Amender son modèle de management d’entreprise, c’est amender ou changer les principes qui guident la manière de manager l’entreprise, en particulier de manager les quatre activités principales suivantes de tout modèle de management : la coordination des activités, la prise de décision, la motivation du personnel, la définition des objectifs.
Le tableau ci-dessous présente les principes qui guident le modèle de management traditionnel et les principes alternatifs proposés par J. Birkinshaw, professeur à la London Business School dans le mooc Coursera cité en source.
Dans un premier article, nous avons comparé les deux premiers principes alternatifs : ceux qui concernent la coordination des activités et la prise de décision
Cet article-ci compare les deux derniers principes : celui concernant la motivation du personnel et celui concernant la fixation des objectifs.
2.3. La récompense intrinsèque comme alternative à l’extrinsèque.
La motivation, c’est cette pulsion qui active le comportement et lui donne la direction à suivre ; c’est ce qui pousse à agir…ou à ne pas agir ; ce qui mobilise l’énergie et l’oriente vers une personne, un objet, un oui ou un refus, etc.
La pulsion est déclenchée par un état d’insatisfaction, un besoin, un problème, bref un « écart entre le vécu et le voulu » et elle vise à la suppression ou à l’atténuation de cet écart.
La motivation, c’est donc ce qui nous pousse à entreprendre des actions porteuses de promesses de satisfaction ou d’évitement d’insatisfaction. L’espoir de réussir est nécessaire pour que l’action soit déclenchée mais toute action est toujours un pari sur les effets espérés.
Les facteurs de la motivation à travailler dans l’entreprise, déterminants du degré d’implication dans le travail, ont fait l’objet d’innombrables recherches qui ont conduit les dirigeants d’entreprise à choisir les principes de nature à stimuler la motivation de leur personnel.
Citons les apports des trois « pères » suivants de la théorie de la motivation :
- Maslow a montré que les besoins qui nous motivent forment une pyramide ayant à sa base les besoins primaires de survie et de sécurité exigeant une rémunération et au sommet les besoins de se réaliser exigeant un travail passionnant.
–F. Herzberg a montré que la satisfaction au travail dépendait du type de travail, de l’environnement de travail (environnement physique, équipes et climat de travail, etc.) et de la rémunération mais que plus de rémunération n’entrainait pas plus de satisfaction.
-D. McGregor a montré que les dirigeants se répartissaient principalement en deux écoles de pensée sur la motivation selon ce qu’ils pensaient de la relation entre les salariés et le travail :
—les tenants de la théorie X pensent que les salariés n’aiment pas travailler, qu’ils ne le font que pour survivre et ne sont donc motivés que par la rémunération ;
—les tenants de la théorie Y pensent que chacun apprécie et aime le travail pourvu qu’il soit passionnant et qu’alors les salariés tendent à donner le meilleur d’eux-mêmes.
On comprend mieux les choix de « principes motivateurs » du modèle de management traditionnel et d’un modèle alternatif : récompense extrinsèque (sans relation directe avec l’intérêt du travail ; récompense par la rémunération) ou récompense intrinsèque (relation directe avec l’intérêt du travail ; récompense par la réalisation du travail).
2.3.1. La motivation par la récompense extrinsèque.
La récompense extrinsèque-type est la rémunération.
Les avantages de ce type de motivation sont les suivants :
– il est efficace dans des circonstances particulières ; par exemple une prime pour inciter à produire un résultat précis et à condition que la réalisation de ce résultat n’entraine pas des dégâts collatéraux immédiats ou à terme ;
– il convient bien aux salariés qui aiment ce lien entre leur travail et leur rémunération ;
– il est facile à mettre en place et à contrôler.
Les inconvénients du principe de la récompense extrinsèque.
– il conduit la direction à ne pas se préoccuper de récompense intrinsèque ;
– il conduit le salarié à ne se soucier que de sa récompense personnelle et à ignorer les dégâts collatéraux qu’il peut occasionner ;
– il incite à adopter des comportements donnés et à ne pas chercher à voir plus large.
Ce principe n’est pas à rejeter car la rémunération financière est nécessaire mais ses limites sont claires et il doit être complété par un principe motivateur alternatif : celui de la récompense intrinsèque.
2.3.2. La motivation par la récompense intrinsèque.
Chacun a expérimenté l’implication dans la réalisation d’une tâche, les efforts et le temps qu’il y a engagés, le désir de réussir et la joie d’y parvenir. Et souvent l’expérience a été encore plus stimulante et enrichissante si elle a été vécue en équipe.
Cette expérience peut aussi être vécue au travail si le travail est intéressant ; s’il a du sens pour le travailleur ; s’il représente un défi surmontable et s’il comporte une promesse de reconnaissance par la direction et par les pairs, en plus de la joie de réussir.
C’est la généralisation maximale de cette expérience que vise le principe de motivation par la récompense intrinsèque.
Les avantages de ce type de motivation sont connus :
-il suscite une implication plus grande dans le travail et un engagement plus fort dans l’entreprise ;
-Il incite le salarié à être plus créatif et collaboratif ;
-il tend à réduire la préoccupation d’accroître la rémunération.
Les faiblesses du principe de la récompense intrinsèque sont les suivantes :
-il rend les salariés qui ont un travail intéressant plus autonomes et donc plus réticents aux ordres et aux contrôles ;
-Il peut être difficile de rendre un travail suffisamment intéressant.
On peut, cependant, compenser cette difficulté d’enrichir le travail personnel par le travail en équipe et par l’enrichissement du climat de travail, éléments qui donnent le sentiment d’appartenance et de partage des peines et des joies.
La grande majorité des entreprises continuent de construire leur système de motivation sur la base de la rémunération extrinsèque. Il est clair, cependant, que la motivation intrinsèque est la plus performante et que les changements de valeurs sociales tendent à l’imposer et la technologie à la rendre plus facile à réaliser.
Aussi, il est assez probable que l’adoption d’un modèle hybride, déjà amorcée, continue de se développer.
2.4. L’obliquité comme alternative à l’ajustement linéaire
Concernant la façon dont les entreprises fixent les objectifs, le modèle de management traditionnel utilise ce que l’auteur appelle « l’alignement linéaire » ou principe de fixation descendante partant de la direction et allant vers le bas de la hiérarchie. Un modèle alternatif à ce type de fixation des objectifs pourrait s’appeler le principe d’obliquité pour souligner sa caractéristique d’être délibérément indirect.
2.4.1. Alignement linéaire.
Une entreprise doit se définir une raison d’être ou mission et des objectifs à atteindre pour assurer sa viabilité et sa rentabilité. C’est au service de cette mission et de ces objectifs que tous les membres de l’entreprise doivent se mettre. Le processus « d’alignement linéaire » consiste à décliner les objectifs retenus par la direction en sous-objectifs par département, services, équipes, voire personne.
On notera, ici, que l’élaboration des objectifs a pu donner lieu à un mouvement de « remontée » de propositions vers la direction avant que cette dernière n’arbitre et ne distribue les sous-objectifs.
On notera aussi que les objectifs financiers sont généralement prédominants.
Les avantages de ce type de fixation des objectifs sont les suivants :
-il est logique et, en principe, simple à distribuer une fois surmontée la difficulté de son élaboration ;
-il rend facile d’identification des réalisations, des échecs et des écarts aux objectifs ;
-il fonctionne d’autant mieux que la stabilité et la prévisibilité du futur sont grandes.
Les faiblesses du principe de management par alignement linéaire sont les suivants :
-il prévoit tout, en principe, et par là-même tend à exclure les initiatives, la créativité, etc.
-Il finit presque toujours par se traduire par des objectifs quantifiables, le plus souvent financiers, parfois concernant la qualité.
-il est principalement orienté vers le court terme annuel car au-delà il est difficile de fixer des objectifs contrôlables.
2.4.2. L’obliquité comme alternative à l’alignement linéaire.
Le principe est inspiré de la croyance suivante : le succès ne se vise pas en tant que tel ; il résulte du dévouement à une cause plus grande que soi. Ce qui doit être visé directement c’est la meilleure réalisation d’une tâche ; le succès peut alors être atteint mais indirectement (de façon « oblique »).
Les « soutiens » de ce principe sont les suivants :
-chacun a pu faire l’expérience personnelle de cette croyance qui est, par ailleurs, à la base des modèles de management artisanal et charismatique.
-de nombreuses études ont confirmé la validité du principe en observant que les entreprises qui se concentrent plus sur le service rendu ou sur leur personnel que sur les objectifs financiers obtiennent de meilleurs résultats financiers. La visée du long terme est finalement plus profitable que la visée financière du court terme.
Les risques de ce principe oblique existent :
-les buts « obliques » ou à long terme sont moins confortables pour tous les salariés car ils sont moins précis et moins contrôlables ;
-les buts obliques ou à long terme créent de fortes incertitudes chez les actionnaires et le plus souvent un rejet car il leur importe que la rentabilité se constate à court terme ;
-les buts obliques impliquent de prendre des risques.
Ici encore, la solution est dans la recherche de la conciliation des deux principes, la recherche de la bonne hybridation, car la poursuite d’un objectif à long terme impose d’obtenir la rentabilité à court terme.
On l’a dit dans l’article précédent, le modèle de management traditionnel rend bien les services que les entreprises attendent de lui et continue, aujourd’hui, de présenter plus d’avantages que les inconvénients qu’il suscitent en prenant mal en compte les changements en cours (dans les types de problèmes à résoudre, dans les ressources rares sources d’avantage concurrentiel, dans l’environnement technologique, sociétal et économique).
Mais ses inconvénients tendent à grossir à mesure que les changements s’accélèrent et amender le modèle de management traditionnel, et au moins « l’hybrider », tend à devenir de plus en plus nécessaire.
- Méthodes et exemples d’amendement du modèle de management traditionnel.
On peut approcher cet amendement, cette hybridation, de trois façons :
-l’approche par le créateur d’entreprise ; lors du démarrage, le créateur de la startup est alors libre de ses choix, l’introduction d’innovation est alors plus facile et on observe qu’elle est fréquente ;
-l’approche descendante opérée par la direction désireuse de réaliser un amendement ;
-l’approche ascendante initiée par un manager prenant l’initiative.
Voyons quelques exemples des deux dernières approches.
3.1. L’approche par le chef d’entreprise
–Google a fondé sa croissance sur un très fort amendement du modèle de management traditionnel ; recourant très largement à la récompense intrinsèque, à l’émergence, et à l’obliquité.
–Oticon, entreprise danoise fabriquant des aides auditives en concurrence avec Siemens, Phillips, etc. a décidé de prendre appui sur le principe d’émergence plutôt que sur la bureaucratie en mettant en œuvre un système de projets « remontant » vers la direction pour obtenir le financement.
–Proctor & Gamble exploite la sagesse collective pour compléter et stimuler l’innovation interne ; en sollicitant un réseau d’entrepreneurs technologiques extérieurs (actifs ou en retraite).
-Unilever a choisi de prendre appui sur le principe d’obliquité pour soutenir sa croissance ; en se concentrant sur les produits nutritionnels et le service rendu à la société et en cherchant à généraliser ce principe.
3.2. L’approche ascendante.
-Le directeur des tests de logiciels de Microsoft a transformé l’organisation du travail en laissant la plus grande liberté à ses collaborateurs, rendant son équipe très productive.
-Un des directeurs de Pfizer, observant le temps que prenaient les ingénieurs et commerciaux à gérer leurs voyages, a choisi d’externaliser cette gestion et a organisé un système de nature à inciter les salariés à se concentrer sur les tâches essentielles.
-Chez Roche, société pharmaceutique suisse, ont été réalisées les deux expériences suivantes :
—La première a cherché à recourir à la sagesse collective.
Un groupe de personnes travaillant dans le département R&D a cherché à puiser dans la sagesse de la foule pour mieux résoudre des problèmes scientifiques difficiles. Ils ont établi la liste des problèmes à résoudre et ont demandé à leur réseau interne de solliciter la collaboration de leurs connaissances compétentes externes ; ils ont aussi recouru aux plates-formes technologiques externes.
— La seconde a cherché à recourir à l’émergence.
Un groupe de personnes observant le temps pris et le coût entrainé par le contrôle des dépenses de voyages, a décidé d’abandonner le processus bureaucratique de contrôle et d’utiliser un système assurant la transparence, la visibilité par tous des dépenses de chacun. Il s’est avéré que cette approche a été supérieure à la précédente à tous égards : satisfaction des salariés et moindres dépenses de déplacement.
- Deux modèles d’hybridation maximale.
Si l’on admet que les principes de motivation des salariés et de fixation des objectifs concernent les fins, les buts, de l’entreprise et que les principes relatifs à la coordination des activités et à la prise de décision concernent les moyens, on peut dire que le modèle traditionnel de management se caractérise ainsi : les fins, les buts, sont régies par des systèmes rigides de récompenses extrinsèques et d’alignement linéaire ; et les moyens par la bureaucratie et la hiérarchie.
Le modèle alternatif « pur » serait l’exact opposé : les fins sont régies par des systèmes souples de récompenses intrinsèques et d’obliquité ; et les moyens par l’émergence et la sagesse collective.
Les modèles d’hybridation maximale pourraient être les suivants :
– Le modèle scientifique (Science model).
Le choix des fins est large et souple ; les scientifiques choisissant les travaux qui les passionnent.
Mais ils ont des normes et des procédures professionnelles à respecter pour réaliser les travaux choisis.
-Le modèle de la recherche. (Quest model).
La fin est définie avec précision et sa réalisation fait l’objet d’une récompense extrinsèque mais les voies et moyens de réalisation sont choisis librement par les réalisateurs intrinsèquement motivés.
Source principale: Mooc Coursera “Managing the Company of the Future”; J. Birkinshaw, London Business School
https://www.coursera.org/learn/company-future-management/home/welcome
On trouvera le début de cet article à l’adresse suivante ;
https://outilspourdiriger.fr/amender-le-modele-de-management-traditionnel-1/
Pour aller plus loin.
La rubrique management de ce blog contient plus de 80 articles ; en particulier les suivants :
https://outilspourdiriger.fr/les-trois-managements-1/ 2, 3.
https://outilspourdiriger.fr/lean-et-adoption-du-lean-management/
https://outilspourdiriger.fr/le-management/
https://outilspourdiriger.fr/une-courbe-de-vie-du-management/
https://outilspourdiriger.fr/motiver-par-la-recompense-ou-par-ladhesion/
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur. A. Uzan. 20/09/2021