Emotions et intelligence émotionnelle au travail. 2
(Source: Mooc edX. “Empathy and Emotional Intelligence at Work” Greater Good Science Center. Berkeley)
Les émotions jouent un rôle si déterminant dans la vie professionnelle, et l’intelligence émotionnelle est si indispensable pour tout acteur au travail et en particulier pour le dirigeant et manager qu’on a pu dire : « on est embauché pour ses compétences techniques et son quotient intellectuel ou QI et renvoyé pour son incompétence relationnelle et son quotient émotionnel ou QE ».
C’est que l’intelligence émotionnelle au travail n’est pas innée. L’intuition et les approximations peuvent suffire dans les relations amicales mas il n’en va pas de même au travail, surtout pour le dirigeant et le manager, car les enjeux sont beaucoup plus importants : le climat de travail est un facteur déterminant du bien-être au travail et du succès de l’entreprise.
(Voir : https://outilspourdiriger.fr/le-climat-qui-rend-heureux-au-travail/ https://outilspourdiriger.fr/le-bonheur-au-travail/ )
D’autre part, acquérir et pratiquer l’intelligence émotionnelle est d’autant plus important aujourd’hui que les conditions de la communication au travail tendent à changer : la technologie et le travail à distance limitent les relations de face à face ; les styles de management verticaux et directifs se réduisent ; le multiculturalisme se développe.
Enfin, il a été clairement prouvé que l’intelligence émotionnelle et l’empathie sont nettement plus efficaces que le « caporalisme » ; parce que l’adhésion est plus efficace que l’obéissance apparente et la synergie plus efficace que l’efficacité personnelle, ensemble de facteurs qui fondent l’évolution actuelle des méthodes de management.
Voyons successivement comment l’intelligence émotionnelle aide à prévenir et régler les conflits interpersonnels au travail puis comment elle contribue au climat social au travail.
- Intelligence émotionnelle et gestion des conflits interpersonnels.
Les conflits interpersonnels sont inhérents aux relations de travail. Il serait Irréaliste de vouloir les éliminer et ce n’est de toutes façons pas souhaitable ; les désaccords et conflits sont les indicateurs des dysfonctionnements et les catalyseurs du progrès… à condition de trouver l’accord « gagnant-gagnant ».
Ici, l’intelligence émotionnelle est indispensable pour la prévention comme pour la résolution des conflits.
Pour un manager, ne pas percevoir ou ignorer les émotions négatives de ses collaborateurs, c’est ignorer des indicateurs de dysfonctionnement très utiles et laisser se développer un climat de tension, voire de cynisme, néfaste à la collaboration et à la productivité. L’intelligence émotionnelle l’invite plutôt, à faciliter, sinon organiser, l’exposé authentique de ces émotions négatives et à créer les conditions de l’accord.
Une telle approche, active et collaborative, permet de partager des opinions opposées en sécurité et de trouver plus facilement le compromis nécessaire avant d’engager une tâche commune visant à recréer le climat de coopération.
Deux aspects de l’intelligence émotionnelle sont ici particulièrement importants : s’excuser et pardonner
S’excuser.
L’idée reçue est que présenter ses excuses, c’est reconnaître son erreur et montrer sa faiblesse.
Les recherches et expériences montrent, au contraire, que c’est un moyen puissant de réduire le désir de revanche de la personne lésée, de changer sa perception de « l’offenseur » et, donc, de restaurer la confiance et la possibilité de coopérer.
S’excuser peut, cependant, ne pas suffire, en particulier de la part d’un dirigeant ou d’un manager ; outre le remord, le manager doit exprimer son empathie et faire une offre de réparation.
Pardonner.
Le conflit provoque des émotions négatives physiques et cognitives pour toutes les parties ; du stress, de la colère, de la rancune, de la rumination etc. (« Le ressentiment, c’est prendre du poison et attendre que l’autre meurt ») et chacun a pu constater, d’expérience personnelle, quel soulagement provoque le pardon et quel désir de ne plus faire de mal à personne s’ensuit.
- Intelligence émotionnelle et climat de travail.
Une utilisation judicieuse de l’intelligence émotionnelle au travail conduit à contribuer selon ses moyens et ses responsabilités au climat social qui rend heureux soi-même et les autres au travail.
(Voir : https://outilspourdiriger.fr/le-bonheur-au-travail/)
Cet objectif conduit à adopter les attitudes relationnelles suivantes :
-Cultiver le goût de la relation cordiale et confiante.
Etablir des rapports aimables, cordiaux, sinon amicaux, avec les autres, être attentifs authentiquement aux autres, c’est gagner la confiance des autres et rendre tout le monde coopératifs et heureux au travail.
-Cultiver un esprit de légèreté.
Rendre la relation et le travail en commun plus ludiques rend les relations plus agréables et la créativité plus grande.
-Cultiver le respect des autres.
Chacun a pu éprouver les effets bénéfiques du respect des autres sur soi-même. Se sentir respecté, estimé, donne un fort sentiment de sécurité et une forte motivation à coopérer.
-Cultiver l’humilité.
C’est avoir claire conscience de sa place parmi les autres, de ses forces mais aussi de ses faiblesses et des forces des autres. C’est manifester son estime des autres, sa curiosité des autres et son ouverture aux autres.
-Cultiver le don de l’aide.
Aider les autres à réussir rend ces autres plus coopératifs, plus confiants et plus reconnaissants.
-Montrer sa force et sa colère au bon moment.
On peut être aimable, respectueux et humble et, parfois, avoir besoin de se faire respecter ou de s’indigner d’une injustice. L’authenticité et le besoin de justice induisent le respect et la confiance.
On voit qu’il s’agit d’un ensemble d’attitudes qu’on adopte spontanément dans sa famille, par exemple. La pratique de ces attitudes au travail est plus difficile et quasi-impossible si la direction de l’entreprise fait primer le contrôle et la concurrence sur la coopération. Les dirigeants et les managers doivent être les premiers à pratiquer l’intelligence émotionnelle s’ils veulent qu’elle se développe chez leurs collaborateurs et produise ses effets positifs.
Creusons un peu certaines de ces attitudes.
2.1. D’abord donner.
C’est une des façons de traduire le titre d’un livre d’un psychologue américain, A. Grant « Give and Take », livre qui montre que les « donneurs » réussissent mieux au travail que les « preneurs » ou les « échangeurs ».
D’abord donner conduit à adopter les huit attitudes suivantes :
-Construire un « anneau de réciprocité » (Run a Reciprocity Ring).
Ce pourrait être une réunion périodique, en face à face ou en ligne, de personnes qui s’entre-aideraient au travail, le groupe se mettant successivement au service de chaque membre ; une forme de réseau social.
-Aidez les autres à « personnaliser » leur emploi. (Help Other People Craft Their Jobs).
Il s’agit, ici, d’aider les collègues à concevoir les modifications réalistes qui rendraient leur job plus adapté à leurs compétences et leurs goûts et leur donnerait plus de responsabilité ; puis de les aider lors de la mise en œuvre.
-Inciter au remerciement pour l’aide reçue. (Start a Love Machine).
« Love machine » est le nom qu’une société numérique américaine a donné à son système.
L’employé qui a demandé et obtenu de l’aide d’un collègue doit envoyer à ce dernier un message de remerciement ; ce message est publié et visible par tous ; il en est tenu compte dans l’évaluation de l’employé aidé et du donneur d’aide. On a compris qu’il s’agit d’encourager le don de l’aide et la collaboration.
-Accorder à des collègues « cinq minutes d’aide désintéressée ». (Embrace the Five-Minute Favor)
Cette attitude peut se traduire de diverses manières : faciliter la mise en relation de collègues qui ne se connaissent pas ; donner un avis ou un conseil à un collègue dont on ne connaît que les travaux ; proposer son aide, etc.
–Ecouter et questionner plutôt que trancher (Practice Powerless Communication).
Le manager peut avoir un impact plus important s’il écoute, questionne et comprend les points de vue de ses collègues ; car, alors, il respecte et valorise les autres ; il apprend et peut répondre, proposer ou arbitrer à bon escient.
-Rejoindre une communauté de donateurs (Join a Community of Givers).
Ce peut être les donneurs de sang ou toute autre association humanitaire ou caritative.
-Aidez à financer un projet. (Help Fund a Project).
On, peut, agir par l’intermédiaire d’une association ou d’une plate-forme en ligne (ex. Kickstarter) ou d’un organisme de micro-crédit (voir l’expérience indienne).
–Demander de l’aide plus souvent (Seek Help More Often).
Demandez de l’aide n’est pas toujours « déranger » les autres. Ce peut être perçu par des donateurs comme valorisant et comme une opportunité de mettre en œuvre une de leurs valeurs.
2.2. Rester humble
A l’heure de la hausse du niveau de compétence des employés, de l’importance du travail d’équipe et du développement du travail à distance, l’humilité devient le facteur déterminant du leadership d’aujourd’hui. Elle conduit à être conscient de ses faiblesses et à apprécier les forces des autres ; incite à une écoute attentive de l’autre, au respect des opinions diverses et à la volonté de susciter suggestions, facteurs importants de la performance du travail d’équipe.
Cette qualité n’empêche aucunement le leader d’être ambitieux et déterminé à faire réussir l’entreprise mais ce sont ces équipes qu’il met en avant et en lumière.
2.3. Savoir dire merci.
La rémunération d’un collaborateur ne dispense aucunement de lui dire « merci », de lui exprimer sa gratitude parce que personne ne travaille que pour gagner un salaire et que la gratitude rend heureux le donneur comme le receveur
On peut facilement vérifier que la gratitude reçue donne aux collaborateurs un fort sentiment de confiance en soi et d’efficacité personnelle ainsi que des effets personnels bénéfiques.
Développer la pratique de la gratitude au travail conduit à réaliser systématiquement les actions suivantes :
–Inciter les dirigeants et managers à dire «merci» de manière claire, cohérente et authentique ; lors des réunions, évaluations et départs du personnel, lors des départs, en cas de réalisation de résultats exceptionnels, etc.
-Veiller à remercier particulièrement les employés qui font un travail ingrat et peu visible mais crucial.
-Donner un merci authentique, avec les détails qui prouvent cette authenticité.
Cultiver une culture de gratitude pourrait être le meilleur moyen d’aider les employés à faire face au stress du changement, des conflits et des échecs ; une sorte de « système immunitaire psychologique » dit un expert.
2.4. Demander de l’aide au travail.
On sait que l’entraide au travail renforce la confiance et la gratitude ainsi que l’efficacité collective.
Mais demander de l’aide peut faire se sentir incompétent et donc vulnérable, peut faire craindre de prendre du temps à un collègue ou d’essuyer un refus.
Ces trois effets sont souvent des préjugés infondés. Chacun a pu constater que sa tendance est très forte à donner son aide autant que possible parce que c’est valorisant à ses propres yeux, parce qu’on a toujours « besoin d’un plus petit que soi », parce qu’on sait que dans une entreprise on ne réussit pas tout seul.
2.5. Créer une sécurité psychologique au travail.
Comme l’a montré l’importante étude menée par Google en son sein pour repérer les caractéristiques et les qualités des équipes exceptionnellement performantes, la sécurité psychologique est le premier des facteurs clés (https://siecledigital.fr/2017/07/21/5-facteurs-cles-succes-management-equipe-performante/).
C’est le sentiment donné par la liberté d’entreprendre, de prendre des risques, sans encourir de sanction importante en cas d’erreur ou d’échec. C’est l’inverse de la peur de prendre des initiatives par crainte des sanctions en cas d’échec.
Il est vrai que cette condition de la performance est située dans un ensemble cohérent de conditions et en particulier des trois suivantes :
-la fiabilité des autres membres de l’équipe ou certitude de compter les uns sur les autres ;
-la clarté des rôles, objectifs, plans d’exécution et modes de communication ;
-la clarté du sens du travail pour chaque membre.
Chacun reconnaît, ici, une série d’idées qui, toutes ou en partie, lui sont familières et mises en œuvre par lui plus ou moins spontanément, y compris au travail.
Pour un dirigeant ou un manager, la question n’est pas de savoir si, pour sa part, il applique ces idées ou pas mais s’il les considère ou pas comme des méthodes de management à mettre en œuvre, c’est-à-dire s’il fait ou pas le nécessaire pour que ces idées soient appliquées par le plus grand nombre de ses collaborateurs.
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 30/11/201