La politique de « prix-valeur » est l’un des trois grands leviers de la rentabilité, avec la politique de réduction des coûts et celle d’augmentation des volumes, l’équation basique de la rentabilité étant R= Prix x Volume – Coûts.
Aucune entreprise ne néglige les facteurs déterminants de ses coûts ni ceux du volume de ses ventes.
Concernant le prix, en revanche, la réflexion est souvent plus sommaire et beaucoup d’entreprise se contentent de s’aligner sur le prix de la concurrence ou d’appliquer un multiplicateur à leurs coûts de revient.
Il est vrai qu’exploiter le levier de la tarification, et en particulier la politique de « prix-valeur », est difficile car cela exige une compréhension approfondie des chaines de valeurs des segments de clientèle et une connaissance aussi précise que possible de la valeur apportée au client par le produit à vendre.
En fait, nous dit le Cabinet Simon-Kucher, le prix optimal est celui qui minimise l’écart entre ce qu’un client est prêt à payer et le prix demandé.
(Le Cabinet Simon-Kucher est un cabinet de conseil international spécialisé en stratégies de croissance, marketing, pricing et ventes. Créé en Allemagne en 1985, il compte aujourd’hui 1400 employés dans 39 bureaux et 25 pays).
On voit qu’il s’agit moins de prendre appui sur de critères internes que sur de critères externes et que pour la tarification comme pour les ventes c’est la valeur apportée au client qui compte.
Définissons d’abord ce qu’est la tarification à la valeur et ce qu’elle exige. On présentera ensuite les facteurs du « pouvoir de tarification ». Puis on examinera le choix entre prix d’écrémage et prix de pénétration. On terminera en listant quelques biais de décision d’achat utilisables par le tarificateur (tarification psychologique).
- La tarification à la valeur et ses exigences.
C’est la politique de « prix-valeur »
1.1. La tarification à la valeur ou politique de « prix-valeur »
Tous les départements d’une entreprise sont centrés sur la création de la valeur, c’est-à-dire sur la pertinence et sur la productivité de ce qui est fait, mais tous ces efforts n’ont de sens et de succès que si l’on sait pour quel client on les faits et pour produire quels effets chez ce client, pour offrir quelle valeur à ce client.
On sait que tout achat est un pari fait sur le rapport entre « avantages espérés et coût probables à subir » (plus exact que le rapport « qualité/prix ») (Voir : https://outilspourdiriger.fr/creer-une-offre-nouvelle-desirable/)
Les avantages ou valeurs espérés peuvent être ramenés à 3 types :
-valeur fonctionnelle : ce que le produit ou service permet de faire techniquement et de réaliser économiquement (accroissement de qualité, économie de ressources, accroissement de vitesse, conseils et collaboration du fournisseur, etc.) ;
-valeur expérientielle ou émotionnelle : les émotions, sentiments, qu’on a ressenti tout au long du parcours de l’achat et de l’utilisation (facilité de la préparation et de l’achat, de l’utilisation, de la maintenance, amélioration du climat social, etc.)
-valeur symbolique : l’image de soi qui est donnée par la possession et l’utilisation du produit (fierté de la possession, effet sur la réputation etc.)
Ces trois types d’avantages sont toujours considérés, plus ou moins explicitement, mais le poids de chacun dépend du type de produit à acheter (plus ou moins d’enjeu) et de la personnalité de l’acheteur (plus ou moins de rationalité ou d’impulsion).
Les coûts probables à subir dépassent largement le seul prix d’achat. Il faut également considérer les coûts de la préparation de l’achat, les coûts administratifs de l’achat, les coûts de la réception de l’achat, de l’installation, de la formation du personnel, du respect des nouvelles règles d’utilisation, de la sécurité, de la maintenance, du financement, du renouvellement, etc.
Ici, aussi, tous ces coûts sont toujours considérés, plus ou moins explicitement, et tous les acheteurs attendent de leurs fournisseurs qu’ils les réduisent le plus possible, mais le poids de chacun d’eux dépend du type de produit à acheter et de la personnalité de l’acheteur.
C’est donc le rapport entre « avantages ou valeurs espérés et coûts probables à subir » qui est le critère déterminant de l’achat lorsqu’il s’agit de la comparaison entre produits résolvant plus ou moins le même type de problème.
1.2. Les exigences de la tarification à la valeur.
La tarification à la valeur, ou politique de « prix-valeur », exige donc l’approche suivante :
1.2.1. Identifier l’apport de valeur par type de client et évaluer la résilience de cet apport.
Quel type de valeur est apporté par l’offre à chaque type de client : quelle valeur fonctionnelle, expérientielle, symbolique ? Quelle économie de coût d’achat ?
La segmentation des clients et des avantages apportés est nécessaire comme on l’a vue ci-dessus et, de plus, elle permet d’évaluer la résistance à la concurrence en cours et la résilience en cas d’entrée de nouveaux acteurs.
Si ces éléments ne sont pas connus avec assez de précisions, en particulier, par les marketeurs et les vendeurs, une enquête approfondie est nécessaire et d’abord une enquête qualitative, pour comprendre les activités et processus des types de clients et les données du « pari » qu’ils font lors de l’achat.
1.2.2. Estimer la valeur monétaire de la valeur apportée (avantages et/ou réduction de coût).
C’est la seule façon d’estimer ce que le client peut être prêt à payer pour l’offre actuelle ou pour les aménagements de cette offre qu’il souhaite.
Certains aspects de l’offre, des services, par exemple, inclus dans le prix de vente global peuvent être considérés comme superflus par certains clients et devraient ou pourraient donner lieu à remise de prix ; d’autres aspects ou services, en revanche, peuvent être facturés en supplément parce que réducteurs de coûts pour le client.
C’est cette estimation de la valeur qui doit être la base de la tarification ; base qu’il faut savoir partager avec le client pour gagner sa fidélité.
1.2.3. Revoir ou diversifier la tarification.
Cette approche de la tarification à la valeur, politique de « prix-valeur », peut ainsi conduire à remettre en question le modèle de revenus en cours. Ce peut-être pour écarter tout prix unique et diversifier les prix selon les fonctionnalités demandés ou, au contraire, de proposer des forfaits, etc. ; bref de proposer une tarifications « gagnant-gagnant » pout l’entreprise et le client.
1.2.4. Former les marketeurs et les vendeurs à vendre la valeur et pas le prix.
Les efforts précédents ne servent pas beaucoup si le client ne perçoit ni ne comprend la valeur apportée.
Le faire-savoir, ici, doit être fait par tout moyen de promotion et surtout par les vendeurs. La réticence des vendeurs à changer d’argumentaire doit être réduite, sinon détruite, par la formation et l’attribution d’une nouvelle boite à outils mais aussi par des incitations liées à la réalisation des objectifs.
- Les facteurs du « Pouvoir de tarification »
Le pouvoir de tarification est défini par les consultants du Cabinet Simon-Kucher comme la capacité de faire accepter les éléments suivants :
– le prix le plus proche de la valeur offerte ;
– la répercussion des hauses de coûts sans perte de volume ;
– la diffusion de nouveaux principes et normes de tarification sur un marché.
Il est clair que ce pouvoir n’est pas également réparti. Il dépend des principaux facteurs suivants :
2.1. La « force » de l’avantage concurrentiel. (Voir : https://outilspourdiriger.fr/la-source-de-lavantage-concurrentiel/)
On sait grâce à M. Porter qu’on peut distinguer deux types d’avantage concurrentiels :
-L’avantage de coût, la capacité de produire les mêmes produits que les concurrents mais à des coûts moindres.
-L’avantage de différenciation, la capacité d’offrir des produits remplissant les mêmes fonctions de base que ceux de ses concurrents mais présentant des caractéristiques qui les différencient aux yeux des prospects :
-des attributs supplémentaires (qualité, personnalisation, esthétique, livraison, compléments, SAV, etc.) ;
-des attributs réduits (low-cost) réducteurs de prix ;
-des attributs entièrement nouveaux (innovation technique, commerciale, logistique, etc.).
Il est sûr que le pouvoir de tarification est étroitement lié à la force de l’un de ces avantages concurrentiels.
Néanmoins, toute entreprise même à faible avantage concurrentiel peut différenciez son offre et ses prix selon le segment de clientèle ; par exemple en offrant un produit ou un service « dépouillé » à prix réduit et en facturant les éléments complémentaires souhaités par le client.
2.2. La pertinence de la numérisation et de la personnalisation de l’offre
Les tendances lourdes dans ce domaine sont connues.
– Les différentes étapes du processus d’achat tendent à se faire en ligne et les moyens de comparaison des produits ainsi que les recommandations de produits sont disponibles et de plus en plus nombreux.
– Les exigences de personnalisation de l’offre (qualité, quantité, délai, SAV, etc.) sont de plus en plus fortes.
– La location ou l’usage ou abonnement tendent à être préférées à la propriété.
(Voir : https://outilspourdiriger.fr/vendre-ou-louer-le-declin-de-la-propriete/
– Les produits physiques doivent être améliorés numériquement.
– Des applications d’intelligence artificielle doivent être mis à disposition des clients à toute heure, tous les jours.
– La transparence des prix est de plus en plus grande et les innovations de tarification de plus en plus nombreuses.
Prendre en compte ces tendances tend à devenir une question de survie pour toute entreprise.
Chacune doit s’équiper numériquement et surtout adapter les modalités de son offre et de sa tarification mais c’est l’ampleur et la pertinence de cette adaptation qui conditionnent le pouvoir de tarification.
2.3. L’appartenance à un ou plusieurs écosystèmes.
On sait que des entreprises de secteurs divers tendent à unir leurs forces, sous la pression de la révolution numérique et de la mondialisation de la concurrence, pour mieux servir des clients de plus en plus exigeants.
Il est clair que tous les écosystèmes ne sont pas également puissants mais on peut valablement penser que chacun donne au client une assurance plus grande d’obtenir des produits et des services de meilleure qualité, de l’avant- vente à l’après-vente, ce qui soutient le pouvoir de facturation de chaque membre de l’écosystème.
- Le choix entre tarification d’écrémage et tarification de pénétration
3.1. Les stratégies de tarifications.
La question se pose particulièrement lors du lancement d’un produit ou service nouveau mais elle peut aussi surgir en cas de besoin de changement de tarification.
– La tarification d’écrémage vise à maximiser les profits à court terme ; elle consiste à fixer le prix le plus élevé possible en ciblant les clients pour qui le produit apporte le plus valeur et qui sont les plus disposés à payer cette valeur. Au début, les ventes sont peu importantes mais fortement rentables. Grace à cette rentabilité, on peut par la suite progressivement réduire le prix pour attirer des clients moins argentés ou intéressés mais plus nombreux.
– La tarification de pénétration vise à maximiser rapidement la conquête de part de marché ; elle consiste à fixer le prix le plus bas possible pour attirer de nombreux clients, en particulier si un effet de réseau peut jouer.
(Voir : https://outilspourdiriger.fr/effet-et-industries-de-reseau/)
Par la suite le volume des ventes réduit les coûts et accroît la rentabilité qui est utilisée pour fidéliser les clients et créer des barrières à l’entrée.
On notera que la deuxième étape de chacun des deux processus cités ci-dessus est risquée et a donné lieu à de nombreux échecs.
3.2. Les déterminants principaux du choix
Les principaux déterminants du choix de l’une ou l’autre stratégie sont les suivants :
3.2.1. La valeur apportée par l’offre.
En cas d’innovation il est clair que la stratégie d’écrémage est la seule stratégie possible, au début, car les clients sont peu nombreux ; mais on peut ensuite, aller plus ou moins vite vers un prix de pénétration.
De façon plus générale, la stratégie d’écrémage n’est possible que pour les produits apportant une haute valeur.
Pour les offreurs de produits indifférenciés et à forte concurrence, la stratégie de pénétration est la seule stratégie possible mais la plus risquée.
3.2.2. Le type de contraintes du moment à surmonter.
Les contraintes internes telles que les limites ou excès de capacité de production, les contraintes de marché telles qu’une guerre des prix ou l’entrée de nouveaux acteurs, peuvent, temporairement, faire choisir l’une ou l’autre stratégie de tarification ou un compromis provisoire entre elles.
3.2.3. La sensibilité du volume des ventes au prix
Une forte sensibilité du volume des ventes au prix incite à la tarification de pénétration à condition que la marge globale soit maximisée ; et une faible sensibilité au prix favorise l’écrémage.
3.2.4. Les effets de portefeuille de produits et de types de clients.
La gestion d’un portefeuille de produit conduit souvent à pratiquer les deux politiques en combinant des politiques de produits et des politiques de prix.
Un produit haut de gamme est d’abord lancé avec un prix d’écrémage ; puis, plus tard, est proposé un produit de moindre valeur à un prix inférieur. On peut aussi ajouter une offre de plus grande valeur et prix à l’offre standard en cours. Les risques de « cannibalisation » des produits et de perte de confiance des clients doivent alors être étroitement surveillés.
- Les biais de décision du prospect utilisables par le tarificateur (tarification psychologique)
On peut repérer les six effets suivants des biais de décision du prospect :
4.1. L’effet du chiffre de gauche
C’est l’effet classique du prix de type = 15,90. On a tendance alors à ne percevoir que le nombre 15 et à baser sa décision sur cette première perception. Effet important pour les ventes d’articles de faible valeur.
4.2. L’effet de compromis
C’est la tendance à choisir l’option médiane (le produit au prix médian) jugée la meilleure face à une gamme de prix.
L’architecture de choix peut jouer un rôle important dans la tarification d’une large gamme de produits et peut inciter le client à choisir un produit plus précieux.
4.3. L’effet d’ancrage
Si le client n’a pas de prix de référence en tête, on lui présente une « ancre », c’est-à-dire un prix élevé accompagné d’une forme de réduction ; le prix réduit étant, en fait, le prix voulu par le vendeur.
4.4. L’effet de possession
La volonté de payer pour un produit qu’on a déjà possédé est plus élevée que celle concernant un produit nouveau.
On sait que les échantillons et essais gratuits sont d’importants incitateurs à l’achat.
Par ailleurs, il vaut mieux proposer un produit a multiples fonctionnalités « retirables » moyennant finance qu’un produit à fonctionnalité basique moins cher ; le client peut accepter de payer plus cher pour réduire ces fonctionnalités que le prix du produit à fonctionnalité basique.
4.5. L’effet de leurre
Proposer à un même prix une offre de qualité inférieure (même factice) et une offre de qualité supérieure incite le client à choisir cette dernière car la comparaison la favorise.
4.6. L’effet de valeur ou de « source » du produit.
Le même produit n’a pas la même valeur aux yeux du client selon qu’il est offert par une source prestigieuse (marque) ou une source banale.
Sources :
https://www.simon-kucher.com/en/blog/the-importance-of-pricing
https://www.simon-kucher.com/sites/default/files/2020-09/WEB_Imagebrochure_2020_Feb.pdf
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ». A. Uzan. 8/11/2020