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Etre heureux au travail

(Source: Mooc edX “The Foundations of Happiness at Work” Greater Good Science Center. Berkeley. USA)

 

Etre heureux au travail, à quelles conditions de réalisation et avec quels effets, tel est l’objectif retenu par un important centre de recherche de l’université Berkeley de Californie, le Greater Good Science Center, GGSC, (https://ggsc.berkeley.edu/) qui publie ses travaux dans son magazine  Greater Good Magazine (https://greatergood.berkeley.edu/?_ga=2.19956920.1443936419.1552399879-1698361322.1552399879 )

Dans ce premier article nous verrons ce que ces chercheurs appellent les « Quatre clés du bonheur au travail » et ce qu’ils disent des effets du bonheur au travail. Un prochain article portera sur comment créer un climat de travail de nature à rendre heureux au travail.

 

  1. Les clés du bonheur au travail

Chacun a pu faire l’expérience d’un moment de bonheur dans sa vie ; l’expérience d’un état émotionnel de satisfaction, de plénitude, de disponibilité aux autres, de confiance en soi et en l’avenir, etc. ; un état quasi indéfinissable, parfois durable mais jamais permanent et dont le contenu comme les causes peuvent être multiples et différentes selon les personnes.

Pour le GGSC, la définition du bonheur au travail est plus simple et précise : c’est d’éprouver un sentiment général de plaisir au travail, de se sentir capable de faire face aux difficultés et revers, de communiquer aimablement avec les membres de son équipe, ses collègues et les clients et de faire cela en sachant que son travail compte pour soi, pour son entreprise et pour la société.

Ce sont ainsi les quatre clés du bonheur au travail qu’on peut résumer dans l’acronyme « PERK » (en anglais : Purpose, Engagement, Resilience, and Kindness) qu’on peut traduire sommairement par But (motivation pour le but), Engagement, Résilience et Amabilité (ou attention aux autres, ou empathie, etc.).

Voyons comment sont définies les notions et quels comportements elles impliquent.

1.1. La motivation pour le but (Purpose)

Notre détermination au travail est d’autant plus grande que notre travail est ressenti comme conforme à nos valeurs fondamentales, à nos croyances, à nos buts et préoccupations, voire à notre vocation.

On peut observer trois types d’attitude à l’égard du travail, révélant la poursuite de trois types de but :

-L’attitude dite « job » est celle des personnes qui ont tendance à considérer le travail comme un moyen de gagner le revenu nécessaire à la réalisation de soi hors travail.

-L’attitude dite « carrière » est celle des personnes qui ont tendance à considérer le travail comme un moyen de progresser dans les hiérarchies professionnelle et sociale.

-L’attitude dite « vocation » ou « réalisation de soi » (en anglais : « calling ») est celle des personnes qui ont tendance à considérer le travail comme le moyen de s’épanouir, de se réaliser.

Chez une personne, chaque « attitude-but » peut prévaloir à un moment et toutes peuvent plus ou moins coexister mais il est clair que toutes n’ont pas égale capacité à produire le bonheur au travail.

C’est à chacun de trouver ou de construire son but au travail et au manager de faire adhérer ses collaborateurs au but choisi par l’entreprise. L’idéal alors est que l’attitude « vocation » devienne dominante.

Cet idéal dépend nécessairement du collaborateur mais les moyens principaux relèvent de l’entreprise et en particulier les moyens suivants :

-souligner la responsabilité sociale de l’entreprise et l’importance sociale du travail de chaque membre ;

-soutenir les motivations principales du moment (apprendre, accomplir des réalisations, acquérir un statut et du pouvoir, appartenir à une communauté, etc.)

-donner de l’autonomie dans le travail pour faire progresser vers l’attitude « vocation » et adhérer au but de l’entreprise.

Dans un autre article de ce blog  (https://outilspourdiriger.fr/motiver-par-la-recompense-ou-par-ladhesion/) on a montré que, sauf cas particulier d’opposition délibérée ou d’inertie invétérée, tout collaborateur donnera plus ou moins son adhésion s’il comprend et approuve la vision qui guide l’action de l’entreprise, s’il comprend et approuve son rôle dans l’entreprise  et s’il se sent digne de confiance, soutenu et valorisé.

1.2. L’engagement

C’est le degré de détermination à bien réaliser son travail, le degré d’immersion dans son travail au point de perdre la notion du temps.

Il est clair que cet engagement dépend d’abord du degré d’adhésion au but, aux méthodes de travail et au système de récompense de l’entreprise.

Il peut aussi être accru par la volonté du collaborateur ou l’action du manager, par les moyens suivants :

– être ou être aidé à être, en permanence, conscient des temps de vagabondage de son esprit ;

– être ou être aidé à être à la recherche d’émotions positives au travail : à la recherche de relations amicales, d’amusement, de rire et surtout de curiosité au travail. Les émotions positives stimulent notre quête d’exploration et d’innovation ; le respect incite à une réflexion plus rigoureuse et, même, de brèves expériences de crainte rendent plus humble et plus collaboratif ;

– en cherchant ou en se voyant offrir des opportunités d’apprentissage et de développement personnel ;

– en ayant ou se voyant donner une tâche conforme à ses compétences et en mesurant régulièrement ses progrès pour alimenter la «boucle des progrès» ;

-en bénéficiant de plus d’autonomie et d’auto-détermination.

1.3. La résilience.

Ce n’est pas la capacité de prévenir les difficultés ou les échecs mais celle de ne pas se laisser abattre par eux, de rebondir et de faire face aux défis avec authenticité.

La résilience peut être accrue par l’action du collaborateur ou celle de son manager sur les facteurs suivants : conscience, authenticité, habitudes mentales, et récréation :

– la conscience de ses pensées, sentiments, sensations corporelles ; l’attention vigilante et sans jugement à ce qui se passe dans l’instant présent permet de mieux réguler ses émotions ;

– l’authenticité ou la fidélité à soi-même qui conduit à accepter les émotions négatives ;

– la valeur selon laquelle ce sont les efforts qui comptent et non la capacité innée ou le destin ;

– l’optimisme consistant à attribuer ses résultats positifs à ses capacités et à attribuer ses échecs à des facteurs externes temporaires.

– le rejet du perfectionnisme, obstacle à équilibre travail-vie.

– la compassion envers soi-même plutôt que l’autocritique qui bloque l’initiative ;

– la « re-création » entre les périodes de travail par le détachement du travail ou les vacances.

1.4. L’amabilité 

L’orientation de nos pensées, sentiments et actions vers les autres et la création de liens sociaux, ce qu’on peut appeler l’amabilité ou la pro-socialité, est une tendance innée de l’homme, plus naturelle que l’attitude de défense, de concurrence ou de pouvoir, et un facteur très important du bonheur au travail.

L’amabilité implique de traiter les autres avec dignité et respect ; elle commence par la civilité et se poursuit par l’empathie, la compassion, la gratitude et la résolution constructive des conflits.

La civilité et le respect des autres sont les formes de la reconnaissance de leur dignité et la condition de la collaboration confiante.

L’empathie n’est pas seulement cette sorte de contagion d’émotion (bâillement, rire, etc.) quasi involontaire ; c’est surtout l’attitude délibérée qui consiste à tenter de se mettre à l’écoute de l’autre sans le juger ni le conseiller mais uniquement pour le comprendre et, ce faisant, l’aider à mieux se comprendre lui-même. On voit qu’elle peut aussi déboucher sur la compassion qui est le désir d’aider.  (Voir https://outilspourdiriger.fr/lattitude-du-dirigeant-avec-le-dirige/)

La gratitude renforce la dépendance mutuelle et le désir de collaborer. La recevoir est ressenti comme une reconnaissance de valeur et d’égalité ; la donner affirme son humilité et sa générosité.

Concernant enfin les conflits au travail, on sait qu’il ne faut pas confondre désaccords et « combats ». Les premiers sont nécessaires et utiles et les seconds stressants, durables et stériles pour tous. Dans tous les cas et en particulier dans le second, c’est la modestie de la parole et du comportement qui doit l’emporter sur l’arrogance ou la brutalité et c’est l’excuse et le pardon qui doivent prévaloir sur la rancune.

 

On peut considérer que le bonheur ne se trouve que hors travail mais le simple examen du « coût » de cette attitude (désengagement, solitude, ennui, faible rétribution, etc.) et de la durée de ce « coût » (8 heures par jour pendant x années) rend cette attitude absurde. On ne cherche pas le « nirvana » au travail mais, sauf opposition doctrinale ou management intolérable, on peut y trouver, grâce à ces quatre clés, un ensemble de satisfactions qu’on peut appeler « bonheur ».

 

  1. Les effets du bonheur au travail

D’innombrables études vérifient et confirment les très nombreux effets positifs du bonheur au travail.

Examinons ces effets en distinguant trois types de bénéficiaires : le collaborateur concerné, les relations entre collaborateurs et avec l’extérieur et l’entreprise dans son ensemble.

2.1. Sur le collaborateur.

On mesure que les personnes heureuses au travail présentent, en général, les caractéristiques suivantes :

-elles sont en meilleure santé mentale et physique ;

-elles manifestent une plus grande motivation intrinsèque, une plus grande persévérance dans la poursuite des objectifs, de plus grandes résilience, productivité et créativité ;

-elles ont tendance à mieux utiliser les ressources et à ne pas s’épuiser dans la recherche de la perfection ;

-elles ont tendance à trouver un meilleur équilibre entre le travail et le hors-travail et à récupérer plus vite ;

-elles sont jugées, en général, plus sympathiques, plus dignes de confiance et de respect et font de meilleurs leaders ;

-elles ont tendance à mieux réussir professionnellement.

2.2. Sur les relations entre collaborateurs et avec l’extérieur.

On observe que la présence d’un grand nombre de personnes heureuses au travail induit les effets suivants sur le climat social de l’entreprise et les relations avec l’extérieur :

-une plus grande civilité des collaborateurs des uns envers les autres et, par suite, moins de conflits interpersonnels, moins de retrait ou d’inertie et moins de rancune ;

– un développement de la camaraderie et de la cordialité ;

– un développement de la collaboration et du travail en équipe ;

-un développement des relations cordiales et efficaces avec les clients et fournisseurs.

2.3. Sur les résultats de l’entreprise.

On mesure qu’un milieu de travail rempli de personnes plus heureuses, ce qu’on appellera les « entreprises heureuses », induit les effets suivants sur leurs résultats :

-le rapport 2017 d’un grand cabinet américain sur « L’état du lieu de travail américain » rapporte que les « entreprises heureuses » bénéficient de nombreux avantages, en particulier en matière de productivité, de sécurité, de qualité et de fidélité des clients.

-en général, les « entreprises heureuses » tendent à être plus innovantes, plus tolérantes à l’échec de leurs collaborateurs et plus résilientes.

-elles sont plus attrayantes pour les meilleurs talents ; connaissent un plus faible turnover et des coûts ou des arrêts maladie moins nombreux et leurs collaborateurs sont de meilleurs « ambassadeurs » ;

-elles ont aussi tendance à gagner plus facilement l’adhésion et la fidélité des clients.

 

Que l’entreprise retire des effets très bénéfiques du bonheur au travail que trouvent ses collaborateurs, cela a été si souvent constaté et mesuré qu’il serait absurde de le contester ou de le nier.

Il est clair qu’il s’agit là d’un important facteur clé de succès, d’une condition nécessaire du succès durable en particulier, mais évidemment pas d’une condition nécessaire et suffisante.

De plus, c’est le type de mise en œuvre de ce facteur qui importe.

Il ne s’agit pas d’ajouter aux structures et processus de travail en cours dans l’entreprise des moyens, voire des animateurs, de nature à favoriser la détente, la cordialité, l’amitié, etc. des collaborateurs, bref de produire le bonheur au travail comme on produit de la joie dans un club de vacances.

C’est principalement l’accomplissement du travail, la création solitaire ou en équipe, qui procure à la fois le bonheur au travail et les effets espérés par l’entreprise ; et réunir les conditions de cette double réalisation devrait être la préoccupation première de tout dirigeant.

 

PS : en attendant le prochain article, on peut trouver une critique des mises en œuvre actuelles dans les articles suivant :

https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/12/23526-en-finir-avec-le-culte-du-bonheur-au-travail/

https://www.capital.fr/votre-carriere/stop-a-la-dictature-du-bonheur-au-travail-1307900

http://courriercadres.com/management/conduite-du-changement/le-bonheur-au-travail-une-arnaque-intellectuelle-05102018

 

Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 20/03/2019