Manager la motivation à travailler, tout dirigeant ou manager sait bien que c’est un de ses plus grands défis ; celui de mobiliser ses collaborateurs, de réduire l’écart, parfois le gouffre, qui sépare un potentiel de talents et d’énergie et son utilisation réelle au service de l’entreprise.
On sait que cette mobilisation ne se décrète pas ni ne s’obtient par des menaces, qu’une capacité de leadership est nécessaire, une capacité d’entraîner l’adhésion mobilisatrice. Il ne suffit pas de bien définir « le quoi et le comment faire » ; il faut aussi savoir créer le « vouloir faire », l’envie, la motivation de mettre en œuvre.
Manager la motivation à travailler est difficile, comme le sait tout dirigeant ou manager, car les variables à prendre en compte sont multiples.
On peut retenir comme principales les trois « obligations » suivantes :
– comprendre la motivation principale à travailler de ses collaborateurs ;
– être conscient de son style de management ou de leadership et connaître les autres styles possibles ;
– comprendre la situation à manager : les contraintes qu’elle impose et les libertés de choix qu’elle laisse.
Examinons chacune de ces obligations.
- Comprendre la motivation principale à travailler de ses collaborateurs
C’est l’obligation première car elle doit servir de base au choix des moyens de mobiliser un plus grand engagement de leur part.
Les raisons pour lesquelles chacun travaillent sont diverses, chacun pouvant donner un sens particulier à son travail.
On peut repérer les dix grandes motivations à travailler suivantes :
-Le travail comme condamnation, malédiction ; il est nécessaire si on veut survivre dans une société.
-Le travail comme « désutilité » ; il ne produit aucun plaisir, aucune satisfaction pour soi mais il est nécessaire pour obtenir des biens, des services, du temps libre qui procurent du plaisir.
-Le travail comme marchandise ; c’est une capacité d’efforts productifs qui a une valeur économique échangeable.
-Le travail comme liberté ; c’est le moyen d’exprimer sa créativité et de gagner son indépendance.
-Le travail comme « carte de citoyenneté professionnelle » ; c’est l’activité exercée comme membres d’une communauté et qui donne le droit de partager ce que cette communauté produit et/ou possède.
-Le travail comme réalisation de soi ; c’est l’activité qui donne le sentiment de s’accomplir, de se réaliser.
-Le travail comme source d’identité ; c’est l’activité qui nous aide à comprendre qui nous sommes.
-Le travail comme norme sociale (moyen de relation sociale) ; c’est le moyen d’interactions humaines guidés par les normes sociales, les institutions sociales et les structures de pouvoir.
-Le travail comme moyen de prendre soin des autres ; c’est l’effort physique, cognitif et émotionnel requis pour prendre soin des autres.
-Le travail pour servir les autres ; c’est l’activité déployée pour servir une cause ou une communauté.
Tentons de préciser un peu les principales motivations et les effets qu’elles peuvent produire.
1.1. Travailler pour de l’argent
L’évolution n’a rien changé à la nécessité de travailler pour survivre mais a tendu à contraindre de plus en plus à travailler pour autrui et pour de l’argent, comme salarié (ou comme indépendant vendeur de biens ou de services).
On peut ainsi comprendre que le travail soit vu par certains comme une malédiction : la survie d’une famille peut en dépendre et la faiblesse ou la précarité du revenu créer une pression terrible, voire le désespoir ; ce qui ne manquera d’affecter le milieu de travail et ne doit pas laisser le manager indifférent.
Si le travail est seulement vu comme une marchandise ou une désutilité, on peut s’attendre aux effets suivants :
-à un moment, le salarié refusera de travailler plus longtemps si la réduction du temps consacré à d’autres activités qu’il préfère n’est pas largement compensée financièrement.
-la mobilisation de son potentiel de travail sera plus ou moins forte selon la perception qu’il a des 4 facteurs suivants : de la désirabilité du résultat visé ou de la récompense promise ; de l’évaluation de sa capacité de réaliser le résultat ; de la confiance dans les promesses de la direction ; du degré d’engagement des collègues dans l’effort collectif. On peut alors obtenir un taux d’engagement minimum ou une déviance de comportement (vers un objectif personnel au lieu de l’objectif organisationnel), dysfonctionnements que le manager doit percevoir et corriger.
-une ambiguïté, voire un conflit, peut surgir entre les perceptions du salarié et du manager de ce qui est attendu du salarié ; un temps de travail ou un produit ou un service ? Ce qui donne lieu à des contrôles différents de la part du manager et à des différents entre les deux.
1.2. Travailler pour se réaliser, s’épanouir.
Pour beaucoup de salariés, le travail doit procurer l’argent nécessaire mais aussi, voire surtout, être un moyen de se réaliser, de s’épanouir, de satisfaire trois besoins fondamentaux du bien-être au travail :
– la compétence, la maîtrise du travail ; elles dépendent de la complexité de la tâche, de la variété des compétences qu’elle mobilise et du sens que le salarié donne à la tâche : contribue-t-il à créer quelque chose d’identifiable et d’utile ? contribue-t-il à créer du bien-être dans son équipe ou dans la société ?
– l’autonomie, le pouvoir de décider, au moins du « comment faire » ;
– le sentiment d’appartenance à un groupe.
La motivation à travailler devient, alors, intrinsèque et l’engagement dans le travail n’a plus besoin d’être stimulé.
Il est facile pour un manager de percevoir le degré d’existence de cette situation dans son service ou de mesurer ce degré par enquête ; et de faire son maximum pour maintenir ou accroitre ce degré.
1.3. Travailler pour trouver son identité.
On peut chercher à savoir comment on s’inscrit dans le système social auquel on appartient et quel sens prend le travail qu’on réalise. On crée son identité et le degré d’estime de soi (fierté) de plusieurs manières :
-par certains descripteurs de son travail (ingénieur, auteur, chef d’entreprise, etc. ?)
-par les groupes auxquels on appartient et par le sens qu’on leur donne (statut social, attentes de la société, etc.).
-par les perceptions déclenchées chez les autres par son travail ou ses groupes (valeurs et normes sociales).
On peut donc s’attendre à ce que les employés souhaitent agir de manière conforme à leurs visions des attentes de la société ou des attentes de leurs pairs et se trouvent contrariés si l’entreprise leur demande d’agir autrement.
On peut aussi s’attendre à ce que des groupes spécifiques se forment, résistant à l’intégration dans la communauté de l’entreprise.
1.4. Travailler pour respecter les normes sociales.
Une norme sociale est l’ensemble des règles de conduite qu’il convient de suivre au sein d’un groupe social, d’une société. Les normes sociales façonnent fondamentalement le comportement humain via des sanctions sociales.
Un groupe accepte ceux qui respectent ses normes sociales et exclue ceux qui les violent = moteurs importants de comportement sur le lieu de travail.
Ces normes peuvent fonctionner à niveaux différents de groupe :
– dans les groupes de travail ; par exemple, ceux qui travaillent délibérément plus lentement ou plus rapidement que leur pleine capacité ou que la moyenne du groupe, ceux-là reçoivent des surnoms désobligeants, sont harcelés et ostracisés.
-dans l’entreprise en général ; la culture en matière de travail façonne le comportement des salariés et peut conduire à travailler plus dur ou à « s’économiser ». Une très vive concurrence peut réduire la résistance des salariés à la réduction des avantages sociaux et à accepter des changements au nom de la survie des entreprises.
-dans la société, aussi, la culture nationale et la culture ethnique, créent des normes fortes concernant les rôles ou comportements appropriés et inappropriés. On peut vouloir se sentir considéré comme contributeur à la production ou au bien-être de l’entreprise ou au bien-être national car le travail n’est pas seulement un échange économique mais aussi un échange social.
C’est ainsi qu’on peut parfois observer des comportements spontanés et bénévoles relevant de la « citoyenneté » de l’entreprise ou de la nation.
1.5. Travailler pour prendre soin des autres
Prendre soin des autres a été longtemps le fait des femmes au foyer et persiste encore un peu la croyance que prendre soin des autres n’est pas un véritable travail.
On sait maintenant que ce n’est plus le cas, comme le montre les domaines de la santé, de l’aide nationale ou internationale aux démunis, etc.
On peut donc comprendre que certains salariés soient motivés par ce type de travail et n’aiment pas se sentir dévalorisés par les stéréotypes portant sur le « vrai » travail ou se sentir empêchés de satisfaire leur besoin de prendre soin des autres par une organisation du travail (horaires du travail, des réunions etc.) qui continue de postuler que prendre soin de la famille ou des autres est affaire de femme au foyer.
1.6. Travailler pour servir les autres.
On peut vouloir servir les autres membres de sa communauté ou vouloir servir une divinité.
Servir les autres membres de sa communauté peut conduire au bénévolat ou au management d’organisme à but non lucratif, localement ou mondialement.
Servir une divinité donne au travail une signification religieuse profonde
Dans les deux cas, la motivation procède alors de valeurs éthiques ou religieuses et peut être considérée comme une dévotion.
Le manager sait qu’alors la motivation est hautement intrinsèque mais doit aussi savoir que le but à proposer doit être adapté à la dévotion.
On peut compléter sa connaissance de la motivation au travail en consultant les sources suivantes :
- Les styles de management
Les managers ont des choix quant à la façon dont ils peuvent gérer la motivation à travailler de leurs collaborateurs.
On peut repérer les six styles de management suivants :
-La manager coercitif. Il est autoritaire, ne vise que l’obéissance aux ordres et motive par la menace.
Nécessaire, voire bénéfique, dans des situations d’urgence ou chacun a besoin de savoir exactement ce qu’il doit faire, ce style est, en situation normale, générateur de frustration, de ressentiment, d’engagement minimum, etc.
-Le manager qui fait autorité. Il est compétent, crée la confiance, vise à faire adhérer à sa vision et à mobiliser les salariés par la persuasion et la rétroaction.
Ce style est d’autant plus bénéfique que le leader est professionnel et authentique ; il peut devenir maléfique si le leader devient autoritaire et arrogant.
-Le manager relationnel (affiliatif). Il vise essentiellement à ce que ses salariés soient heureux au travail et les motive en les aidant et en établissant de bonnes relations avec eux et entre eux.
Ce style est particulièrement bénéfique lors des situations stressantes ou lorsqu’il faut rétablir la confiance perdue.
Mais il devient facteur de médiocrité si la relation affiliative prime sur la performance.
-Le manager démocratique (participatif). Il vise à renforcer la confiance et l’engagement des salariés en se mettant à leur écoute et en les faisant participer aux décisions
Ce style est particulièrement bénéfique si les salariés ont le désir de participer et les compétences pour ce faire. Si ces conditions ne sont pas remplies, ce style devient trop coûteux en temps et inefficace.
-Le manager « imprimeur de rythme » (« pace setting »). Ils visent à entrainer les salariés en se fixant des objectifs élevés et en se donnant en exemple à suivre.
Ce style peut être utile pour obtenir des résultats rapides si les « suiveurs » ont les compétences et la motivation nécessaires. Si les salariés doivent chercher à comprendre ce que veut le manager plutôt que de choisir leur « comment faire », cela peut avoir pour effets de réduire la confiance et la motivation.
-Le managers « coach ». Il vise à encourager les salariés à essayer des méthodes, à saisir des opportunités, pour développer leurs capacités à long terme sur la base de succès à court terme.
Si les salariés ne sont pas motivés à développer leurs capacités ou si le coach fait erreur sur les points faibles à développer, le coaching devient inadapté ; par ailleurs, il est nécessairement inadapté en cas d’urgence.
Ainsi, un manager peut préférer tel ou tel style parce qu’il correspond bien à ses valeurs ou à son expérience.
Mais à la lecture des évaluations des styles, on comprend qu’il n’y pas un meilleur style managérial ; qu’un manager peut avoir besoin de recourir à plusieurs styles successivement ou même simultanément, car l’essentiel est ici la compréhension de la situation à manager et l’adaptation du style à cette situation.
- Les contraintes de la situation à manager.
On peut repérer deux types de contraintes à l’action du manager sur la motivation à travailler.
– la stratégie globale retenue par l’entreprise ;
– les facteurs externes ;
3.1. La stratégie globale de l’entreprise
Depuis M. Porter, on sait que deux grands types de stratégie globale sont appliquées : la stratégie de domination par les coûts et la stratégie de différenciation ; et, chacune de ces stratégies, imprime une marque importante sur la stratégie de gestion des ressources humaines.
Les auteurs du mooc soulignent qu’ils observent deux grandes approches du management des ressources humaines, approches qu’ils appellent « Hard human resource management (HRM) » et « Soft human resource management (SRM) ». (Voir ; http://whitherwork.blogspot.com/2014/12/will-real-hrm-please-stand-up-or.html)
On reconnaitra facilement ce que signifie HRM aux caractéristiques suivantes :
-La priorité est donnée au maintien des coûts de main-d’œuvre aussi bas que possibles ; ce qui entraine faiblesse des avantages sociaux, de la formation etc.
-Le personnel recruté tend à être de faible formation parce que recherché pour travaux standardisés répétitifs.
-La tâche principale du manager est de donner les instructions et de contrôler les résultats obtenus (on a parlé du règne du contremaître).
-La direction vise à la suppression du syndicat de salariés.
Quant à la SRM, elle présente les caractéristiques suivantes
-La priorité est donnée à la mobilisation des salariés de niveau plus élevés et divers : par une rémunération supérieure à la moyenne, des avantages sociaux plus généreux, des possibilités de formation et d’autres types d’incitations qui mobiliseront les employés.
-Les instructions et le contrôle laisse un large degré d’autonomie aux employés pour gagner leur engagement.
-Et concernant le syndicat, on pratique plutôt une approche d’évitement ou de « substitution ».
Il est clair que le manager ne peut adopter ouvertement un style de leadership contraire à la stratégie globale de son entreprise ; par exemple, être un manager démocratique dans une entreprise à stratégie de domination par les coûts.
Mais, dans ce cas, rien n’interdit de tempérer le style coercitif, en principe plus adapté à la stratégie globale, en ayant recours à d’autres styles.
3.2. Les facteurs externes à l’entreprise
Des facteurs externes peuvent aussi imposer des contraintes au manager de la motivation au travail.
Distinguons les facteurs techniques des facteurs sociaux.
3.2.1. Les facteurs techniques peuvent être les suivants :
-La concurrence qui peut exacerber la stratégie en cours et limiter le degré de liberté d’action du manager ; ou provoquer un début de conversion d’une stratégie vers une autre.
-L’évolution du marché du travail qui peut exiger des modifications des politiques de recrutement et de fidélisation.
-L’évolution de la technologie de l’entreprise (par exemple, la digitalisation) qui peut aussi exiger des modifications de politiques de recrutement, de formation, de fidélisation mais aussi d’attitudes à l’égard du degré d’autonomie du personnel.
3.2.2. Les facteurs sociaux.
Le facteur le plus évident concerne la réglementation sociale qui s’impose à l’entreprise comme au manager.
Mais les facteurs les plus importants concernent l’évolution des valeurs des consommateurs et des valeurs sociétales.
-On sait que les consommateurs tendent à donner de plus en plus d’importance à la qualité des produits, à l’écologie des produits, au lieu et conditions de production, etc. ; ce qui ne peut manquer d’affecter la stratégie globale de l’entreprise et, sans doute, donner plus de liberté à l’action du manager.
-Les valeurs sociales tendent aussi à « pousser » dans la même direction. Le profit tend à ne plus être considéré comme la seule raison d’être de l’entreprise, qu’on veut de plus en plus « citoyenne ». Salariés et syndicats tendent de plus en plus à exiger que le travail soit « enrichi », que ses modalités soient assouplies (horaires, télétravail, etc.) et que les salariés participent aux décisions qui les concernent.
Tout cela tend à donner plus de latitude d’action et d’importance au manager de la motivation à travailler. Il doit être capable de relever les défis de sa fonction.
Source : mooc Coursera : Preparing to Manage Human Resources par l’Université du Minnesota
https://www.coursera.org/learn/managing-human-resources/home/welcome
On trouvera dans ce blog, plusieurs articles portant sur la motivation, le leadership et le manager ; en particulier les quatre suivants :
https://outilspourdiriger.fr/les-styles-de-leadership/
https://outilspourdiriger.fr/les-quatre-defis-du-manager-leader-du-quotidien/
https://outilspourdiriger.fr/la-cle-de-lengagement-au-travail/
https://outilspourdiriger.fr/le-manager-leader-du-quotidien/
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur. A. Uzan. 30/05/2021