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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

L’innovation de modèle d’affaire. L’innovation de modèle d’affaire.

 (Sources principales :  https://hbr.org/2008/12/reinventing-your-business-model    M.W. JohnsonC.Christensen, H.Kagermann

https://hbr.org/2014/07/four-paths-to-business-model-innovation?cm_sp=Article-_-Links-_-Top%20of%20Page%20Recirculation  K. Girotra, S.Netessine, Insead.)

 

Généralement la croissance est recherchée par des innovations de produit ou de technologie. Mais l’observation montre que les entreprises véritablement novatrices n’ont jamais fondé leur développement exclusivement sur la découverte et la commercialisation d’une technologie exceptionnelle. Leur succès est surtout dû à leur capacité « d’envelopper » la nouvelle technologie dans un modèle d’affaire approprié, c’est-à-dire, en fait,  à leur capacité de réaliser une innovation de modèle .

C’est ce que montrent les expériences de Gilette, Apple, Walmart, Amazon, compagnies aériennes low-cost, etc. et ce que pensent beaucoup de dirigeants.

Cet article amorce l’essai de faire un point sur la question du modèle d’affaire (« Business model ».) Après avoir rappelé les notions de base, on présentera ce que les experts (cités en sources) disent quant aux raisons de changer et aux voies de changement.

 

  1. Notions de base sur l’innovation et le modèle d’affaire.

1.1. L’innovation  (Voir les articles « La fabrique de l’innovation »,  «L’Innovation de rupture », etc.)

Une innovation n’est pas une invention mais le lancement puis la diffusion d’un produit nouveau, d’un procédé nouveau de production ou d’une méthode nouvelle d’organisation.

On distingue habituellement les innovations selon la nature de ce qui est nouveau (produit, procédé, méthode, etc.) ou le degré de changement introduit (innovation incrémentale ou radicale). Mais après études des marchés, C. Christensen observe que le déterminant principal du changement est moins le caractère plus ou moins radical de l’innovation que le degré de « conflit » entre innovation et modèle d’affaire. Aussi propose-il de distinguer plutôt entre l’innovation continue (radicale ou pas) et l’innovation de rupture (radicale ou pas) selon la nécessité de changer de modèle d’affaire. C’est ce qu’illustre le schéma ci-dessous ;  il y a des innovations radicales adoptées par les entreprises en place parce qu’elles n’entraînaient pas un changement important de modèle d’affaire ; alors que certaines innovations incrémentales les ont mises en très grande difficulté.

 ino.rup.1

Source = P. Silberzhan

 

On peut aussi distinguer les innovations selon le type de client.

-Les clients « cœur de cible » actuels de l’entreprise et les prospects connus attendent des produits plus performants et moins coûteux, c’est-à-dire une capacité d’innovation continue de leur fournisseur.

-Les clients qui s’estiment « sur-servis » par l’offre actuelle sont ouverts à des offres « low-cost ».

-Les « ni clients ni prospects » connus constitueront la cible d’une innovation de rupture.

1.2. Le modèle d’affaire (voir les articles «Le canevas de modèle d’entreprise », « Le modèle d’entreprise, un outil de pilotage stratégique », etc.)

On connaît la présentation classique de A.Osterwalder et Y.Pigneur dans « Business Model Generation ». L’entreprise est un « transformateur » d’entrées provenant de partenaires extérieurs en sorties destinées à des clients, transformation opérée par des activités utilisant des ressources. C’est aussi un flux de revenus générés par les sorties et un flux de coûts générés par les entrées, l’utilisation des ressources et les activités.

Construire un modèle d’entreprise revient à définir et combiner de façon cohérente les éléments composant les deux ensembles ci-dessous :

– le flux de revenus résultant de l’offre, du segment de clients visés, des relations qui sont établies avec les clients et du recours à des canaux de distribution ;

– le flux de coûts résultant de l’acquisition des ressources clés requises par la production, la distribution, la relation avec le client et la promotion, de la réalisation des activités clés correspondantes et des relations établis avec les partenaires clés.

Le modèle d’affaire défini par C. Christensen et les autres auteurs est peu différent mais plus synthétique et plus complet. Il comporte les quatre éléments interdépendants suivants :

-La proposition de valeur au client. C’est l’offre proposée à un segment de marché ; l’offre à des prospects d’un moyen de mieux résoudre un leurs problèmes.

-La formule de profit. C’est la manière dont l’entreprise retient une part de la valeur crée, manière qui dépend des quatre déterminants suivants :

– le modèle de revenus et de marge ; la combinaison entre volume des ventes et prix ;

– la structure des coûts : la répartition entre charges de structures et coûts directs ;

– la vitesse de rotation des ressources (stocks, les immobilisations et autres actifs).

-Les ressources clés. Ce sont les personnels, technologies, équipements, inputs, canaux et marques nécessités par la production et la commercialisation de l’offre.

-Les processus clés. Ce sont les processus opérationnels (règles, mesures, normes, etc.) et les processus managériaux (types de management, formation, R et D, budgétisation, planification, etc.) retenus pour assurer le succès et la croissance de la production et de la commercialisation de l’offre.

La pertinence et la qualité de chaque éléments du modèle compte mais le plus important est la cohérence et l’intégration des éléments.

 

  1. L’innovation de modèle d’affaire.

2.1. Deux exemples d’innovation.

-E1 est un constructeur de voiture qui a formé le projet de construire une voiture familiale très peu onéreuse et de nature à attirer les très nombreux utilisateurs peu fortunés des deux-roues à moteurs.

Cette nouvelle proposition de valeur doit le conduire à changer de formule de profit ; la nécessité de prix de vente très faibles va l’obliger à baisser ses coûts de production et sa marge bénéficiaire unitaires.

Ses nouvelles ressources clés et processus clés vont devenir les suivantes : recrutement d’une petite équipe d’ingénieurs pour définir la conception de la voiture la moins coûteuse ;  externalisation de la fabrication, minimisation des frais de distribution. Son objectif est de rechercher du volume pour couvrir ses charges fixes.

-E2 est un fabricant d’outils hauts de gamme pour professionnels qui voit ses ventes baisser et choisit de  louer ses outils au lieu de les vendre espérant permettre à ses clients  d’avoir toujours le bon outil au bon moment et pour la seule durée nécessaire.

Cette nouvelle proposition de valeur va le conduire à changer les autres éléments de son modèle d’affaire.

Sa formule de profit va changer : revenus plus réguliers de location par abonnement avec marge unitaire plus faible ; recherche de la fidélité de ses clients et de la stabilité de leurs besoins pour couvrir ses coûts fixes de commercialisation et de gestion des stocks devenus nettement plus importants.

La difficulté principale à surmonter va être de changer de système de commercialisation (ventes par internet au lieu de recours à des vendeurs et formation nouvelle et reconversion de ses vendeurs).

2.2. Les raisons de changer de modèle d’affaire.

Toute entreprise doit en permanence surmonter des menaces extérieures et intérieures et saisir les opportunités qui s’offrent à elle.

Les types de menaces extérieures sont bien connus grâce à M. Porter:

-L’intensification de la concurrence.

-L’accroissement du pouvoir de négociation des clients ou des fournisseurs ;

-L’apparition d’un produit de substitution nouveau et compétitif.

-L’apparition d’innovations concernant les modes de produire, vendre, organiser ou manager ;

-La naissance d’un changement de réglementation, de valeur, etc.

Les menaces intérieures concernent les aspects suivants :

-La détérioration de la cohésion interne ou du climat social.

-L’obsolescence des capacités installées.

-La perte d’une ressource clé technique ou humaine.

Les menaces à surmonter ou les opportunités à saisir ne sont pas également importantes pour l’entreprise et ne nécessitent pas toutes un changement de modèle d’affaire.

Les auteurs ci-dessus cités recommandent de recourir à ce changement « lorsque des changements importants sont nécessaires pour chacun des quatre éléments du BM existant ; c’est-à-dire l’offre, la formule de profit, les ressources clés, les processus clés » et en particulier dans les circonstances suivantes :

-La nécessité de répondre à un changement des bases de la concurrence.

-L’opportunité d’aller vers la satisfaction d’un nouveau besoin chez les clients et prospects.

-L’opportunité d’utiliser une toute nouvelle technologie.

-La possibilité de transposer une technologie éprouvée dans un nouveau marché.

 

  1. Les voies principales de l’innovation de modèle d’affaire.

 

3.1. Les obstacles principaux.

Ils résident pour l’essentiel dans les croyances couramment admises suivantes :

-Croire que la montée en gamme soit la              solution à tout.

-Croire que le modèle d’affaire en cours continuera indéfiniment à permettre de réussir.

-Croire qu’on peut faire coexister modèle d’affaire en cours et modèle nouveau.

-Croire que le «premier entrant » peut seul réussir alors que souvent une firme pionnière a été surpassée par un concurrent « suiveur rapide ».

3.2. La recomposition de l’offre.

On peut repérer trois voies principales de recomposition:

-Se centrer sur le meilleur segment de marché ou de client.

L’avantage tient à la profitabilité et à la réduction du risque mais l’inconvénient est que les gens peuvent vouloir acheter « du pain et du beurre ».

-Chercher à multiplier les usages des ressources clés.

Plusieurs produits peuvent partager les mêmes composants (standardisation) ; plusieurs produits ou segments de marché peuvent partager la même capacité ; à la condition toutefois que les composants, produits ou clients n’aient pas les hauts et des bas de demande en même temps.

-Chercher des usages complémentaires du même produit

Un fabricant de vêtements de ski gagnerait à vendre dans des pays à saisons opposées (Nord et Sud).

Une compagnie aérienne pourrait trouver avantage à transporter des passagers et du fret.

3.3. La recomposition de la formule de profit.

On peut ici indiquer les quatre voies suivantes :

-Modèle à base de revenus récurrents (abonnement, etc.) ou de revenus uniques (vente simple).

Le premier peut être plus lucratif mais, généralement, il exige plus de capital initial et plus de temps d’amortissement alors que c’est l’inverse pour le second. On peut aussi choisir une offre combinant les deux modèles : un produit de base vendu à faible marge et des produits ou services complémentaires facturables à plus forte marge parce plus faciles à adapter aux besoins du client.

-Prendre l’essentiel du risque à sa charge.

Une technologie nouvelle est toujours difficile à vendre ; réduire les risques et réticences des clients peut être obtenu en prenant à sa charge la mise en œuvre et se rémunérant par le partage des résultats bénéficiaires obtenus par ses clients.  NB : le client peut « tricher » et chercher à réduire ses bénéfices.

Externaliser ou intégrer.

Comme l’a fait Amazon, une petite entreprise de vente en ligne peut d’abord se contenter de servir d’intermédiaire entre les clients et les fournisseurs en place puis, progressivement, acheter pour vendre.

NB : clarifier les relations pour éviter les conflits.

-Choisir le modèle de facturation le plus adapté. (Voir l’article « Outils pour entrepreneurs de startup. 3 ».)

Le prix qu’un prospect accepte de payer ne dépend que de que l’offre lui apporte.

Ce principe peut fonder la pratique de prix différents selon les clients et prospects ;  traitement de faveur pour les partenaires de la création (testeurs, co-créateurs) et les prescripteurs ; prix initiaux élevés pour les « adopteurs précoces » de l’innovation puis prix plus faibles pour les autres.

3.4. La recomposition des ressources et processus clés.

-Confier plus de pouvoir de décision aux personnes les mieux placées.

Ces personnes peuvent être des employés et, comme Google, on peut penser que les ingénieurs, par exemple, sont mieux informés sur les technologies et les goûts des clients que les dirigeants de la société.

Ce peut être aussi des fournisseurs et, comme l’a fait WalMart, on peut penser qu’un fournisseur est mieux placé pour gérer le rayon concernant ses produits que le chef de rayon.

-Modifier les relations avec ses fournisseurs.

Il convient, ici, d’établir des contrats tels que le fournisseur ait intérêt à ce que sa fourniture améliore la performance de son client. Plus généralement, il importe grandement de construire avec ses fournisseurs des relations de collaboration à long terme.

 

Aucune reproduction, ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 20/01/2016