisamment performante sur chacun des trois critères pour être compétitive mais, comme il lui est impossible d’être excellente sur chaque critère, elle ne peut être leader sur son marché que si elle excelle sur un critère, celui de son choix, et met toute son organisation au service de ce choix.

 

  1. Le fondement théorique des trois stratégies : l’évolution des coûts d’interaction.

(Voir : https://hbr.org/1999/03/unbundling-the-corporation)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le recours aux coûts d’interaction entre acteurs économiques et la tendance d’évolution de ces coûts donnent une justification plus fondamentale à la pertinence de cette définition des trois stratégies possibles.

3.1. Les coûts d’interaction

Les coûts d’interaction représentent l’argent et le temps dépensés chaque fois que des biens, des services ou des idées sont échangées au sein d’une entreprise, entre entreprises ou entre entreprises et clients. Comme les coûts de transaction, ils incluent des coûts de recherche et d’information, des coûts de négociation et de décision et des coûts d’exécution et de contrôle.

Ces coûts d’interaction déterminent, en fait, la façon dont les entreprises s’organisent et la façon dont elles établissent des relations avec d’autres entreprises ou des clients.

Lorsque les coûts d’interaction liés à l’exécution d’une activité en interne sont inférieurs aux coûts de son exécution en externe, une entreprise aura tendance à intégrer cette activité plutôt qu’à la sous-traiter ou se fournir à l’extérieur ; et de façon générale, toute entreprise s’organisera de telle manière que soit minimisés les coûts d’interaction globaux.

3.2. L’organisation traditionnelle

Pendant longtemps, les coûts élevés des interactions (déplacements, voyages, courrier, douanes, etc.) ont incité les entreprises à intégrer le maximum d’activités et à « grossir », par croissance interne ou externe, pour bénéficier des effets d’échelle, de gamme et d’externalité. Pour réduire les coûts et être leader des marchés, il fallait être une grosse entreprise et réunir en son sein la gestion des clients, l’innovation et l’infrastructure nécessaire

Comme le montre le schéma ci-dessous, cela revenait, en fait, à réunir sous la même direction, voire sous le même toit, trois types « d’entreprises » : une entreprise de « relation client », une entreprise « d’innovation de produit » et une entreprise « d’infrastructure » ; trois « entreprises » très différentes quant au rôle à jouer, au type de personnes à employer, aux défis économiques et compétitifs à relever et même quant à la culture à cultiver.

Comme l’indiquent le schéma et le tableau ci-dessus, les rôles sont différents ainsi que les conditions du succès.

-Le rôle d’une entreprise de relation client est de trouver des clients et d’établir des relations avec eux.

Pour réussir ce type d’activité doit se centrer sur la réalisation d’économies de gamme (production et commercialisation de produits joints) et sur la personnalisation de l’offre et de la relation.

-Le rôle d’une entreprise d’innovation de produits est de concevoir de nouveaux produits attrayants et de repérer la meilleure façon de les commercialiser.

Et pour réussir, ce type d’activité doit se centrer sur l’attraction de talents et la motivation de ses employés et sur la vitesse de mise sur le marché en minimisant les procédures administratives. C’est une sorte de startup et elle a besoin d’autonomie, de liberté, d’initiatives sans contraintes.

-Le rôle d’une entreprise d’infrastructure est de construire et de gérer des installations pour des tâches opérationnelles répétitives à haut volume telles que la logistique, le stockage, la fabrication, etc.

Et pour réussir, ce type d’activité doit se centrer sur la création d’installations à forte intensité de capital et sur la réalisation d’économies d’échelle pour réduire les fixes coûts unitaires ; ce qui conduit à écarter toute personnalisation et toute liberté d’action et à viser à être aussi impersonnel, routinier et prévisible que possible.

Les dirigeants ont longtemps considéré que ces activités devaient coopérer au sein d’une même entreprise pour minimer les coûts d’interaction et ont consacré beaucoup d’énergie et de ressources pour rendre plus performants chaque type d’activité et la synergie de l’ensemble. Cela leur a permis de grossir mais au prix de compromis entre les trois types d’activités et de moindre performance de chacune d’elle.

3.3. Les effets de la réduction des couts d’interaction

Cette stratégie globale est fortement remise en question depuis la forte réduction des coûts d’interaction permise par le développement du numérique et de l’internet.

Les grosses entreprises généralistes voient surgir et tendre à prédominer des entreprises hautement spécialisées dans l’un des types d’activité ou des réseaux étroitement coordonnés de sociétés spécialisées. Perdant du terrain face à ces nouveaux concurrents, elles doivent choisir sur quel type d’activité concentrer leurs ressources.

Ainsi, l’industrie de la presse est devenue très différente ; elle sous-traite le contenu à des services d’information spécialisés et l’impression à des imprimeurs spécialisés pour consacrer ses ressources à la relation client, lecteurs comme annonceurs.

L’industrie automobile tend à perdre la maîtrise de l’activité de relation client au bénéfice des nombreuses startup numériques qui proposent d’aider les acheteurs à choisir et les orientent vers les concessionnaires appropriés. Ces derniers tendent à être contraint à ne garder que l’activité d’infrastructure et les constructeurs automobiles à ne conserver que l’activité d’infrastructure et d’innovation produit.

Et les entreprises de l’internet et du numériques ont pris le quasi contrôle de l’activité de la relation client, voire de l’innovation de produits, dans de nombreux domaines réduisant de grosses entreprises à ne conserver que l’activité d’infrastructure.

Le dégroupage de l’entreprise traditionnelle en ses trois activités composantes – gestion de la relation client, innovation de produit et gestion de l’infrastructure – est bien en cours de réalisation et va se poursuivre. Pour survivre, les entreprises traditionnelles devront se « dégrouper » et choisir l’activité principale sur laquelle concentrer ses ressources.

Le secteur des produits restera probablement fragmenté, de nombreuses petites entreprises agiles se faisant concurrence sur la base de la vitesse et de la créativité

Mais on peut voir que les activités liées aux relations avec la clientèle et aux infrastructures se consolident à mesure que les entreprises recherchent des économies de gamme et d’échelle.

 

Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 17/01/2021