Avoir la cuture du client et celle de l’analyse des données, c’est avoir les compétences nécessaires, les manières de penser, de ressentir et d’agir de façon pertinente dans ces deux domaines.
Selon la Kellogg School of Management de la Northwestern University, ces cultures sont devenues des impératifs pour tout dirigeant et manager, impératifs d’acquisition mais aussi impératifs de promotion dans l’entreprise.
C’est le besoin de manager le nouveau pouvoir du client et la complexité des analyses de données qui impose ces impératifs.
On verra d’abord ce que ces impératifs exigent comme cultures : culture du client pour chaque membre de l’entreprise et culture de l’entreprise.
On verra ensuite pourquoi l’analyse des données exige l’expertise du dirigeant autant que celles des analystes.
1.1. La culture du client.
La révolution numérique a rendu le client trop important pour que seul le service de marketing s’en préoccupe.
Cette révolution a entraîné cinq changements majeurs et autant de défis pour tout dirigeant :
– les prospects et clients ont désormais un choix élargi, des informations illimitées et des accès les uns aux autres ;
– la relation entre entreprise et consommateurs devient de plus en plus dominée par le consommateur ;
– la concurrence est devenue imprévisible en raison de la diversité et de la mondialisation des offres ;
– l’évolution de la technologie et de la mondialisation mettent à mal les structures organisationnelles traditionnelles ;
– des quantités massives de données sont désormais disponibles.
La façon de penser et de réussir l’entreprise exige de la regarder au travers des yeux du client ; les ressources dont elle dispose ne sont que des outils au service de cet objectif.
De nombreuses entreprises technologiques ont adopté cette nouvelle priorité. General Electric affirme que sa conviction la plus importante est que les clients déterminent le succès. J. Bezos déclare que sa vision était de faire d’Amazon l’entreprise la plus centrée sur le client de la planète.
Comprendre les clients est difficile car tout consommateur exerce deux types de raisonnement : un raisonnement délibéré et logique, et une raisonnement émotionnel subconscient.
Ainsi les prospects et clients recherchent trois types de valeur :
– la valeur fonctionnelle (une montre qui indique l’heure).
– la valeur économique (une montre solide, réparable, à prix correct, etc.)
– la valeur émotionnelle (une montre qui témoigne de mon statut social, de mon appartenance à un groupe, de mon bon goût etc.).
Aujourd’hui la concurrence tend à porter sur la valeur émotionnelle ; d’où le rôle croissant des marques visant à donner à l’offre un sens qui souligne surtout la valeur émotionnelle.
1.2. La culture de l’entreprise centrée sur le client
La culture d’entreprise, c’est l’ensemble des manières prédominantes de ressentir, de penser et d’agir dans une entreprise ; elle résulte de l‘expérience des dirigeants et de l’histoire de l’entreprise ; elle se traduit par des comportements, des valeurs, des normes, des symboles ; elle se transmet par formation ou imitation et se modifie pour faire face aux problèmes.
Du point de vue de l’entreprise, la culture c’est l’ensemble des manières de ressentir de penser et d’agir que les dirigeants veulent voir leurs collaborateurs adopter et appliquer pour assurer de façon informelle la cohésion interne (sentiment d’appartenance, motivation, etc.) et la coordination de ses activités
Une recherche conduite par l’auteur du MOOC de la « Kellogg School of Management » de la Northwestern university, établit que les entreprises centrées sur le client partagent les sept valeurs suivantes :
– priorité des préoccupations de toute l’entreprise est donnée aux clients et prospects ;
– empathie envers les prospects et clients pour comprendre ce qu’ils veulent même s’ils ne peuvent pas le dire.
– curiosité pour les nouvelles idées et techniques, et volonté de les partager ;
– imagination ;
– confiance dans les collaborateurs pour qu’ils fassent ce qu’ils font de mieux et de la manière qui leur convient ;
– collaboration entre collègues, avec les clients et les fournisseurs ;
– respect des réalisations des collègues, des clients et concurrents.
Par ailleurs elles pratiquent la culture du « moins », celle du « chèque en blanc » et celle de l’expérimentation.
La séduction du plus, de produits, marchés, etc. tend à céder la priorité à la culture du moins.
Une politique de « chèque en blanc » est instaurée pour marquer la confiance dans les collaborateurs et pour les inciter à agir comme des entrepreneurs propriétaires de l’entreprise.
Une politique de « voir grand, commencer petit pour tester, passer à l’échelle rapidement »
On voit que la culture du client est très différente de la culture traditionnelle du produit. Avoir la cuture du client et celle de l’analyse des données, est aujourd’hui nécessaire.
- La culture de l’analyse des données.
L’analyse des données n’est pas seulement l’affaire des analystes. Elle relève, en fait, prioritairement du dirigeant qui définit les problèmes à analyser et doit juger de la valeur des résultats.
2.1. L’analyse des données relève prioritairement du dirigeant.
L’explosion des données a rendu essentielle pour tout dirigeant la compréhension de l’analyse des données et sa participation aux étapes principales de cette analyse.
Les raisons principales d’acquérir et de développer cette culture sont les trois suivantes ;
– la décision de réaliser une analyse doit être centrée sur la définition d’un problème qui relève du dirigeant ;
-les analyses nécessitent de la part du dirigeant un jugement sur la pertinence des résultats et souvent un choix entre résultats contradictoires ;
-les résultats d’une analyse peuvent conduire à des changements de processus et d’incitation qui relèvent du dirigeant.
2.2. La culture de base à avoir.
Elle relève essentiellement des capacités de réflexion et permet au dirigeant d’identifier les domaines dans lesquels l’analyse peut apporter de la valeur et juger ses résultats ;
Les analystes ont une forte expertise technique mais, en général, une faible expertise commerciale. Le dirigeant connait les problèmes à résoudre mais doit aussi juger de la pertinence de l‘analyse à faire et des types de résultats à obtenir.
Il doit aussi un jugement sur l’analyse réalisée (ses méthodes, l’interprétation qui est présentée de ses résultats, les préconisations, etc.) et ses résultats.
Le dirigeant ne doit pas devenir un expert de l’analyse des données mais doit acquérir la culture nécessaire à sa fonction en gardant à l‘esprit les principes suivants.
2.2.1. Le lien de causalité et équivalence probabiliste.
Dans la vie de tous les jours, Il est généralement facile d’établir un lien de causalité mais c’est nettement plus difficile dans les analyses de marketing (ex : quel lien entre publicité et achat) ou de gestion.
Pour déterminer le lien entre publicité et achats, il faudrait avoir deux groupes de personnes à caractéristiques identiques, n’en soumettre qu’un à la publicité et mesurer la différence de résultats.
Cette situation n’existant pas, on peut l’approcher par la composition aléatoire des groupes, à condition que chaque groupe soit suffisamment important. On parle, alors, d’équivalence probabiliste entre les groupes car ces derniers sont, alors, censés posséder de façon égale toutes les caractéristiques susceptibles de réagir à la publicité.
S’il existe des différences préexistantes entre les groupes (différences d’intérêt préalable, de sexe, de revenus etc.), on ne peut pas, en principe, interpréter les résultats comme établissant un lien de causalité.
2.2.2. Le facteur commun sous-jacent.
Une analyse portant sur la probabilité qu’un prospect achète un produit selon la publicité qu’il a vue sur un moteur de recherche ont donné les résultats suivants : si le prospect n’a pas vu la publicité, la probabilité d’acheter est très faible mais cette probabilité grandit de plus en plus s’il a vu la publicité du détaillant, la publicité de l’entreprise, la publicité du détaillant et de l’entreprise.
La conclusion retenue, hâtive et infondée : la publicité complémentaire du détaillant et du fabricant est la plus efficace
On oublie, ici, de prendre en compte un facteur commun sous-jacent : le degré d’intérêt préalable du prospect pour le produit. C’est probablement cet intérêt qui explique les résultats.
Une autre analyse a été entreprise pour savoir si on a bien acheté un type d’échographe plus rapide que l’existant.
Contrairement à la promesse du vendeur, les résultats établissent qu’en moyenne le temps d’un examen est plutôt plus long que précédemment.
En fait, on a oublié, ici, l’expérience, voire l’âge, du technicien : les techniciens novices ont préféré les échographes récents et les techniciens expérimentés sont restés fidèles aux machines anciennes.
En fait, on n’a pas mesuré les différences de vitesse d’exécution permises par les types de machines mais les différences de comportement des techniciens, les plus jeunes préférant les machines nouvelles et les autres les anciennes.
Le facteur commun, l’expérience et les goûts des techniciens, déterminent à la fois le choix de l’échographe et la durée des examens.
2.2.3. L’usage de la causalité inverse.
En cas d’incertitude sur la causalité, recourir à la causalité inverse permet d’y voir plus clair et en tous cas de se poser une bonne question.
Par exemple, est-ce l’augmentation du nombre d’emails envoyés qui a entraîné de meilleurs résultats commerciaux ou est-ce l’importance du revenu du client qui a entraîné l’envoi d’un plus grand nombre d’e-mails ?
Si l’envoi d’emails est possible pour plusieurs départements de l’entreprise, il est normal que les plus gros clients achetant à plusieurs départements, reçoivent le plus d’emails. Il y a une causalité inverse de celle retenue d’abord.
Un analyste de marketing numérique découvre que les prospects et clients partageant le plus activement sur les réseaux sociaux du contenu provenant du site de l’entreprise génèrent beaucoup plus de revenus que les autres prospects et clients.
La conclusion retenue, hâtive : accroître la publication sur les réseaux sociaux et la relation avec les prospects et clients pour développer l’engagement ou la fidélité à l’entreprise.
L’hypothèse alors admise est la suivante ; inciter les prospects et clients à partager le contenu de l’entreprise est une bonne incitation à acheter. Une fois cette promotion testée, on constate que les partages ont augmenté mais pas les clients.
Se pourrait-il que la causalité soit inverse ?
La promotion aurait permis aux clients fidèles de partager davantage sur les réseaux mais n’a pas accru le nombre de client.
2.2.4. Coïncidence et corrélation ne donnent pas des relations de causalité.
Un constructeur automobile spécialisé dans les véhicules à quatre roues motrices constate un ralentissement de ses ventes et lance une promotion valable pendant une période donnée de l’hiver. Cette promotion connait le succès, succès que le constructeur attribue à la promotion.
S’il avait poursuivi sa promotion, aurait-il connu une poursuite du succès ?
En fait, il n’a pas tenu compte d’un autre facteur ; la période de promotion a connu des chutes de neige qui ont incité les prospects à acheter un véhicule réputé pour sa tenue sur la neige.
Il y a eu coïncidence et non relation de causalité.
Cette erreur est fréquente. On pourrait trouver une corrélation entre la légèreté des vêtements portés et les accidents de moto parce que cela se produit pendant l’été ; entre l’évolution de l’âge d’un enfant et celle du revenu de ses parents ; entre délinquance et présence policière.
On voit clairement que lorsque l’analyse cherche à repérer une causalité l’expertise du dirigeant est, au moins, aussi indispensable que celle des analystes.
Dans les autres cas, par exemple repérer des prospects, des opinions ou des comportements, l’analyse peut être jugée utile mais ici aussi ce jugement relève u dirigeant.
2.2.5. Une mauvaise analyse causale n’est pas forcément inutile.
En fait, les analyses ne doivent pas nécessairement porter sur les relations de causes à effets pour être utiles.
Un grand détaillant a segmenté les consommateurs en acheteurs de détail uniquement, acheteurs en ligne uniquement et acheteurs omnicanaux qui font leurs achats à la fois dans les magasins de détail et en ligne.
Les acheteurs omnicanaux étaient beaucoup plus intéressants pour le détaillant que les acheteurs qui n’utilisaient qu’un seul canal.
L’interprétation causale rapide pourrait être la suivante : amener les acheteurs uniquement au détail à adopter également le canal en ligne et à devenir ainsi des acheteurs omnicanaux, cela doublerait les revenus qu’ils génèrent.
Est-logique ? Appliquons la liste de contrôle.
Pourrait-il y avoir des différences entre clients autres que les canaux qu’ils utilisent ?
Oui, car on sait que le taux d’achat en ligne est plus faible chez les consommateurs les plus pauvres.
Et donc, réussir d’une manière ou d’une autre à inciter les clients du commerce de détail à adopter également le canal en ligne, ne conduira pas nécessairement à un accroissement des ventes
Une partie de la différence de comportement est due à des différences de revenus.
Il n’y pas de lien de causalité mais l’analyse n’est pas inutile.
Les résultats montrent que les clients les plus précieux pour le détaillant sont les clients acheteurs omnicanaux et qu’il faut promouvoir et faciliter l’utilisation de cette modalité d’achat.
Avoir la cuture du client et celle de l’analyse des données est aujourd’hui un impératif pour tout dirigeant.
Source : https://www.coursera.org/learn/leadership-marketing/home/week/1
Pour aller plus loin :
https://outilspourdiriger.fr/se-centrer-sur-le-client-ou-sur-le-produit/
https://outilspourdiriger.fr/lanalyse-du-marketing-selon-meta-1/ 2 et 3.
https://outilspourdiriger.fr/personnaliser-ses-relations-avec-ses-clients/
Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur. A. Uzan. 10/03/2024