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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

Nouvelle approche de la création d’entreprise Nouvelle approche de la création d’entreprise

La boite à outils pour diriger n’est pas immuable. Des recherches font surgir de nouveaux concepts ou paradigmes qui changent la manière d’aborder tel ou tel problème. Ces innovations peuvent ne faire que « passer » ou s’imposer à tous progressivement.

En matière de création d’entreprise, de démarrage d’entreprise (et non de gestion courante) un courant tend à s’imposer aujourd’hui, qui va délibérément à l’encontre de la méthode classique. Il comporte deux  « branches » : l’effectuation (EM Lyon) et la méthode « SynOpp » (Hec Montréal) qui toutes deux développent des mêmes idées et retiennent les mêmes principes, s’inspirant des études et expériences multiples des auteurs américains suivants : S. Sarasvathy : http://www.effectuation.org/sites/default/files/documents/effectuation-3-pager.pdf    S.Blank !  http://steveblank.com/2010/01/25/whats-a-startup-first-principles).

Rappelons l’approche traditionnelle et examinons les apports de chacune des approches avant de tenter une conclusion.

 

  1. L’approche traditionnelle

Aujourd’hui, tout candidat à la création d’une entreprise est invité à tester son idée, sa vision, avant de se lancer. Il lui est recommandé de construire son modèle d’affaire (Business model ou BM) en suivant le schéma ci-dessous

 

Modèle.Entrep

Une fois assuré que son projet est cohérent et réunit de bonnes chances d’être viable et rentable, il lui est demandé de rédiger son Plan d’affaire (Business Plan ou BP) grâce auquel il va pouvoir  trouver les coopérations nécessaires, financières en particulier.

Faisons quelques rappels concernant le BM et BP.

Construire un BM (modèle d’affaire) conduit à réaliser les opérations suivantes (voir schéma ci-dessus)

-Choisir et valider les pièces de l’ensemble « commercialisation-offre » : offre à un segment, canaux de distribution, relations avec clients et prospects ; flux de revenus à espérer.

-Explorer les effets des choix précédents sur l’ensemble «fournisseurs-production-offre» : attributs du produit, activités et ressources clés nécessaires ;  coûts résultant de cet ensemble de choix.

-Etablir la viabilité, la rentabilité et les financements nécessaires.

L’objectif de cette préparation n’est pas d’obtenir une certitude hors de portée mais les ordres de grandeurs qui permettent de dire : « c’est impossible ! », « c’est jouable ! »,  » ce n’est possible que si… !

Construire un BP conduit à réaliser le dossier convaincant à présenter aux personnes dont on sollicite la collaboration.

Les difficultés, la lourdeur et le coût de ces constructions sont bien connus ; la vanité de la prétention de prévoir tous les détails est soulignée mais la méthode reste largement dominante.

Pourtant l’observation des pratiques réelles de nombreux créateurs et en particulier des créateurs « en série » montrent que ce n’est pas cette approche qui est mise en œuvre mais une toute autre que Sarasvathya appelée « effectuation » et que P. Silberzahn a développée à l’EMLyon. Le même type d’observation des pratiques a conduit une équipe de chercheurs de HEC Montréal à créer « SynOpp ».

 

  1. L’effectuation (Source : http://philippesilberzahn.com/ http://philippesilberzahn.com/2012/08/27/les-cinq-principes-de-effectuation)

 

Effect.2

La comparaison des deux tableaux ci-dessus illustre le changement de méthode proposée par « L’Effectuation ».

2.1. « L’invalidité » de l’approche par le BM et le BP.

La célébration des parcours et qualités de quelques entrepreneurs extraordinaires a masqué la réalité et faussé la vision ; le créateur aventurier, visionnaire, capable de réussir tout seul est une image mythique. En réalité, la plupart des entreprises, y compris beaucoup des plus grandes d’aujourd’hui, ont commencé « petit », sans BM et BP et sans idée initiale géniale ; elles ont mis beaucoup de temps à créer leur marché et à décoller, parfois sur une base autre que l’idée initiale.

Le processus mis en œuvre a été celui du schéma ci-dessus :

-Le porteur d’un projet de création définit ce qu’il peut faire d’abord, compte tenu des moyens qu’il peut réunir ; puis il entre en interaction avec des prospects, fournisseurs, financeurs etc. pour savoir s’il peut obtenir leur adhésion et leur collaboration.

-S’il est conforté par l’adhésion des partenaires sollicités et en particuliers par les clients, il peut établir des buts et objectifs plus ambitieux ou différents ; sinon le projet est abandonné.

-Le développement du projet se réalise par reproduction élargie du processus : accroissement des apports des partenaires (clients, distributeurs, fournisseurs, financeurs…) ; établissement d’objectifs plus ambitieux ou nouveaux, etc.

Les fondements de cette démarche sont les suivants :

– ce sont les ressources disponibles toujours rares qui, le plus souvent, déterminent les objectifs et non, comme le postule la méthode traditionnelle, les objectifs qui déterminent les moyens à réunir ;

– la création est un processus émergent qui se construit en continu par l’action, par l’essai et l’erreur, et non pas avant toute action et une fois pour toutes ;

– si on crée un produit ou service nouveau, la prévision du futur est impossible et on ne peut réduire l’incertitude que par la co-création, l’accord avec des parties prenantes.

– la création est un processus social ; son succès dépend de l’adhésion des autres acteurs (clients, financeurs, fournisseurs, etc.), ce qui n’est jamais donné d’emblée et ne peut être conquis que progressivement.

2.2. Les préconisations.

L’approche de l’effectuation préconisent d’appliquer les 5 principes suivants :

– Démarrer avec ce qu’on a.

On étudie ses ressources et d’abord ses capacités et ses relations (qui je suis, ce que je connais, qui je connais) et au lieu d’imaginer ce qu’on pourrait faire avec les ressources qu’on n’a pas, on imagine les possibilités que ces ressources ouvrent et on commence à agir ; une idée n’est rien sans action, tests et essais de mise en œuvre.

Définir la perte acceptable.

Au lieu de viser un gain attendu affecté d’une grande incertitude, on limite le risque de perte en fixant une limite de temps et d’argent à consacrer au projet. On peut aussi limiter la perte en partageant le risque avec d’autres.

Construire son projet comme un patchwork (Assemblage de plusieurs morceaux de tissus pour réaliser une pièce ou de plusieurs partenaires pour faire un groupe, etc.)

Au lieu de définir a priori un résultat final, on considère a priori qu’il va varier selon la concurrence, les partenariats possibles, les opportunités, les ressources nouvelles, etc.

-Tirer parti des surprises.

Au lieu de tenter d’éviter les mauvaises surprises, on regarde toute surprise, bonne ou mauvaise, comme un indice d’opportunité nouvelle et on se prépare à en tirer parti.

Piloter.  Choisir sa destination et sa trajectoire, construire le futur.

Au lieu de chercher à prévoir comment les forces du marché produiront le futur, on se concentre sur les actions qu’on peut lancer et contrôler pour obtenir les résultats désirés ; on cherche à transformer l’environnement car le futur se construit plus qu’il ne se prévoit.

 

  1. L’approche « SynOpp» (« Syn »= faire le lien » ; « Opp » = opportunité).

Source ; Mooc Coursera. HEC Montréal, Réussir son démarrage d’entreprise – L’approche SynOpp  C. Ananou

https://cours.edulib.org/courses/HEC/ENT-102.1/P2015/courseware/cecd30c835d2476c9eb8e3f1cb137926/

« Filion,  Ananou, Schmitt . De l’intuition à l’action entrepreneuriale : Créer son entreprise sans business plan, Eyrolles, Paris, 2012. »

3.1. Ses fondements sont semblables à ceux de l’effectuation, pour l’essentiel :

– Le créateur d’entreprise est d’abord un géniteur et non un éleveur ; ces fonctions sont différentes et appellent des motivations et compétences différentes ; c’est pourquoi certains se désintéressent de leur création réussie pour entreprendre ailleurs.

– Chacun de nous a le potentiel de devenir créateur pourvu qu’il dispose de l’envie de créer, de curiosité, de créativité, d’un peu de confiance en soi et qu’il sache s’entourer. On peut  cependant être différent et relever de l’un des types suivants : (Source P. Coste) : entrepreneur expert (avec des compétences dans son domaine mais nécessairement des manques) ; entrepreneur militant (avec la foi mais aussi un « rigide » obstination ) ; entrepreneur opportuniste (intéressé provisoirement par un projet).

-Les opportunités de création ne se découvrent pas mais se créent au confluent des caractéristiques du créateur (ce qu’il est, ce qu’il cherche, ce qu’il sait, qui il connait etc.) et  son environnement.

Le créateur crée son marché, c’est-à-dire son réseau de partenaires et les études de marché sont alors inadaptées. A partir de l’intuition d’un besoin nécessairement latent et flou (R. Poincaré : « On prouve avec sa logique mais on découvre avec son intuition), il cherche progressivement à mettre au point une offre viable. La réalisation d’un BP fondé est alors impossible et ne se construit que progressivement.

-Le degré d’engagement dans l’aventure dépend de la sensibilité à la perte, laquelle peut concerner les fonds engagés mais aussi le temps, la santé, les relations familiales, la notoriété, l’estime de soi.

3.2. La spirale SynOpp : de l’intuition à l’opportunité

 app.creat 3

La spirale de création d’une opportunité

3.2.1. Les fondements.

Les fondements de la spirale sont les quatre suivants.

– la démarche est holistique parce le projet de création est un tout, un ensemble éléments : le créateur, ses ressources, l’environnement où il démarre, etc. et que la réussite dépend de la cohérence de l’ensemble.

-La démarche est heuristique parce qu’il s’agit de chercher, d’inventer, de construire progressivement le projet ; et, ici, c’est l’action, l’essai et la « réponse de la réalité », qui importent (« on apprend en faisant »).

-La démarche est itérative parce toute construction de projet conduit à tester ses hypothèses et, souvent, à les revoir.

-La démarche est synchronique parce le créateur doit en permanence rechercher et comprendre le sens des évènements qui surviennent dans son environnement et dans sa relation à cet environnement.

3.2.2. Les étapes.

Les caractéristiques de la démarche s’appliquent à chacune des quatre étapes de la création.

Identification d’un besoin.

C’est, ici, la curiosité, l’observation de l’environnement ou la recherche scientifique qui suscitent l’intuition mais aussi la chance ou sérendipité. Autant que possible, doivent être définies les caractéristiques fonctionnelles, sociales et effectives du besoin et l’importance de chaque caractéristique (voir la notion de courbe de valeur).

Construction d’une première solution-offre.

Sur la base de la courbe de valeur du besoin et de la place sur cette courbe des solutions actuellement disponibles, on cherchera une solution qui apporte au client une meilleure combinaison «satisfactions –contraintes » que les solutions actuelles.

Tests et mises au point de la solution.

C’est clairement la phase de co-création avec des prospects et autres partenaires. Le choix des co-créateurs dépend des circonstances mais la « courbe de diffusion de l’innovation » invite à s’adresser prioritairement aux types « innovateurs », désignés, ici, « accros » et pour qui la solution trouvée est la plus importante.

Déploiement du projet.

Parmi les très nombreuses idées développées par le mooc, il convient de faire une place à part à la suivante :

3.2.3. La « segmentuition » (P.Millier. EM Lyon). (mot composé de segmentation et intuition)

Le graphique ci-dessous montre le changement de perspective à opérer lorsqu’on est en phase d’exploration (1) et non d’exploitation (2) :

app.creat 4

Toute entreprise doit déterminer des segments ou sous-ensembles homogènes de prospects et choisir le segment-cible à conquérir (voir l’article « Segmenter un marché »). Mais que faire face à un marché qui n’existe pas, lorsqu’on ne sait même pas qui peut être le client ?

Le point de départ est nécessairement, alors, ce à quoi peut servir le produit ou le service créé, à quel problème il peut apporter une meilleure solution.

L’étape suivante est de repérer les acteurs à qui peut servir le produit ou le service créé, pourquoi ces acteurs pourraient  l’adopter ou pas (« Customer discovery » et « customer validation ») et en quoi le produit ou service créé peut être une plus ou moins bonne solution et dans quelles circonstances, etc.

Une fois collecté un nombre suffisant de cas différents, on peut faire une sorte de typologie et tenter d’induire les critères d’une segmentation pertinente. La « segmentuition »

 

Conclusion

Tout entrepreneur sait bien, au fond de lui, qu’au début de son projet de créateur ou au début d’une nouvelle étape de  développement, il a « fait de l’effectuation » ou du « SynOpp », sans le savoir, et appliqué tout ou partie des principes de ces méthodes ; et cela d’autant plus que l’incertitude était grande, qu’il fallait faire un saut dans l’inconnu. Cet aspect incontournable de tout projet explique pourquoi les partenaires sollicités, financeurs en particulier, considère la qualité de l’entrepreneur et son équipe comme le critère premier, avant le BP.

Mais pour donner son adhésion à un projet de création ou de développement, tout partenaire aura aussi besoin d’une expression un peu organisée de la vision et la stratégie du porteur de projet, c’est-à-dire d’un BM et le BP. Ces documents indispensables peuvent avoir différents degrés de finition.

 

Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A.Uzan. 8/07/2015