Le lien entre le travail et le lieu de travail s’est fortement distendu sous l’effet des technologies de la communication et des valeurs relatives au travail ; il n’est plus obligatoire que tous les salariés d’une entreprise ou que tous les membres d’une même équipe, travaillent dans les mêmes locaux et l’éloignement géographique de certains collaboratteurs n’est plus déterminé par les seules exigences de la fonction comme pour les agents commerciaux ou les salariés d’une agence ou d’une filiale lointaine.
Le travail à distance s’est développé et continuera sans doute de le faire.
Le télétravail depuis son domicile ou tout lieu autre que l’entreprise a déjà introduit un éloignement géographique partiel ( x jours par semaine, par exemple) mais de faible distance géographique et de faibles effets sur le fonctionnement habituel des équipes de travail.
Aujourd’hui, sont mises en œuvre des « équipes virtuelles » ; il s’agit bien d’équipe, de groupe organisé et managé pour réaliser une tâche complexe non modulaire et qui implique coordination des efforts (par exemple, une équipe de R et D, ou de marketing) mais la caractéristique principale est que les membres de l’équipe sont dispersés géographiquement, souvent internationalement, qu’ils communiquent quasi exclusivement de façon électronique et ne se réunissent que peu souvent.
Disons tout de suite que télétravail et équipes virtuelles sont aujourd’hui, principalement, le fait des grands groupes internationaux, informatiques en particulier, mais la tendance semble être telle que toute entreprise doit se préparer à ce travail à distance et en repérer les conditions de succès.
Voyons de quelle ampleur est déjà le phénomène, pourquoi il est attractif et comment surmonter les défis qu’il pose au manager.
- Ampleur du travail à distance.
La documentation disponible est nombreuse mais peu standardisée et comparables.
Les informations partielles réunies ci-dessous indiquent bien, cependant, que le travail à distance n’est négligeable dans aucun pays développé, les USA étant en avance sur tous et la France plutôt en retard.
1.1. Aux USA.
1.1.1. D’après l’enquête de Gallup (http://www.gallup.com/poll/184649/telecommuting-work-climbs.aspx), le télétravail a concerné 37% des employés américains en 2015 contre 9% en 1995. Il est beaucoup plus fréquent chez les cols blancs (44%) que les cols bleus (16%). En moyenne, il est de deux jours par mois mais pour 9% de plus de 10 jours ouvrables par mois. La majorité des télétravailleurs se déclare aussi productifs que les autres, ce que pense aussi la majorité des américains, salariés et non-salariés.
1.1.2. Autres sources.
L’étude parue à http://sloanreview.mit.edu/article/set-up-remote-workers-to-thrive/, et menée sur le télétravail chez IBM, indique que 42% des employés travaillent à distance à temps partiel et que 15% le font à temps plein.
L’étude parue à https://hbr.org/2014/12/getting-virtual-teams-right et concernant les «équipes virtuelles » indique que sur les 1.700 « travailleurs de la connaissance » interrogés, 79 % ont déclaré travailler toujours ou souvent en équipes géographiquement dispersées.
1.2. En France
Alors qu’en Allemagne, Pays-Bas, Finlande ou Danemark, plus de 20 % des salariés pratiquent le télétravail, on ne compte en France qu’environ 15% de salariés télétravailleurs et ce chiffre est contesté.
Une étude (lire l’article) indique que 16% des salariés télé-travaillent au moins un jour par semaine. D’autre part, 73% de ceux qui ne télé-travaillent pas souhaiteraient le faire.
L’étude récente la plus complète (http://zevillage.net/wp-content/uploads/2016/01/Enquete-OBERGO-2016-nombre-de-te-le-travailleurs.pdf) donne les résultats suivants
– Contrairement au rapport Mettling de 2015 qui indiquait que la proportion de salariés télétravailleurs était passée de 8 % en 2006 à 17 % en 2012, l’enquête OBERGO montre que le taux moyen est plutôt proche de 5% ; il est de 10% dans les entreprises de TIC mais beaucoup plus faible dans les autres secteurs.
Les différences entre secteurs et entre pays tiennent aux différences entre proportions de salariés éligibles au télétravail (salariés de niveau élevé ; cadres, ingénieurs, fonctions intellectuelles, etc.) mais ce n’est pas le seul facteur explicatif; le désir de télétravail semble être semblable chez les salariés de tous les pays mais pas chez les entreprises de tous les pays.
- Attraits et risques du travail à distance.
Facilitée par les progrès de la technologie de la communication, la montée du travail à distance traduit des tendances profondes et sans doute irréversibles concernant les besoins des salariés et des entreprises.
2.1. Attraits et risques pour le salarié.
2.1.1. L’attrait du travail à distance tient aux trois aspects suivants :
– Une meilleure conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle.
– Un accroissement de l’autonomie et de la responsabilité dans le travail.
– Une réduction sensible des transports.
C’est ce que confirme et mesure l’Observatoire du télétravail à http://www.net-iris.fr/veille-juridique/actualite/31433/le-teletravail-une-realite-hebdomadaire-pour-plus-de-17-des-salaries.php.
2.1.2 Les risques tiennent aux aspects suivants :
-L’isolement rend plus difficile l’obtention de l’information et du soutien nécessaires.
-L’absence de « visibilité » tend à exiger plus d’efforts et donner le sentiment que les possibilités de reconnaissance et d’avancement sont plus limitées.
– L’équilibre travail- vie privée risque de se rompre et de produire de lourds effets négatifs.
2.2 Attraits et risques pour les entreprises.
2.2.1. Les attraits tiennent aux deux aspects suivants
-Une amélioration de la capacité de gérer les ressources humaines : choix du salarié sur la base des seules compétences ; accueil des salariés, de plus en plus nombreux, qui recherchent un meilleur équilibre entre travail et vie privée ou qui sont handicapés ; disparition des problèmes d’absentéisme, de retard, etc.
-Une réduction des frais généraux liés à la présence du personnel et des coûts immobiliers en particulier.
2.2.2. Les risques concernent les aspects suivants :
– Le contrôle de la sécurité des données, données sensibles en particulier.
– La contrôle de l’efficience et de la productivité des salariés lointains et de l’ensemble de l’équipe.
– Le contrôle de la « maintenance » souhaitée de l’équipe.
- Manager le travail à distance.
Le travail à distance rend incontestablement plus difficiles les défis que tout manager doit relever, en particulier le défi de la communication et celui de la motivation.
Il est clair que l’échange à distance est une forme de communication moins efficace que l’échange de face à face parce que non synchrone, non continue et réductrice des échanges non verbaux.
La motivation est également plus difficile à obtenir faute de communication de face à face pour convaincre et persuader ; faute de pouvoir argumenter aisément, transmettre la passion et la volonté, montrer l’exemple identitaire, utiliser la pression de conformité au groupe, manifester le désir d’aider, etc.
Les conseils utiles au manager de travail à distance sont donnés par de très nombreux auteurs.
Les articles retenus et présentés ci-dessous sortent du lot parce qu’ils sont écrits par des experts, fondés sur des recherches et expériences et publiés par des revues de haute qualité ; l’un concerne tout travail à distance et l’autre les équipes virtuelles.
3.1. Quatre défis du travail à distance à surmonter (« Set Up Remote Workers to Thrive » paru dans le MIT management review http://sloanreview.mit.edu/article/set-up-remote-workers-to-thrive/)
Le manager doit aider le travailleur à distance à faire face aux quatre défis suivants : trouver le bon équilibre travail-vie privée ; surmonter l’isolement en milieu de travail ; compenser le manque de communication de face-à-face ; compenser le manque de visibilité.
3.1.1. Aider à trouver le bon équilibre travail-vie privée.
Le télétravail peut réduire l’incompatibilité entre travail et vie familiale ou conduire à sacrifier sa vie personnelle et se sentir surchargé et stressé par le « surtravail » exigé par la communication ou le besoin de devenir plus visible et reconnu.
Le manager doit appliquer, ici, les principes suivants :
– suggérer et faire respecter les « bonnes pratiques » visant la conciliation entre travail et vie personnelle ;
– indiquer clairement l’ordre de priorité des tâches à réaliser ;
– tenir compte de ce que le travail à distance demande plus de temps de communication.
3.1.2. Aider à surmonter l’isolement en milieu de travail
L’isolement est produit par la réduction des possibilités d’interaction avec les collègues et avec les managers et par le temps nécessaire pour obtenir les conseils et le soutien désirés ; il est particulièrement fréquent chez les employés qui vivent seuls ou sont de nouveaux embauchés.
Le manager doit appliquer, ici, les principes suivants :
– Etablir souvent des discussions informelles avec le collaborateur à distance pour comprendre ses préoccupations, signifier sa disponibilité, favoriser le sentiment d’appartenance et l’engagement.
– Favoriser l’interaction sociale entre les membres de l’équipe, sur le plan privée comme professionnel.
– Encourager la formation de paires d’employés, le mentorat et formation des nouveaux employés.
– Accélérer l’intégration des nouveaux employés, en leur faisant connaître ce qui leur est nécessaire.
3.1.3. Compenser le manque de communication de face à face
Le mode électronique de communication est divers et performant mais moins efficace que le face à face et plus exigeant en explication et en temps, ce qui peut produire de la frustration.
Le manager doit appliquer, ici, les principes suivants :
– Organiser au siège des réunions plus fréquentes de l’équipe au complet;
– Utiliser la communication électronique de façon informelle ; par exemple, commencer les téléréunions par des échanges de nouvelles personnelles et familiales et des informations générales sur la société avant d’aborder d’ordre du jour formel.
3.1.4. Compenser le manque de visibilité du travailleur à distance.
De nombreux employés distants pensent qu’ils doivent « sur-travailler » et se « sur-promouvoir ».
Le manager doit appliquer, ici, les principes suivants :
-Faire connaître à tous les réalisations des collaborateurs distants.
-Faire connaître aux collaborateurs distants les moments où il est disponible pour eux.
-Elaborer et mettre à disposition de tous les membres de l’équipe une base de données donnant les informations pertinentes sur chaque membre de l’équipe.
3.1.5. Deux conseils originaux d’un manager de HP très expérimenté.
– Avoir un manager local comme ressource pour le travailleur distant ; il ne sera sans doute pas compétent dans le domaine du travailleur à distance mais connaîtra mieux l’entreprise.
– Choisir la bonne technologie ; les technologies collaboratives disponibles ne sont pas toutes également appropriées au travail de l’équipe concernée ; il faut expérimenter pour choisir ce qui convient à tous.
3.2. Quatre conditions du succès des équipes virtuelles (« Getting Virtual Teams Right », K.Ferrazzi,
https://hbr.org/2014/12/getting-virtual-teams-right)
On ne sera pas étonné de lire que ces quatre éléments sont : la bonne équipe, le bon leadership, les bons moments de contact et la bonne technologie.
3.2.1. La bonne équipe.
Travailler en équipe virtuelle exige compétences en communication, intelligence émotionnelle, autonomie, résilience et sensibilité aux autres cultures. La taille efficace est de moins de 10 personnes et le travail doit être partagé entre sous-groupes : décideurs et metteurs en œuvre, pouvant s’adjoindre des spécialistes.
3.2.2. Le bon leadership
La première caractéristique du bon dirigeant d’équipe virtuelle doit être l’expérience. Manager-leader comme dans les équipes classiques, il doit mettre l’accent, ici, sur certaines tâches spécifiques :
-Renforcer la confiance mutuelle et réduire l’isolement.
Faire que les membres de l’équipe se fassent mutuellement connaître leur CV, apports, valeurs, manières de travailler, espaces personnels de travail. Faire partager les nouvelles personnelles en début de réunions.
-Encourager les échanges francs, respectueux et constructifs et instaurer un « modérateur » par séance.
-Expliquer puis rappeler les raisons d’être et les objectifs de l’équipe, les règles à respecter, les récompenses promises, etc.
-Définir les règles régissant les demandes d’informations et d’aide et l’engagement nécessaire lors des communications et réunions virtuelles.
3.2.3. Les bons moments de contacts interpersonnels.
Les réunions collectives sont indispensables, en particulier aux moments suivants :
-Au lancement de l’équipe ou d’un nouveau projet.
Pour informer tout le monde également, faire connaissance, commencer à apprendre à travailler ensemble, monter des sous-équipes, etc., l’échange en face à face d’une certaine durée est nécessaire.
-Lors de l’accueil d’un nouveau membre.
Le bon moment est de l’accueillir au siège avant une réunion collective, de le présenter à l’équipe, de le faire travailler avec les autres et de choisir avec lui un mentor ; puis de lui faire rencontrer les personnes de l’entreprise pertinentes pour son travail.
-Lors des réunions collectives, à tenir au siège au moins une fois par trimestre : pour faire le point sur l’avancement du projet en cours, célébrer un succès, « réchauffer » la motivation, relancer les contacts amicaux, recevoir le nouveau etc.
3.2.4. La bonne technologie de communication.
L’auteur recommande d’utiliser les plates-formes qui intègrent tous les types de communication et en particuliers les types suivants :
– Les conférences téléphoniques : de préférence les systèmes qui ne nécessitent pas de codes d’accès mais enregistrent automatiquement les conversations et facilitent la transcription.
– Les vidéo-conférences de groupe : pour communiquer les signes non verbaux.
– Les classiques appels directs et messageries de textes.
– Une plate-forme collaborative d’entreprise (Virtual team room) : espace de travail virtuel pour partager des fichiers de travail, solliciter toute l’équipe, voire d’autres experts, collecter les réactions, échanger, etc.
NB : centré sur le management du travail à distance, cet article parle peu des aspects généraux du rôle du manager-leader et des méthodes de mobilisation de ses collaborateurs.
Sur ces sujets, voir https://outilspourdiriger.fr/entreprendre/management/ , en particulier : La capacité de leadership – Le manager-leader du quotidien – La mobilisation des collaborateurs- Partager sa vision avec ses collaborateurs.
Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 5/11/2016