La décision de se diversifier, c’est, pour une entreprise existante, la décision de s’engager dans une nouvelle activité ; plus exactement, la décision d’ajouter une activité nouvelle à son portefeuille en cours.
Cette décision de se diversifier implique de répondre à trois types de questions :
– y -t-il besoin ou opportunité de s’engager dans une nouvelle activité ?
– comment choisir la nouvelle activité ?
– comment choisir la modalité de réalisation de la diversification ?
Voyons quel est l’objectif, quelles sont les modalités de réalisation, quelle peut être une typologie des formes de diversification avant de préciser les étapes de la décision de se diversifier.
- Objectif et modalités de la diversification.
1.1. L’objectif.
On peut caractériser une activité par ses trois dimensions principales : le qui, le quoi et le comment. Pour qui, pour quels clients travaille-t-on ? Qu’offre-t-on ? Comment produit-on et commercialise-t-on ce que l’on offre ?
L’activité nouvelle de diversification doit différer de l’ancienne sur tout ou partie de ces trois dimensions.
Elle doit aussi contribuer à créer plus de valeur. Si l’activité initiale est A et l’activité nouvelle B, la valeur produite par A+B doit être supérieure à celle produite par A augmentée du coût de création de l’activité B.
On a compris que l’objectif de la décision de se diversifier est principalement la réalisation de synergies entre des activités différentes, éventuellement l’exploitation d’une aubaine.
La synergie signifie que la valeur produite par A+B est supérieure à celle que produirait A et B exploitées séparément (1+1=3). L’aubaine indique que l’activité nouvelle peut être ajoutée à un coût déprécié.
Les deux conditions peuvent être concordantes ou, plus souvent, contradictoires ; et d’autre part, comptent aussi les modalités de réalisation de la diversification.
1.2. Les modalités.
Le schéma suivant présente ces modalités :
La croissance organique consiste à créer la nouvelle activité par ses propres moyens. L’autre type de modalité (croissance inorganique) consiste à acheter la nouvelle activité ou à nouer des alliances pour la créer, alliance incluant ou pas prises de participations financières.
Le coût de création de la nouvelle activité comme l’évaluation de la nouvelle valeur (A+B) créée dépendant du mode de réalisation de la diversification, la comparaison « avant-après diversification » doit se faire entre tous les modes.
1.3 Typologie des synergies opérationnelles.
Les synergies opérationnelles, préoccupation principale du stratège d’entreprise, résident dans la comparaison des chaînes de valeur comme le suggère la matrice suivante, dite des 4 C :
Cette matrice croise le degré de similarité des ressources nécessaires aux chaînes de valeur avec le degré de modification nécessaire de ces ressources.
On réalisera une consolidation si les ressources utilisées dans les deux chaînes sont similaires et qu’on peut éliminer les redondances ; par exemple, supprimer tout ou partie de la chaîne de valeur de la nouvelle activité.
On réalisera une combinaison si les ressources sont similaires et peuvent être mises en commun sans modification ; par exemple, en matière d’approvisionnent ou de marketing, pour réaliser des économies d’échelle ou de gamme et gagner en pouvoir de négociation.
On réalisera une connexion si les ressources sont différentes mais qu’on peut faciliter une utilisation commune ; par exemple, utiliser pour toutes les activités en cours telle ressource spéciale apportée par l’activité nouvelle : un réseau de distribution international, une R et D spéciale, etc.
On réalisera une personnalisation si les ressources sont différentes et qu’on doit et peut les modifier et les relier pour les faire fonctionner mieux ensemble ; par exemple, modifier et relier deux services de R et D ou autres services.
On notera que cette matrice peut être difficile à mettre en œuvre pour décider de se diversifier mais que ses dimensions (degré de similitude et degré de modification des ressources), sont de bons guides de la réflexion.
- Les étapes du processus de décision
Voici les 5 étapes à suivre si on veut décider de se diversifier en prenant en compte la façon de se diversifier.
– Trouver des synergies.
– Cerner les lacunes en matière de ressources nécessaires à la nouvelle activité.
– Identifier les acteurs avec lesquels collaborer pour créer cette nouvelle activité.
– Choisir entre acquérir et monter une alliance.
– Comparer le meilleur mode de croissance inorganique avec le mode organique.
2.1. Trouver des synergies
Les synergies opérationnelles se trouvent dans les chaînes de valeur, dans les activités qui produisent et distribuent l’offre de l’entreprise et qu’on peut caractériser par les trois questions « qui, quoi, comment ? ».
Le « qui » précise si on doit ou pas conquérir de nouveaux clients ; et le « quoi » précise si on s’engage dans une activité nouvelle avec les produits existants ou des produits nouveaux. Mais, en fait, c’est le « comment » qui est ici important.
Un dirigeant d’entreprise estime devoir rajeunir ou compléter son portefeuille d’activités et/ou repère une opportunité d’activité qui lui paraît constituer une bonne diversification.
Le premier travail à faire, alors, est d’examiner les deux chaînes de valeur, celle de l’activité existante et celle de la nouvelle activité. Il suffit de prendre trois à sept étapes de cette chaîne et de se livrer à la recherche sur les synergies. Le schéma ci-dessous examine l’hypothèse de la diversification d’un constructeur de voitures de sport dans le parc à thème.
-L’examen de la R-D. ne livre pas de résultat utilisable.
-L’examen de l’image de marque semble plus fructueux. L’image de marque des voitures de sports peut inspirer le parc à thème et y attirer des clients. Une synergie de connexion (voir ci-dessus) serait difficile mais possible.
-C’est peut-être dans le domaine de la distribution que la synergie de connexion serait la moins irréaliste si elle est combinée à l’image de marque. Si l’activité du parc à thème est inspirée des voitures de sports ce pourrait être un bon lieu de ventes.
On voit qu’à première vue les fondements de la diversification sont hasardeux et qu’ils le resteraient sans doute même si se présentait une aubaine en matière de parc à thème.
2.2. Cerner les lacunes en matière de ressources nécessaires à la nouvelle activité
La question ici est la suivante : avons-nous ou aurions-nous facilement les ressources nécessaires pour gérer cette nouvelle activité ?
On comprend facilement que La poste française se soit diversifiée dans la livraison à domicile de colis commerciaux, voire de repas, eu égard à ses ressources et à la réduction du courrier « papier ».
Dans le cas de la diversification du constructeur de voitures de sport dans le parc à thème, l’examen montre que les ressources nécessaires à cette nouvelle activité devront être créées.
La R-D actuelle sera de peu de secours pour la conception du parc ; il en sera de même des approvisionnements, de la fabrication et de la distribution. Encore une fois, seule l’image de marque peut être source de synergie.
- 3. Identifier les acteurs avec lesquels collaborer pour créer cette nouvelle activité.
Les lacunes relevées ci-dessus en matière de ressources peuvent être comblées, soit par la croissance organique, soit par la croissance inorganique. Explorons d’abord l’option la plus facile, celle de la croissance inorganique, en identifiant les collaborations potentielles.
D’une manière générale, il existe trois types de collaborateurs potentiels :
-les généralistes initiés. Ce sont des entreprises qui sont déjà actives dans la nouvelle activité et pratiquent toutes les étapes de la chaîne de valeur ;
-les spécialistes initiés. Ce sont des entreprises qui sont actives dans la nouvelle activité mais qui ne réalisent que quelques étapes de la chaîne de valeur ;
– les étrangers au domaine. Ce sont des entreprises ou des experts qui pourraient aider à se lancer dans une nouvelle activité mais qui ne sont pas actifs dans cette activité.
Si le manque de ressources est très important, il faudrait commencer par un initié et en particulier un généraliste initié, parce qu’il possède ces ressources.
Dans l’exemple précédent de la diversification du constructeur de voitures de sport dans les parcs à thème, on a vu que le manque de ressources sera important et que le recours à des généralistes initiés sera probablement nécessaire. Et comme la chaîne de valeur du parc à thème se compose en réalité de deux étapes différentes, la conception du parc puis le fonctionnement, il est probable que deux types d’initiés soient nécessaires : pour la conception et la construction de parc à thème et pour la direction du fonctionnement et du développement.
Il peut alors s’avérer nécessaire de demander de l’aide à la recherche de ces collaborations (banquiers, experts du domaine, chambre de commerce, etc.).
2.4. Choisir entre acquérir et monter une alliance.
Le premier critère à prendre en compte, ici, est le degré et la durée de la collaboration requise ou souhaitée.
Dans le cas précédent, le constructeur de voitures de sport peut, à juste titre, estimer qu’il suffira d’une collaboration ponctuelle de conception et de lancement ou préférer une collaboration durable.
L’autre critère concerne l’engagement financier et conduit à comparer ses avantages et ses coûts.
Les avantages de l’engagement financier (acquérir, prendre une participation) sont les suivants :
-la possibilité de forger des relations de travail étroites importantes pour établir les synergies. Ces relations de travail concernent la coordination de l’action, la coopération durable et l’exclusivité des relations (protection contre les rivaux) ;
-la possibilité de répartir les coûts et les gains sur des critères clairs définis en commun.
Les coûts de l’engagement financier sont les suivants :
-le financement de l’acquisition ou du contrôle partiel ;
-l’incertitude quant aux résultats ; le pari peut s’avérer décevant ;
-les effets sur la motivation des employés de l’entreprise « contrôlée ». C’est souvent la ressource rare visée et le contrôle sans précaution peut provoquer son affaiblissement (départs, démoralisation, etc.).
La comparaison des avantages et des couts détermine le choix entre acquisition et alliance sans participation.
2.5. Comparer le meilleur mode de croissance inorganique avec le mode organique.
La décision de diversification conduisant à examiner deux facteurs, les synergies et le coût d’entrée, on peut admettre que l’option de croissance organique et l’option de fusion et acquisition sont les meilleures options concernant les synergies.
Dès lors, l’option de croissance organique conduit à penser surtout au coût d’entrée ou coût de la constitution des ressources.
Trois facteurs sont à considérer, ici :
– la facilité de copier, d’imiter la ressource ;
– la facilité de rattraper les concurrents en place ;
-la facilité de recourir à une ressource de substitution
Dans le cas du constructeur d’automobiles ci-dessus, on peut faire les observations suivantes :
-le constructeur aura de très grandes difficultés à copier ou rattraper les acteurs de parcs à thèmes ;
-il ne semble pas y avoir de ressources de substitutions à ses besoins.
Cette situation tend à plaider pour une alliance ou une fusion-acquisition plutôt que pour une création ex nihilo.
De façon plus générale, les facteurs suivants déterminent la difficulté de copier une ressource, de rattraper ses concurrents ou de trouver une ressource de substitution :
-Les protections juridiques de la ressources (brevets, droits d’auteur, marque, etc.)
-La rareté des compétences des personnes-ressources.
-Les effets de réseau. Ces effets conduisent à accroître la valeur de la ressource à mesure qu’augmente le nombre de personnes utilisant cette ressource.
-L’inexistence de ressource de substitution.
(Source: Coursera. Corporate Strategy. UCL School of Management) https://www.coursera.org/learn/corporatestrategy
Pour aller plus loin : de nombreux articles de ce blog portant sur la stratégie traite de la diversification ; en particulier le suivant :
https://outilspourdiriger.fr/la-strategie-de-diversification/
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 22/03/2021