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André Uzan

Ancien universitaire

Créateur d’entreprise

L’IA : création destructrice ou destruction créatrice d’emplois ? L’IA : création destructrice ou destruction créatrice d’emplois ?

L’IA:création destructrice ou destruction créatrice d’emplois ? Telle est la question principale que pose l’Intelligence artificielle (IA) à la société comme à l’entreprise.

Le développement des applications d’IA et du numérique en général représente une incontestable révolution technologique qui a déjà fortement impacter les métiers et les emplois et va tendre à accentuer ses effets dans le futur. Des métiers et des emplois tendent à disparaître ou à se réduire en nombre ; d’autres sont créés et tendent à se développer en nombre (Community manager, data journalist, webdesigner, etc. Data analyst, data scientist, data architect, data journalist, etc.) ; d’autres, enfin, tendent à devenir enrichis, « augmentés » (voir réalité augmentée), parce que les applications d’IA les débarrassent des tâches routinières.

Voyons d’abord quelles sont les trois croyances qui alimentent la polémique sur l’IA. Nous verrons ensuite quelles préconisations ces croyances conduisent à faire pour le futur lointain comme pour le futur proche.

 

  1. Trois croyances qui alimentent la polémique.

Face à cette révolution trois croyances principales s’opposent et alimentent la polémique sur l’IA intelligence artificielle :

1.1. La croyance en la création destructrice.

Cette croyance affirme que la révolution de l’IA intelligence artificielle en cours est différente des innovations passées et qu’elle va être une création destructrice d’emplois par la robotisation et, surtout, par l’automatisation des processus cognitifs.

Il est vrai que la révolution de l’IA est différente des innovations passées en ce qu’elle n’affecte pas seulement les tâches manuelles répétitives (les cols bleus) mais qu’elle impacte également les tâches intellectuelles (les cols blancs).

Ce qui a conduit des auteurs à faire état des tendances probables suivantes :

-tendance rapide à la robotisation des emplois physiques ;

-tendance à débarrasser les emplois intellectuels des tâches répétitives et rébarbatives que les machines réalisent mieux que les hommes ;

-tendance au développement des emplois exigeant des qualités non automatisables, telles que la dextérité manuelle, la créativité, l’empathie, la relation avec les autres, l’adaptabilité aux changements, etc.

C’est donc, pour beaucoup d’observateurs, et à juste titre, le caractère routinier d’une activité qui est considéré comme le critère d’une future automatisation ou robotisation et ce caractère routinier ne s’observe pas seulement dans les tâches manuelles, on le trouve aussi et souvent dans tout ou partie de beaucoup de tâches intellectuelles.

Certains tenants de la création destructrice n’hésitent pas à aller plus loin en faisant observer qu’on peut considérer toute tâche comme routinière, car on peut la décomposer en une suite d’actions à accomplir et l’automatiser. Ce qui veut dire que tous les métiers sont automatisables, que tout métier est remplaçable par une machine.

1.2. La croyance en la destruction créatrice (Schumpeter)

Cette croyance concernant l’IA intelligence artificielle conduit à affirmer que, comme par le passé, les progrès techniques détruisent certains emplois mais en créent d’autres, différents et plus nombreux.

Les tenants de cette croyance font observer que la relation « robots-réduction d’emplois » est loin d’être démontrée ; l’Allemagne a trois fois plus de robots que la France et un taux de chômage nettement plus faible et les industries automobiles robotisées d’outre-Rhin ont 100 000 salariés de plus qu’il y a vingt ans. Et de façon générale, les pays qui ont le plus de robots (Japon, Corée du Sud, Allemagne et Suède) sont aussi ceux qui ont le moins de chômage et le plus d’emplois dans l’industrie ; raisonnement un peu sommaire, certes, mais observation « frappante » !

Ces tenants admettent que beaucoup d’emplois, non qualifiés et qualifiés, vont disparaître mais que d’autres emplois commencent déjà à se développer dans de nouveaux domaines tels que les objets connectés, les transactions sécurisées, les dispositifs médicaux, etc. et que de nombreux emplois tendent à devenir plus qualifiés (par exemple, dans la banque).

Ils ajoutent que les emplois nouveaux se développeront dans le domaine du numérique, bien sûr, mais aussi dans tous les domaines où le travail humain aura un avantage par rapport à la machine et, surtout dans tous les domaines où ne manqueront pas d’apparaître des besoins humains nouveaux suscités par la satisfaction des besoins anciens.

Les pays développés sont passés de la société agricole à la société industrielle, puis à la société tertiaire ou société des services tout en accroissant le volume total de l’emploi, et le niveau de vie d’une population totale croissante.

1.3. La croyance en la complémentarité « IA-emploi ».

On peut se demander s’il n’est pas plus pertinent de voir les relations « IA-emploi » non pas en termes de substitution mais en termes de complémentarité.

Aujourd’hui les applications d’IA apparaissent plutôt comme des « assistants » des acteurs ; assistance à la fabrication, à la régulation des processus, à la décision, etc. et que l’acteur soit col bleu ou col blanc.

Dès lors, le changement introduit par l’IA et le numérique en général réside dans la façon de pratiquer le métier, ce sont les outils nouveaux du métier ; on aura toujours besoin de l’expert d’un domaine (médecin, manager, vendeur, comptable, chef d’atelier, etc.) mais aussi du créateur ou du producteur d’objets physiques ou intellectuels (agriculteurs, mécanicien, électricien, programmeur, auteur, cinéaste, etc.), mais aussi de l’intermédiateur entre les hommes (services) ; mais les outils de travail à leur disposition seront différents et, comme aujourd’hui, des outils produits par eux-mêmes ou par d’autres professionnels. C’est déjà ce qui se passe et ce qui, probablement, va se poursuivre dans un avenir prévisible.

 

  1. Les préconisations de long terme issues de chaque croyance.

Ces trois croyances ne s’accordent que sur deux points et, sur le reste, conduisent à des préconisations de long terme radicalement différentes.

2.1. Les points d’accord.

Ils concernent le rejet du refus de l’IA et la formation des employés.

-L’IA est porteuse de risques de destruction d’emplois et d’accroissement des inégalités au détriment des employés les moins qualifiés mais son rejet serait vain (on n’arrête pas le progrès) et son développement source d’importants progrès de productivité généralisables dans la société.

-L’important, alors, est de former les employés de tous niveaux à comprendre, utiliser, s’approprier cet outil, voire à participer à ses développements, pour que, dit un auteur, « les travailleurs ne deviennent pas les serfs des nouveaux seigneurs des robots ”.

2.2. Des préconisations de long terme radicalement divergentes

Pour les tenants de la création destructrice, l’essentiel du problème est de se préparer à un monde futur quasiment sans travail mais avec de nouveaux rôles sociaux ; il importe donc de commencer à penser à la répartition des richesses produites par la technologie ; une répartition qui soit de nature à assurer la cohésion sociale (revenu universel de base pour tous, partage des revenus produits par les nouvelles technologies, etc.).

Pour les tenants de la destruction créatrice, l’IA est bénéfique et l’essentiel est de prévenir les risques qu’elle produit : en particulier, la création d’applications qui ne sont pas conçues pour aider les humains mais pour les abuser, les manipuler, via des robots sans « morale », etc.

Les tenants de la complémentarité, eux, considèrent que la communauté des chercheurs en IA ne devrait pas se focaliser sur le risque de perte de contrôle par les humains car ce risque ne présente pas de caractère critique dans un avenir prévisible. Ils recommandent plutôt de concentrer leur attention sur les cinq risques à court terme auxquels sont exposés les systèmes basés sur l’IA, à savoir :

-les bugs dans les logiciels ;

-les cyberattaques ;

-la tentation de « l’apprenti sorcier » consistant à chercher à donner aux systèmes d’IA la capacité d’interpréter ce que veulent les utilisateurs au lieu de seulement exécuter leurs ordres ;

-le « contrôle partagé », la coopération entre créateurs de systèmes d’IA et utilisateurs et la capacité pour les utilisateurs de reprendre le contrôle en cas de besoin ;

-les « bénéfices partagés » ; l’IA doit être bénéfique pour tous et pas seulement pour quelques privilégiés.

 

Cette dernière préconisation rappelle, à juste titre, que si la polémique sur le futur lointain est utile, elle ne doit pas conduire à négliger la réalité d’aujourd’hui et du futur proche ; les applications d’IA se développent et l’important est de résoudre au mieux les problèmes qu’elles posent aujourd’hui à la société comme à l’entreprise.

 

  1. L’IA dans la société.

On n’abordera que les deux principaux points d’un domaine très vaste.

3.1. Soumettre l’IA à une éthique.

Très nombreux dans la société sont les débats, polémiques et rapports qui veulent voir, très vite, l’IA soumis à une éthique pour éviter ou corriger ses impacts négatifs.

Le rapport Villani demande que les « architectes » de la société numérique agissent de manière responsable et œuvrent activement, lors de la conception, à limiter les effets négatifs de l’IA (en particuliers les effets discriminatoires).

Le rapport de la CNIL fait la même recommandation en demandant que le design des systèmes algorithmiques soit conçu au service de la liberté humaine.

D’autres ajoutent que le « futur » ne doit pas être « colonisé » par les acteurs qui essaient d’imposer leur vision (Les GAFAM, les programmateurs, les propriétaires des robots, mais aussi les chercheurs, etc.) et que, les algorithmes étant partout, ils doivent devenir l’affaire de tous et associer à leurs conceptions des philosophes, des utilisateurs, etc.

Le rapport du CERNA (Centre d’économie industrielle de MINES ParisTech) recommande que le concepteur consulte (ou travaille avec) les personnes ou les groupes pouvant être influencés par sa conception.

Le rapport Villani souhaite voir créée une instance de débat, plurielle et ouverte, afin de déterminer « quelle IA nous voulons pour notre société ».

Il est vrai que la robotisation peut être conçue pour « manipuler » les personnes visées plutôt que les aider ou les servir. Mais d’autres effets négatifs peuvent être introduits involontairement.

L’IA est construite par l’homme mais ce dernier n’est pas à l’abri des biais cognitifs et des données biaisées.

Les biais cognitifs influencent inconsciemment nos mécanismes de pensées, nos modes de réflexion et peuvent nous conduire à prendre des décisions à effets non désirés. Ainsi les applications d’IA se basent sur les données du passé et tendent à induire des résultats conformes aux passé ce qui peut produire des décisions discriminantes ou non pertinentes. C’est le cas des procédures automatiques d’examen des candidatures pratiquées un temps par Amazon : l’application a été alimentée par l’ensemble des données de recrutement enregistrés entre 2004 et 2014 ; ces données ne comportant que très peu de femmes dans les  postes techniques et informatiques, les candidatures féminines étaient systématiquement rejetées ; ce qui a conduit Amazon à revoir son application traitée de « sexiste ». Et la situation peut être la même dans le cas d’application d’IA examinant des dossiers de demande de tout type.

3.2. Protéger les données personnelles et les droits des travailleurs connectés.

On sait que les applications d’IA sont grosses consommatrices de données sur les entreprises, sur les hommes et, désormais, sur les objets. Collecter ces données n’est légitime que si la protection des données personnelles est respectée. Sur ce sujet, la réglementation s’est déjà largement développée, limitant le profilage (toute forme de traitement automatisé de données à caractère personnel qui permettrait de prédire le comportement d’une personne) et proscrivant le rejet automatique d’une demande de crédit en ligne ou d’une candidature en ligne sans aucune intervention humaine.

Par ailleurs, le droit du travail donne aux salariés le droit de télé-travailler sauf refus motivé de l’employeur et instaure un droit à la déconnexion (Le droit de ne pas être joignable pour des motifs liés à l’exécution de son travail hors des plages de travail définies par son contrat).

 

  1. L’IA dans l’entreprise.

4.1. Définir le plan d’adoption progressive.

Aujourd’hui, on sait que des applications d’IA aident à mieux prévoir, à mieux segmenter, à mieux optimiser les processus de production ou de management, à donner des ordres ou poser des questions à un robot, à mieux analyser des textes et les sentiments qu’ils expriment, à mieux convertir automatiquement la parole en texte ou une langue en une autre, à mieux analyser des vidéos, à automatiser la reconnaissance des objets ou des visages, etc.

Un tel potentiel de productivité, d’efficacité et de réduction du travail routinier ne peut être négligé par aucune entreprise. Mais le coût des applications, achetées ou construites, écarte, cependant, toute improvisation.

Le pan d’adoption des applications d’IA est nécessairement progressif et propre à chaque entreprise.

Le Cabinet Sage suggère les priorités suivantes : https ://www.sage.com/fr-fr/blog/ia-automatisation-avantages-entreprises-industrie/

-Automatiser les campagnes de promotion par email.

-Automatiser le partage de documents.

-Automatiser le premier tri des candidatures à l’emploi.

-Automatiser la saisie des données comptables et la facturation.

-Automatiser les processus en synchronisant les tâches.

-Automatiser la gestion d’équipes dispersée et des rapports d’activité.

-Mettre en place un chatbot pour répondre aux questions les plus fréquentes et gérer les demandes des clients et prospects.

Le cabinet PricewaterhouseCoopers (PWC)  https ://www.pwc.fr/fr/decryptages/humain/intelligence-artificielle-comment-tirer-parti-de-ces-nouveaux-amis.html indique que les applications d’IA les plus utiles sont les suivantes :

-Celles qui permettent de reconnaître et de classer.

De reconnaitre des objets dans les images, les questions des clients et d’assurer les traductions.

-Celles qui permettent l’analyse des données.

Le cabinet cite le développement d’applications (traitement des dossiers) dans les secteurs de l’assurance, de la banque (assistant des banquiers pour la détection de la fraude bancaire) et de la bourse (ordres), des systèmes de paiement.

-Celles qui permettent d’améliorer la relation client.

Pour mieux détecter les intérêts réels du client et lui proposer des produits et services ultra-personnalisés : offres promotionnelles ciblées, programmes télé sur mesure, recommandations d’achat…

-Les chatbots.

Ce type d’interface conversationnel qui facilite les relations avec les clients et prospects peut contribuer à offrir un meilleur service au client. 

4.2. Définir le plan de formation nécessaire.

On imagine facilement que le succès réel d’un projet d’application d’IA dépend de l’adhésion du personnel, de sa participation au choix et de sa formation, en particulier en matière d’autonomie envers l’ordinateur.

Aussi, la formation devient-elle un enjeu stratégique dans la mise en œuvre des applications d’IA, lesquelles nécessitent des compétences nouvelles pouvant aller jusqu’à la capacité de comprendre et d’évaluer la conception et les résultats de l’application.

D’autres changements doivent intervenir en particulier pour les cadres.

-Les managers devront apprendre à se concentrer plus complètement sur leur rôle de coach ou de leader pour accompagner leurs collaborateurs dans la prise en main et l’utilisation des applications.

Le développement du télétravail et la multiplication des sites d’activités peuvent conduire les managers à travailler « partout et à toute heure », posant, ainsi, la question délicate de la mesure et de tolérance de la charge de travail.

 

(Source : Fun.Mooc. Inria « L’Intelligence Artificielle… avec intelligence ! »

https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:CNAM+01046+session02/about

 

On pourra trouver dans ce blog trois autres articles portant sur l’intelligence artificielle :

https://outilspourdiriger.fr/les-applications-cognitives-1/

https://outilspourdiriger.fr/utiliser-lia-daujourdhui/

https://outilspourdiriger.fr/les-intelligences-artificielles/

 

Aucune reproduction ne peut être faite de cet article sans l’autorisation expresse de l’auteur ».  A. Uzan. 19/08/2020