Motiver par la récompense ou motiver par l’adhésion ou motiver par les deux leviers ? Le choix ne doit pas être guidé par le critère de simplicité ou commodité.
On ne rentre ni ne reste dans une entreprise sans un degré minimum d’acceptation des buts qu’elle poursuit, des règles qu’elle édicte, des méthodes de travail qu’elle demande d’appliquer, des récompenses qu’elle procure ou promet de procurer. Cette acceptation peut être totale pour certains des membres de l’entreprise et devenir une adhésion ; pour la plupart des autres elle est et reste partielle et dépendante du lien que chacun perçoit entre ce qu’il donne à l’entreprise et ce qu’il peut espérer en recevoir, ajustant en permanence l’importance de sa contribution, de son inertie, de sa « vengeance », etc.
Tout dirigeant sait bien que c’est là son plus grand défi : mobiliser ses collaborateurs, réduire l’écart, parfois le gouffre, qui sépare un potentiel de talents et d’énergie de son utilisation réelle au service de l’entreprise. Pour ce faire, il dispose de deux types de levier : la récompense (récompense-punition) et l’adhésion.
Chacun de ces leviers est incontournable mais la bonne utilisation d’un moyen ne peut se passer de la connaissance de ses modalités de réalisation, de ses exigences et de ses effets probables.
C’est l’objectif de cet article ; recenser ce que l’on sait sur chacun de ces leviers pour mieux fonder son utilisation.
- Motiver par la récompense.
Cette attitude classique est inspirée par le courant de pensée du comportementalisme (« Behaviorism ») ; ses effets sont puissants mais connaissent des limites réelles.
1.1. Les apports principaux du comportementalisme.
Le concept de base est que le comportement résulte de stimuli. Il ne peut être compris que s’il est observé concrètement et les stimuli doivent être pertinents pour produire le comportement visé.
On connaît le conditionnement de Pavlov et le stimulus utilisé. D’autres auteurs ont développé la notion de « conditionnement opérant » pour montrer que tout comportement est influencé par les conséquences qu’il produit, stimuli qui déclenchent un processus d’apprentissage incitant à reproduire le comportement ou à le changer selon, par exemple, qu’il produit récompense ou punition.
Les apports les plus récents viennent de l’économie comportementale (« Behavioral Economics »), recherche qui a mis en évidence les réactions réelles des gens aux incitations : à titre d’exemple, on peut citer les observations suivantes :
-les distorsions cognitives ou erreurs de traitement de l’information pour raisons diverses ; par exemple, le biais de confirmation qui conduit à privilégier les informations confirmant ses idées ou hypothèses sans considération pour la véracité de ces informations
-la plus grande importance attachée aux risques de pertes qu’aux chances de gains de valeur équivalente ;
-la préférence pour le choix par défaut (choix retenu si on ne dit pas non explicitement) ;
On retiendra les apports principaux suivants concernant les récompenses :
-la nécessité d’observer les réactions à leur attribution (stimuli) pour ajuster la récompense-punition;
-la nécessité de donner un feedback (récompense-punition) immédiat sur le comportement et de manager le processus de conditionnement opérant « comportement –récompense ou punition – comportement ».
1.1.2. Types de récompense.
On peut distinguer selon que la récompense est matérielle ou immatérielle, attendue ou pas, dépendante ou pas d’une réalisation, attribuée à intervalle de temps fixe ou variable.
La récompense matérielle classique est financière (primes, actions, cadeaux divers, etc.) mais beaucoup d’autres récompenses sont immatérielles (allant de la simple félicitation à la promotion, c’est-à-dire à l’attribution d’un statut ou d’un pouvoir). La récompense inattendue est une surprise contrairement à la récompense attendue.
La récompense peut être subordonnée à un engagement d’agir, à la réalisation de l’action ou à la performance de l’action. Elle peut être attribuée à intervalle de temps fixe ou être totalement variable.
L’utilisation de l’une de ces modalités ou d’un « mix » dépend du type de collaborateur à motiver (cadres ou exécutants, travail interne ou extérieur, etc.) et de la politique de l’entreprise.
On peut trouver 1000 façons de récompenser: (http://www.stephanehaefliger.com/campus/biblio/020/20_09.pdf)
Quelques principes semblent, cependant, préférables à d’autres :
-éviter la récompense régulière et attendue qui tend à perdre tout pouvoir de motivation, contrairement à l’envie, l’espoir ou l’attente de la récompense ;
-éviter la récompense aléatoire de type « machine à sous », perçue comme outil de manipulation ;
-donner plus de poids à l’effort qu’au résultat (sans renoncer totalement à ce dernier critère) ;
-éviter l’adaptation hédonique (« Hedonic treadmill ») qui oblige à accroître le taux de récompense pour obtenir la même motivation.
(On trouvera dans les documents suivants les résultats d’une enquête portant sur la reconnaissance du travail dans les entreprises françaises : https://www.blog-emploi.com/reconnaissance-travail-recompense/ https://www.anact.fr/la-reconnaissance-au-travail-en-france
1.1.3. Récompenses et motivations.
La motivation est dite extrinsèque lorsque le comportement est déterminé par un stimulus extérieur, par une récompense espérée ou un évitement de punition. La raison principale de faire n’est pas le « faire », la satisfaction retirée du faire, mais la récompense, dite aussi récompense extrinsèque.
La motivation est dite intrinsèque lorsque le comportement est opéré par plaisir, par goût ou par adhésion, qu’il est déterminé par un stimulus interne ; la récompense est alors dite aussi intrinsèque.
Les deux types de motivation peuvent être ressentis par la même personne et pendant longtemps on a cru que les deux types de récompenses étaient additifs et qu’on pouvait les combiner.
Les études faites montrent que les choses sont moins simples :
-Certaines récompenses extrinsèques facilitent la motivation intrinsèque : par exemple : les récompenses indépendantes d’engagement ou inattendues ; mais surtout les rétroactions positives, le soutien à l’effort, et les récompenses donnant les sentiments de compétence, d’autonomie, de reconnaissance.
-Par contre, les récompenses tangibles dépendant de l’engagement dans une tâche, de l’achèvement d’une tâche, de la concurrence entre employés et d’une évaluation par un supérieur, ces récompenses affaiblissent la motivation intrinsèque et peuvent nuire à la créativité, flexibilité cognitive et résolution de problèmes qui sont généralement associés à cette motivation.
On sait que la motivation intrinsèque n’est pas également possible pour toutes les activités et que des récompenses monétaires (en plus du salaire) sont souvent incontournables mais il vaut éviter le plus grand danger de la récompense : celui de réduire, voire d’évincer, la motivation initiale ; effet de substitution qui peut être observé dans plusieurs domaines après introduction de récompenses matérielles (rémunération du don du sang, rémunération à la performance, utilisation des pénalités financières, etc.).
- Motiver par l’adhésion.
L’objectif est ici que la motivation soit la plus intrinsèque possible chez le plus grand nombre de collaborateurs possibles. La capacité de récompense-punition peut obtenir la coopération minimale obligatoire mais c’est la mobilisation totale des capacités des collaborateurs qui est aujourd’hui nécessaire à toute entreprise et cette mobilisation ne peut s’obtenir que par un degré suffisant d’adhésion de tous les collaborateurs et par une adhésion totale des collaborateurs-clés.
2.1. Les conditions de l’adhésion.
(source: https://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2005_GagneDeci_JOB_SDTtheory.pdf)
Le recours à la motivation extrinsèque, recours permanent ou provisoire, est parfois incontournable en raison des besoins de certains collaborateurs ou des caractéristiques de certaines tâches.
Mais, en principe, tout collaborateur peut « intérioriser » sa motivation extrinsèque, c’est-à-dire voir sa motivation devenir intrinsèque, guidée par l’intérêt porté à l’activité elle-même, comme chacun de nous a pu en faire l’expérience personnelle.
Cette « intériorisation » peut connaître des degrés divers et aller jusqu’à faire siens les objectifs et contenus de l’activité, y trouver intérêt et plaisir et produire les autres effets de la motivation intrinsèque : performance efficace (particulièrement sur les tâches qui nécessitent créativité, flexibilité cognitive et compréhension conceptuelle), adaptabilité, comportement attentif aux intérêts de l’entreprise, etc. ; bref, aller jusqu’à l’adhésion à la vision de l’entreprise.
Un grand nombre d’études confirment que cette intériorisation se constate et qu’elle dépend du degré de satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux des collaborateurs, en particuliers des trois besoins suivants : besoin de compétence, d’autonomie et de sens :
-le besoin de de compétence est celui de se sentir réaliser une tâche importante et de sentir compétent ;
-le besoin d’autonomie est celui de se sentir faire ce qu’on a choisi, de n’être pas sous contrôle permanent ;
-le besoin de sens est celui de se sentir contribuer à un but qui nous dépasse et nous relie à d’autres : groupe de travail, entreprise, nation, nature, etc.
Il est sûr qu’une telle intériorisation, une telle adhésion, ne se décrète pas.
2.2. Conquérir l’adhésion.
Les conditions de cette conquête résultent des conditions de l’intériorisation. On peut admettre que, sauf cas particulier d’opposition délibérée ou d’inertie invétérée, tout collaborateur donnera plus ou moins son adhésion s’il comprend et approuve la vision qui guide l’action de l’entreprise, s’il comprend et approuve son rôle dans l’entreprise et s’il se sent digne de confiance, soutenu et valorisé.
2.2.1. Comprendre et approuver la vision qui guide l’action de l’entreprise
(Voir : https://outilspourdiriger.fr/partager-sa-vision-avec-ses-collaborateurs/ ).
Cette vision comporte deux aspects qu’on pourrait qualifier « d’externe » et « d’interne »
-L’aspect externe de la vision concerne les raisons d’être et le « terrain de jeu » de l’entreprise : la mission qu’elle se donne (types de besoins à satisfaire) ; les buts principaux qu’elle poursuit (pérennité, croissance, profit, etc.) ; les marchés dont elle est acteur et la place qu’elle y vise ; les opportunités qu’elle recherche et les menaces qui la guettent ; soit l’ensemble des éléments qui fondent les options stratégiques externes.
-L’aspect interne de la vision concerne le type d’organisation et les moyens nécessaires pour réaliser sa vision externe : les moyens humains, techniques et informationnels nécessaires ; les règles, normes, procédures et valeurs à respecter dans la réalisation des tâches ; la coordination entre les tâches et les relations avec les autres acteurs internes ou externes ; la répartition des pouvoirs et des rôles ; le système de sanction et de rémunération, etc.
Cette vision doit être perçue comme construite par des dirigeants professionnels expérimentés, comme ambitieuse mais réaliste et comme porteuse de promesses, d’espérances pour tous les membres de l’entreprise.
Dans l’idéal, les membres devraient avoir le sentiment d’avoir participé à cette construction ou de pourvoir le faire dans l’avenir. Pour le moins, il est nécessaire que cette vision ait été présentée, expliquée, justifiée à tous les membres de l’entreprise.
2.2.2. Comprendre et approuver son rôle dans l’entreprise.
L’entreprise est un processus de transformation « d’entrées » en « sorties ». Ce sont les « sorties » (les ventes), qui déterminent les entrées (les approvisionnements), les postes de transformation et les rôles des transformateurs (membres de l’entreprise ou sous-traitants). Le travail est partagé entre plusieurs équipes ; chacune a un sous-objectif particulier mais aucune ne peut le réaliser toute seule et ce sont les bonnes collaborations et coordinations de toutes les équipes qui peut faire espérer faire mieux que la concurrence, plus cher ou différent, etc.
Chaque collaborateur est aussi un transformateur chargé de réaliser des « sorties » qui lui sont commandées par des « clients » internes ou externes, à partir des entrées qu’il demande ou reçoit.
Ses obligations sont de réaliser son processus de transformation au moindre coût et dans les délais ; mais aussi, voire surtout, de collaborer avec son aval ou son amont : les prévenir des retards qu’il prend, leur signaler les anomalies qu’il constate, les améliorations souhaitables, etc.
Il n’y a pas de pièces négligeables dans un édifice ; toutes y contribuent et l’absence de la plus petite pièce peut être de la plus grande conséquence.
Expliquer le rôle de chacun et veiller à la coordination des rôles dans un groupe de travail ou dans l’ensemble de l’entreprise est la tâche des managers.
2.2.3 Se sentir digne de confiance, soutenu et valorisé.
(Voir: https://outilspourdiriger.fr/le-leader-un-profil-dactivites/)
Produire ces sentiments chez les collaborateurs est aussi la tâche des managers et devrait les inciter à changer leurs priorités d’action, comme le préconise C. Kim et R. Mauborgne, par ailleurs auteurs de la stratégie « Océan bleu», qui comparent les activités habituellement les plus pratiquées par trois catégories de managers avec et celles qu’ils devraient pratiquer le plus pour réussir.
2.2.3.1. Activités pratiquées et activités nécessaire des hauts managers.
Parmi les activités ci-dessous, celles qui sont les plus pratiquées par les hauts managers sont les suivantes :
Renforce les exigences de procédures – Résout les problèmes opérationnels et éteint les incendies –
Coordonne les managers du « milieu » – Résout les problèmes administratifs et répond aux e-mails –
Conduit le renforcement des capacités opérationnelles
Alors que ce sont les activités suivantes qui devraient l’être :
Traite les sous-performances. Coache et incite à lui faire rapport – Expose la vision de l’entreprise et ce que cela signifie pour chacun – Crée une stratégie convaincante – Explique clairement la stratégie retenue –
Prévoit le futur probable et ses implications – Prépare le plan des changements à introduire – Supprimer les blocages bureaucratiques.
Au lieu de chercher à « Survivre chaque jour », les hauts managers doivent « Déléguer et définir le futur ».
2.2.3.2. Activités pratiquées et activités nécessaires des managers de la “frontière » (ventes, achats, etc.).
Parmi les activités ci-dessous, celles qui sont les plus pratiquées par ces managers sont les suivantes :
Transmet les demandes des clients à son manager – Produit des données pour les rapports d’activité
Recherche l’approbation de ses décisions – Remplit les documents et faits les rapports
Alors que ce sont les activités suivantes qui devraient l’être
Traite les problèmes de sous-performance – Connaît personnellement chaque collaborateur
Coache chaque collaborateur vers le succès – Donne à chacun les informations pertinentes
Définit et partage clairement des objectifs réalistes – Félicite et récompense pour des résultats positifs Clarifie la stratégie et la manière de la réaliser.
Au lieu de chercher à « Plaire au supérieur », ces managers doivent retenir « L’essentiel = servir le client ».
2.2.3.3. Activités pratiquées et activités nécessaires des managers du « milieu ».
Parmi les activités ci-dessous, celles qui sont les plus pratiquées par ces managers sont les suivantes :
Désigne plusieurs responsables d’une même initiative – Demande des rapports fréquents et détaillés.
Exige plus de conformité aux procédures – Exige justifications des décisions prises et les revoie.
Passe beaucoup de temps avec la haute direction
Alors que ce sont les activités suivantes qui devraient l’être
– Créé un environnement favorable à l’apprentissage.
Explique clairement la stratégie suivie – Encourage les managers du « front » à déployer leur savoir-faire.
Coach ses subordonnés – Etablit les objectifs en accord avec ses collaborateurs.
Fait partager les meilleures méthodes de travail – Ajuste les récompenses aux résultats.
Au lieu de chercher à « Controller et jouer la sécurité », ces managers doivent « Libérer, coacher et déléguer ».
Motiver par la récompense ou par l’adhésion ?
Conquérir l’adhésion est incontestablement plus difficile, plus long et plus coûteux mais aussi incontestablement plus productif. Ce devrait être l’objectif premier et permanent à retenir.
Motiver par la récompense financière (hors salaire) devrait être second et justifié non par sa commodité mais par des besoins particuliers.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A.Uzan.19/12/2017