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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

Préparer une innovation. 1 Préparer une innovation. 1

Préparer une innovation, c’est créer, lancer et faire adopter un « objet » nouveau par des utilisateurs visés.

Cet objet peut être un produit, un service, un processus, ou un modèle d’affaires. Il va résulter d’un processus de création (invention) ou d’un processus d’adaptation de produits existants, puis d’un lancement à destination d’utilisateurs ciblés ; mais il ne devient innovation que s’il est adopté, à plus ou moins long terme, par un grand nombre d’utilisateurs.

On voit qu’il ne s’agit pas seulement d’invention scientifique, mais préparer une  innovation , c’est mobiliser des ingénieurs et des managers et des méthodes de gestion pour réussir la conception et l’adoption de l’invention.
En fait, pour préparer une innovation, il faut suivre un processus méthodique éprouvé de progression, comme suggéré par le schéma suivant, dénommé l’entonnoir du développement :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce schéma conduit à suivre les étapes suivantes :

-repérage des besoins des utilisateurs (externes ou internes à l’entreprise) et détection des opportunités d’innovation ;

-recherche des idées et création de concepts de solution ;

-réalisation et lancement.

On imagine facilement que l’étape la plus incertaine concerne le repérage des opportunités, la sélection des idées et la création des concepts ; c’est-à-dire la phase préparatoire de l’innovation, ce que les experts anglophones appellent le « Front-end of innovation » (FEI).

Le schéma ci-dessous indique les quatre types d’activités-étapes de cette préparation :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-compréhension de l’environnement de l’entreprise et des besoins latents des clients actuels et potentiels ;

-repérage des écarts entre la situation actuelle de l’entreprise et son ambition ou vision de l’avenir ;

-génération d’idées et conception des solutions alternatives aux problèmes d’utilisateur repérés comme opportunités d’innovation ;

-transformation des idées en concepts susceptibles de devenir une innovation ; c’est-à dire définition aussi claire que possible de la manière dont le problème de l’utilisateur visé serait résolu et, si possible, création d’un prototype.

Cette description de la préparation de l’innovation doit être nuancée sur deux points :

-en réalité, les solutions alternatives à proposer aux utilisateurs peuvent aussi résulter d’une adaptation d’idées ou de produits existants ou d’une cocréation avec des clients ou d’autres acteurs ;

-contrairement à l’impression donnée par l’image de l’entonnoir, le processus va faire l’objet de nombreuses itérations (retours en arrière, etc.)

 

Voyons comment conduire chacune de ces étapes de la préparation de l’innovation.

Dans cet article-ci, nous présenterons les trois premières étapes de la préparation de l’innovation : l’analyse de l’environnement et des besoins des clients, la génération, l’évaluation et la sélection des idées, la génération des concepts de produit ; reportant à un article suivant l’évaluation et la sélection des concepts.

 

  1. Analyse de l’environnement et des besoins des clients. 

1.1. Analyse des tendances de l’environnement.

En principe ce type de recherche et d’analyse a été opéré pour l’élaboration de la stratégie générale de l’entreprise. Il peut être repris, sans doute avec un champ plus étroit, pour les besoins de l’élaboration d’une stratégie de l’innovation ou sur la base d’un axe d’innovation délibérément choisi ou intuitivement pressenti, par exemple, pour préparer une diversification.

L’objectif étant de comprendre ce qui tend à se produire dans le domaine exploré et ce qu’il possible de faire, les méthodes à mettre en œuvre sont les suivantes :

-Entretiens avec des experts du domaine exploré.

-Consultation d’un groupe d’experts selon la méthode Delphi (processus itératif de consultation de plusieurs experts sur les orientations à donner à un projet, sur son opportunité, sur sa faisabilité et sur les différentes contraintes à surmonter).

-Recours à une agence particulière ou à un consultant spécialisé.

-Création d’un atelier spécifique réunissant diverses compétences et divers services de l’entreprise.

-Création d’un atelier de coopération avec un ou quelques clients (cocréation).

 

1.2. Repérage des opportunités.

1.2.1. Les sources d’opportunités peuvent se résumer aux six suivantes :

-apparition d’une nouvelle ressource (matière, technologie, compétence, etc.) ;

-repérage d’une ressource sous-utilisée (capacité de production, éléments naturels, etc.) ;

-observation d’un changement dans l’environnement (valeurs, comportement du consommateur, réglementation, etc.) ;

-apparition d’un changement interne (évolution des capacités, impulsion nouvelle donnée par le dirigeant, etc.) ;

réaction à une tendance repérée, favorable ou défavorable, interne ou externe ;

repérage d’une création faite par un utilisateur pour son usage propre et susceptible de devenir une innovation ;

1.2.2. Repérer les écarts entre la situation courante de l’entreprise et son futur visé conduit à mettre en œuvre les méthodes suivantes :

– analyse de l’évolution des ventes et de la situation par rapport à la concurrence ;

– prévisions concernant les évolutions des technologies courantes et des technologies nouvelles et de leurs impacts sur les marchés ;

– analyse des stratégies des concurrents et des leaders en particulier ;

incitation des salariés à repérer les opportunités d’innovation en leur donnant le temps libre nécessaire à cette exploration ;

– « netnographie », en observant attentivement ce qui se dit dans les réseaux sociaux et les communautés d’utilisateurs sur le domaine exploré ;

– repérage intuitif opéré par les dirigeants et les collaborateurs (boite à idées) ;

– identification des besoins latents des clients (méthode de la « « Voix du client »).

 

1.3. Identification des besoins latents des clients.

Pour comprendre ce dont les clients ont vraiment besoin, il est peu utile de le leur demander (enquête) ; ils peuvent clairement dire ce qu’ils font (ou font faire), pour qui, pourquoi et comment, quels résultats sont attendus ou espérés de ce qu’ils font (ou font faire) et quelles difficultés ils éprouvent à obtenir ces résultats ; mais il leur est d’autant plus difficile de dire comment faire autrement qu’ils se consacrent à mieux utiliser l’existant (productivité).

Si on appelle « Job » le travail qu’un client fait (ou fait faire), c’est-à-dire la résolution d’un problème de son propre client, on peut considérer que ce job est susceptible de produire trois types d’effets et, chacun, plus ou moins satisfaisant : un plus ou moins bon effet fonctionnel (résolution du problème), un plus ou moins bon effet émotionnel (satisfaction, fierté, etc.) et un plus ou moins bon effet social (relation avec les autres).

Et, plus les difficultés rencontrées par le réalisateur du « Job » seront grandes, plus les résultats-effets actuellement espérés seront faibles, plus le « client » sera attentif, voire coopératif, à l’apparition d’un moyen plus efficace de faire le job.

Les jobs (problèmes de quelqu’un que le travail d’un autre cherche à résoudre) sont quasi permanents mais les moyens de les réaliser sont temporaires et objets d’innovation, aujourd’hui quasi permanente.

C’est cette étude des jobs et de la pertinence des moyens de les réaliser qui permet d’identifier les besoins latents des clients ; d’identifier aussi les critères de choix d’un produit ou d’un service nouveau ainsi que le type de moyen le plus pertinent.

Ici, les méthodes à mettre en œuvre sont les suivants :

– s’entretenir avec les quelques entreprises, les plus susceptibles de faire comprendre les problèmes posés par la réalisation actuelle du Job, et de faire repérer les besoins et les critères de choix d’un éventuel moyen nouveau ;

– mobiliser les collaborateurs de l’entreprise les plus susceptibles de faire progresser la compréhension en cours par leurs observations ou par leurs entretiens avec leurs clients actuels ou prospects ;

observer directement les acteurs du job visé ; en particulier pour mieux comprendre comment ils surmontent les obstacles en créant des solutions nouvelles, voire des « innovations pour usage personnel », sources d’informations utiles à la conception de l’innovation projetée ;

– pratiquer la cocréation, en collectant les « innovations pour usage personnel », en utilisant la « netnographie » (étude des réseaux sociaux, des communautés d’utilisateurs), en lançant des « concours d’idéation » ouverts à tout contributeur ou en trouvant une entreprise avec qui cocréer réellement.

1.4 Définir la Charte d’Innovation Produit (Product innovation charter : PIC)

A ce stade de la préparation (FEI), on peut espérer qu’une opportunité principale d’innover ait été repérée et retenue comme base de travail de la conception du projet d’innovation.

Mais avant toute idéation, il importe d’abord de clarifier aux yeux de tous les acteurs et de leur faire partager le projet sur lequel travailler, en rédigeant la « Charte d’innovation du produit » ou PIC (« product innovation charter »).

L’association américaine des praticiens du PIC conseille d’écrire les raisons pour lesquelles le projet a été lancé, les buts et objectifs à atteindre, les lignes directrices à explorer et les limites à respecter (pour qui, pourquoi, quoi, quand, etc.)

Il importe, effet, de préciser les éléments suivants :

-idées clés qui ont conduit au projet ;

-les objectifs poursuivis et les moyens de mesure de la réalisation ;

-les hypothèses principales retenues en matière de technologie et de marché ;

-les responsabilités des managers concernés ;

-les moyens et budget alloués pour le projet ;

-les étapes d’évaluation et les délais à respecter.

Une petite cérémonie de présentation du PIC est nécessaire.

 

  1. Génération, évaluation et sélection des idées

2.1. Les sources des idées.

L’idée est la forme la plus embryonnaire d’un nouveau produit, processus ou service ; c’est une vue d’ensemble de la solution nouvelle envisagée pour tout ou partie du problème identifié comme opportunité.

On peut repérer cinq sources types des idées :

création interne délibérée via les études et observations présentées ci-dessus ;

repérage dans ou hors de l’entreprise d’idées existant et jugées transposables ou re-combinables ;

cocréation délibérée avec un ou des clients ;

intuition ;

hasard ou chance

2.2. Les Méthodes pour générer ou identifier des idées.

– réaliser des sessions de créativité (brainstorming interne) ;

– exploiter la base de données interne où ont été stockées des idées ;

– réunir des groupes chargés de générer des idées, en particulier à partir de l’observation des difficultés du client à faire le Job ;

– repérer des utilisateurs- innovateurs (méthode du lead user) et coopérer avec eux ;

– lancer des « concours d’idéation » dans les réseaux sociaux ou les communautés pertinentes pour le projet.

2.3. Evaluer et sélectionner les idées.

Choisir parmi les idées générées est aussi important, sinon plus, que de générer des idées ; et d’autant plus qu’elles proviennent de sources externes (experts, clients, fournisseurs, etc.).

On peut, ou doit, ici, recourir à deux types de critères ;

– Le potentiel d’innovation de l’idée : l’idée est-elle de nature à réaliser les objectifs retenus dans le PIC (satisfaction des besoins latents des clients visées, adoption rapide et importante, avantage concurrentiel durable, protection possible, etc.) ou est-il nécessaire de modifier soit les objectifs soit l’idée ?

– A quelles conditions la réalisation est-elle possible ? Les hypothèses principales retenues en matière de technologie, de marché, de capacités internes et de financement restent-elles valables ou faut-il les modifier plus ou moins radicalement ?

Si la ou les idées retenues sont satisfaisantes, il faut maintenant passer de l’idée du produit au concept du produit.

 

  1. Génération des concepts de produit.

3.1 Le concept

Le concept d’un produit doit être une sorte de prototype verbal « disant » ce qui va être amélioré, facilité, dans le job du client et précisant les effets plus satisfaisants qu’il va produire sur les aspects fonctionnels, émotionnels et sociaux.

Sa présentation doit donc contenir :

-la caractéristique principale du produit ou service et les avantages qu’il va procurer au client ;

-la technologie nécessaire à utiliser ;

-quelques indications sur les autres aspects (forme, esthétique, etc.).

E c’est sur cette base sommaire que les tests et recherches conduiront progressivement à affiner le concept de produit pour en faire un produit commercialisable : comme le montre le schéma ci-dessous :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-affinement sur les conditions de fabrication (protocole, prototypes) ;

-affinements sur le marché pilote à conquérir ;

Et, peut-être, en cours de route, changement de tel ou tel aspect du concept pour tenir compte des erreurs d’analyse, des coûts et des résistances du marché.

On sait que le but ultime est la fourniture au client d’un moyen de faire (ou faire faire) son job plus facilement, plus économiquement et plus fièrement ; et qu’il importe, ici, de conduire l’équipe de conception et les ingénieurs en particulier à se soucier plus de cet aspect que du perfectionnement technique.

 

3.2. Les méthodes pour générer et développer des concepts

Ce sont, pour l’essentiel les mêmes que celles de la génération des idées :

-méthodes mobilisant les capacités de créativité ;

-exploitation de la base d’idées et de concepts de l’entreprise ;

cocréation avec un client ou un utilisateurs- innovateurs (méthode du lead user)

– appliquer la stratégie « Océan bleue » en décomposant-recomposant les éléments du concept et les propositions de valeur existantes, pour réduire ou éliminer les attributs de l’offre les moins déterminants pour le client et trouver et ajouter des attributs qui ne sont offerts par personne.

 

On retiendra que les confrontations entre la charte d’innovation du produit et les résultats des recherches seront fréquentes. La flexibilité et l’adaptabilité doivent être de mise pour utiliser les connaissances acquises sans s’éloigner des objectifs et de la stratégie d’origine.

L’équilibre entre ces deux types d’objectif définit la capacité du bon chef de projet d’innovation.

(Source : https://learning.edx.org/course/course-v1:RWTHx+MTI002x+2T2021/home

« Customer-Centric Innovation » F. Piller, Université RWTH d’Aix-la-Chapelle)

 

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Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur.  A. Uzan 23/10/1921